Intervention de Marc Mortureux

Commission des affaires sociales — Réunion du 14 décembre 2010 : 1ère réunion
Audition de M. Marc Mortureux directeur général de l'agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l'alimentation de l'environnement et du travail anses

Marc Mortureux, directeur général de l'Anses :

A mon tour de vous remercier de me donner l'occasion de présenter la nouvelle agence qu'est l'Anses, en compagnie de Valérie Baduel, directrice générale adjointe pour les questions stratégiques, d'Alima Marie, chargée de la communication et du dialogue avec la société, et de Gérard Lasfargues, directeur général adjoint pour les questions scientifiques, qui est aussi médecin du travail. Je suis d'autant plus heureux de votre invitation que l'Anses a été créée par la volonté du Parlement. Il me semble donc essentiel que nos liens restent étroits et que nous demeurions à l'écoute.

Comment s'est déroulé le processus de fusion qui a donné naissance à cette nouvelle agence aux compétences élargies qu'est l'Anses, et à quels grands enjeux celle-ci est-elle appelée à répondre ?

J'ai été chargé, en septembre 2009, d'engager la fusion entre l'Afssa, structure responsable de la sécurité sanitaire des aliments, et l'Afsset, agence dédiée à la sécurité de l'environnement et de la santé au travail. Pour répondre aux inquiétudes que pouvait susciter une telle entreprise, j'ai souhaité mener une concertation intensive avec l'ensemble des acteurs. C'est à l'issue de douze réunions qui ont rassemblé, sur huit mois, quelque quarante acteurs, qu'a été élaboré le projet d'ordonnance prévu par la loi HPST, lequel a été adopté en conseil des ministres en janvier 2010. Afin que soient apportées toutes les garanties sur le mode de gouvernance, la concertation s'est ensuite poursuivie pour la préparation du décret d'application, qui a été publié le 30 juin 2010, pour une mise en place de l'agence au 1er juillet de la même année. Ont été depuis mis en place le conseil d'administration, dont la première réunion s'est tenue fin septembre, ainsi que l'ensemble des instances de gouvernance.

L'Anses constitue une structure scientifique indépendante chargée d'évaluer les risques pour la santé humaine, animale et végétale. Sa création se fonde sur le principe de séparation entre l'évaluation des risques, dont elle a la charge, et la gestion des risques, dont la responsabilité revient à l'exécutif. L'agence fournit non seulement aux ministères mais à l'ensemble des décideurs, publics et privés, sur le fondement d'une revue des connaissances disponibles, tant sur le plan national qu'international, des évaluations sur les sujets dont elle est saisie. Celles-ci sont accompagnées de recommandations de gestion pour assurer la protection des travailleurs, des consommateurs et des citoyens, dans le cadre d'une expertise indépendante et collective donnant lieu à des avis systématiquement rendus publics.

La concertation visait à lever plusieurs sujets d'inquiétude, au premier rang desquels la question de l'indépendance de l'institution et de la prévention des conflits d'intérêt. De fait, la valeur ajoutée de l'agence tient à la fois à son indépendance, qu'il importait de garantir, et à sa capacité à mobiliser l'expertise. C'est ainsi que nous nous sommes employés à renforcer les garanties que l'institution nouvelle héritait des deux agences dont elle constitue la fusion, en organisant son travail autour de vingt comités d'experts spécialisés, désignés, à la suite d'appels à candidature renouvelés tous les trois ans, sur le fondement d'un critère de compétence et de l'examen des déclarations publiques d'intérêt, déposées par les impétrants, et toujours rendues publiques. C'est ainsi que nous procédons, en toute transparence, à un examen des liens d'intérêt qui peuvent être ceux des personnalités pressenties, afin d'éviter tout risque de conflit, étant entendu qu'au sein d'une communauté scientifique qui voit de nos jours se développer la recherche partenariale avec l'industrie, l'indépendance absolue ne peut rester qu'un idéal. Ceci rend indispensable une garantie supplémentaire, celle de la collégialité - les collectifs, pluridisciplinaires, sont formés de personnalités issues d'horizons très divers - d'expertises conduites selon la norme NFX 50-110, qui garantit la plus grande traçabilité sur l'ensemble de ses étapes, et systématiquement rendues publiques.

Autre garantie supplémentaire, la mise en place d'un comité de déontologie et de prévention des conflits d'intérêts, que nous comptons installer au premier semestre 2011. Composé de cinq à huit sages indépendants de l'agence, il sera tout à la fois saisi pour examen en cas de soupçon de conflit et pourra se voir soumettre des questions sur les sujets touchant à la prévention des conflits d'intérêt. C'est là un point fondamental pour asseoir la crédibilité de l'agence.

En vertu de l'étendue de son champ de compétence et de son caractère pluridisciplinaire, l'Anses peut appréhender l'ensemble des expositions subies par l'homme, tant comme travailleur que comme consommateur et plus largement comme citoyen. La fusion permet de fait de gagner en efficacité. Pour une source de danger, biologique ou physico-chimique, c'est désormais une évaluation globale qui sera conduite, prenant en compte l'intégralité des sources d'exposition, donc plus protectrice. Nous sommes d'ailleurs pionniers en la matière, et cette approche suscite un grand intérêt chez nos homologues en Europe et dans le monde, qui nous voit capables, sur des sujets aussi actuels que les nanomatériaux, de fédérer les compétences et les équipes pour parvenir à une évaluation transversale coordonnée.

Auparavant, en matière de substances chimiques, nous avions deux instances d'évaluation. D'un côté l'Afssa, pour l'aspect phytosanitaire, de l'autre l'Afsset, pour les biocides. Aujourd'hui, c'est une direction unique qui est en charge des substances chimiques, ce qui constitue un progrès important quand on sait qu'entre biocides et produits phytosanitaires, bien des principes actifs sont identiques. Il en va de même pour l'évaluation des risques liés à l'eau : c'est l'ensemble du cycle qui peut désormais être pris en compte. Autre exemple de bénéfice lié à la coordination des travaux, celui qui profite aux travailleurs agricoles. Autrefois, l'Afsset étant chargée de la santé au travail et l'Afssa des produits phytosanitaires, les questions intéressant leur santé étaient traitées en deux lieux. Aujourd'hui, l'approche est intégrée.

L'Anses est également chargée d'une fonction de veille et d'alerte sur les risques émergents, afin d'en prévenir la survenance. Elle peut compter sur les laboratoires de référence et de recherche, hérités de l'Afssa, spécialistes de la sécurité des aliments et de la santé animale, qui jouissent d'une reconnaissance européenne et internationale, pour développer des méthodes d'analyse, collecter les données, assurer une surveillance épidémiologique et constituer un corpus de connaissances scientifiques.

Avec un budget de 130 millions, l'agence emploie mille trois cent cinquante personnes, sans compter les huit cents experts extérieurs, et une centaine d'implantations. Sa tutelle est répartie entre cinq ministères - santé, agriculture, écologie, travail et consommation, ce qui laisse quelque sérénité quant à la question de son indépendance...

La concertation menée avec les partenaires sociaux, les associations, les ONG et les représentants des ministères a fait apparaître trois préoccupations principales.

La première, sachant que l'Afsset ne comptait que cent cinquante agents contre mille deux cents agents pour l'Afssa, tenait au risque de dilution du monde de la santé au travail dans la grande agence que constitue l'Anses. La fusion ne devait pas se solder en une absorption, mais créer du neuf en préservant une identité claire à chaque composante - santé au travail, sécurité environnementale, sécurité de l'alimentation et santé animale. Nous y sommes parvenus grâce au système de gouvernance retenu, ainsi qu'à la mise en place, auprès du conseil d'administration, depuis le 1er octobre dernier, d'un comité d'orientation technique sur la santé au travail, qui assure une participation active de l'ensemble des acteurs et trace des lignes pour l'avenir. L'instauration d'une comptabilité analytique apporte une garantie supplémentaire quant aux moyens qui seront dévolus à chaque domaine, étant entendu que les marges dégagées grâce aux synergies doivent bénéficier à tous.

La deuxième préoccupation visait la préservation de la transparence des pratiques et de l'indépendance de l'institution, sur quoi je me suis tout à l'heure expliqué, ainsi que son ouverture aux parties prenantes, que nous avons assurée en faisant le choix d'une large gouvernance, l'ensemble des acteurs présents au conseil d'administration - partenaires sociaux, associations et ONG, représentants de l'association des maires de France (AMF) et de l'association des départements de France (ADF) - disposant, au même titre que les ministères, d'une faculté de saisine. C'est ainsi que l'agence a récemment été saisie par une organisation syndicale de la question des risques d'exposition au bitume pour les ouvriers qui travaillent à l'étendre. Cela étant, nous entendons optimiser notre fonction d'utilité publique, en évitant la duplication des travaux. L'agence travaille en interface avec ses homologues européennes. Elle a noué des partenariats dans le monde entier. Elle entend au reste, étant de large assise, peser de tout son poids sur la scène internationale. C'est ainsi que la question du bisphénol A, et plus largement des perturbateurs endocriniens, nous a largement mobilisés.

Troisième sujet de préoccupation, enfin, préserver la distinction entre opérateurs de recherche et laboratoires, d'une part, et appels à projets, d'autre part, dont il importe que l'agence puisse les lancer, en particulier dans les domaines où nous manquons de connaissances scientifiques pour l'évaluation des risques - comme ceux des nanoparticules ou des radiofréquences. En ce dernier domaine, nous avons non seulement préservé mais étendu les compétences, puisque la fondation « santé et radiofréquences » ayant été intégrée dans l'agence, la loi de finances pour 2011 prévoit, grâce à l'adoption d'un amendement, un financement spécifique pour les appels à projet de recherche sur ce sujet.

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