Intervention de Pascal Clément

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 18 janvier 2007 : 1ère réunion
Constitution — Modification du titre ix de la constitution - Audition de M. Pascal Clément garde des sceaux ministre de la justice

Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice :

a rappelé que l'article 68 de la Constitution disposait que « le Président de la République (...) ne peut être mis en accusation que par les deux assemblées statuant par un vote identique au scrutin public et à la majorité absolue des membres les composant ; il est jugé par la Haute Cour de justice. ».

Il a constaté que ces règles d'apparence simple s'étaient en fait révélées ambiguës.

Ainsi, par sa décision du 22 janvier 1999 relative à la Cour pénale internationale, le Conseil constitutionnel avait interprété l'article 68 comme instituant un privilège de juridiction de portée générale pour le chef de l'Etat, supposant que pendant la durée de ses fonctions, la responsabilité pénale du Président de la République ne peut être mise en cause que devant la Haute Cour de justice selon les modalités fixées par le même article. Pour le juge constitutionnel, la Haute Cour avait compétence pour connaître de l'ensemble de la responsabilité pénale du Président de la République, y compris s'agissant d'actes antérieurs ou détachables de l'exercice des fonctions.

En revanche, dans son arrêt du 10 octobre 2001, la Cour de cassation n'avait pas eu la même interprétation, estimant qu'il n'existait pas de privilège de juridiction du chef de l'État et que la compétence de la Haute Cour de justice était limitée au crime de haute trahison. La Cour de cassation avait considéré que les juridictions de droit commun étaient compétentes en dehors du cas de haute trahison, à raison de faits antérieurs à l'élection du Président de la République ou sans rapport avec l'exercice de ses fonctions, tout en concluant à l'inviolabilité temporaire du chef de l'État pendant l'exercice de son mandat. Aussi la Cour avait-elle précisé que la prescription était suspendue pendant la durée du mandat présidentiel.

a constaté que les deux juridictions s'accordaient sur l'essentiel, à savoir le fait que le Président de la République, hors le cas de haute trahison, ne saurait, pendant son mandat, être mis en cause devant aucune juridiction pénale de droit commun, mais que leur divergence d'analyse révélait un doute sur la portée exacte des dispositions de l'article 68 de la Constitution, ajoutant que les termes de « haute trahison » devaient être précisés.

Rappelant que ces considérations avaient conduit le Président de la République à demander à une commission, présidée par le professeur Pierre Avril, de réfléchir au statut pénal du Président de la République, il a constaté que le projet de loi constitutionnelle déposé en juillet 2003 reprenait l'ensemble des propositions de cette commission.

Indiquant que l'article 67 nouveau réaffirmait le principe traditionnel d'immunité du Président de la République pour les actes accomplis en cette qualité, il a noté qu'il posait par ailleurs un principe d'inviolabilité de portée générale pour tous les autres actes du Président de la République, c'est-à-dire ceux accomplis pendant la durée de son mandat mais sans lien avec celui-ci et ceux commis antérieurement à son élection.

Il a estimé qu'était ainsi exclue, durant son mandat, toute action à l'encontre du Président, quels qu'en soient l'objet ou la finalité, devant toute juridiction y compris civile ou administrative, ajoutant que le Président ne pouvait notamment pas être requis de témoigner, cette interdiction ne faisant cependant pas obstacle à un témoignage spontané de sa part.

Il a précisé que l'article 67 fixait par ailleurs à un mois après la cessation des fonctions le délai à l'issue duquel prend fin la suspension des procédures et des prescriptions, ajoutant que l'Assemblée nationale avait souhaité préciser ce dispositif en inscrivant clairement dans la loi fondamentale que les délais de prescription ou de forclusion sont suspendus pendant la durée du mandat.

Concernant l'article 68 nouveau de la Constitution, il a expliqué qu'il introduisait dans nos institutions une procédure de destitution inédite, ajoutant que la destitution du Président de la République ne pourrait être décidée qu'« en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat ».

Insistant sur l'abandon du critère incertain de « haute trahison » au profit de celui d'un manquement incompatible avec la poursuite du mandat, c'est-à-dire avec la dignité de la fonction, il a souligné qu'il était essentiel de confier l'appréciation du comportement d'un homme au regard des exigences de ses fonctions, au Parlement, siégeant dans son intégralité en Haute Cour, car ce dernier était doté d'une légitimité démocratique égale à celle du chef de l'Etat.

Rappelant que la procédure était aménagée en deux temps, de telle manière qu'elle ne puisse être utilisée à des fins partisanes, M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice, a indiqué que la proposition de réunion de la Haute Cour devrait d'abord être successivement adoptée par la majorité des membres composant chacune des deux assemblées et que, par la suite, la Haute Cour, présidée par le président de l'Assemblée nationale, statuerait à la majorité des membres qui la composent et à bulletins secrets, dans un délai de deux mois.

Il a souligné que la décision de réunir la Haute Cour, une fois adoptée par les deux chambres, emportait, à titre conservatoire, empêchement du Président de la République jusqu'à la fin de la procédure.

Constatant que l'Assemblée nationale avait souhaité remplacer la majorité simple à tous les stades de la procédure par la majorité des deux tiers, exigé que le vote soit personnel, et supprimé la procédure d'empêchement, susceptible de fragiliser la fonction présidentielle, tout en réduisant à un mois le délai dont disposait initialement la Haute Cour pour statuer, il a indiqué que ces modifications avaient eu l'aval du Gouvernement, car elles permettaient de mieux affirmer le caractère exceptionnel et non partisan de la procédure de destitution.

En conclusion, M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice, a estimé que le projet de loi constitutionnelle s'inscrivait dans le prolongement des Constitutions de 1875, 1946 et 1958, et qu'il apportait les précisions nécessaires pour clarifier l'irresponsabilité du chef de l'Etat tout en consacrant la simple suspension de la prescription relative à son inviolabilité.

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