Je vous remercie de me permettre de présenter dans des délais très courts et devant votre commission le rapport public thématique portant sur les prélèvements fiscaux et sociaux en France et en Allemagne.
J'ai remis vendredi ce rapport au Président de la République et nous l'avons rendu public dans la foulée. Je rappelle que le Président de la République avait exprimé en août dernier le souhait d'un vaste travail de comparaison fiscale entre les deux pays. Nous avons décidé d'inscrire cette enquête au programme de la juridiction. Elle a été conduite en s'appuyant sur les méthodes et procédures habituelles de la Cour : nous avons donc travaillé dans le respect des principes de contradiction avec les administrations et de collégialité. Nous avons également un peu innové en interne en mettant en place un groupe ad hoc d'experts pour éclairer les travaux de la juridiction et en organisant de très nombreuses consultations et auditions de responsables économiques, d'experts, sans oublier les partenaires sociaux, organisations d'employeurs et syndicats de salariés. Autant de méthodes que nous souhaitons désormais appliquer plus systématiquement en matière d'évaluation des politiques publiques. D'ailleurs, par certains aspects, ce rapport est un peu une évaluation comparée des politiques fiscales.
Il ne s'agit pas d'un rapport conjoint avec la partie allemande, à savoir le ministère fédéral des finances. Certes, nous avons eu des échanges techniques fructueux et confiants avec nos partenaires allemands, mais le rapport est établi sous notre seule responsabilité. Il s'inscrit d'ailleurs dans la continuité des travaux de la Cour, qu'il s'agisse de nos rapports sur la situation et les perspectives des finances publiques, du rapport public annuel de février 2011, des rapports sur la sécurité sociale ou encore des rapports du Conseil des prélèvements obligatoires sur la fiscalité du patrimoine ou la comparaison des prélèvements obligatoires.
Le rapport couvre l'ensemble des prélèvements tant fiscaux que sociaux. Nous avons souhaité une approche large, qui ne se limite pas aux questions étroitement fiscales. Il faut bien voir en effet que la fiscalité est un outil, et que, dans des sociétés anciennes et complexes comme les nôtres, elle ne peut être dissociée d'un arrière-plan institutionnel, historique, économique et social. Le fédéralisme allemand, son tissu économique, notamment l'importance des entreprises de taille intermédiaire, le Mittelstand, son modèle économique tourné vers l'exportation, sa pratique politique de coalition dans la période récente, sont autant de caractéristiques qui expliquent la fiscalité allemande. Nous nous sommes efforcés de prendre en compte cet arrière-plan dans notre analyse.
De plus, l'outil que constitue la fiscalité peut être mis au service de plusieurs objectifs. Traditionnellement, les objectifs assignés à la fiscalité sont le rendement, l'efficacité économique et la justice. C'est pour cette raison que la simple transposition ou importation de « morceaux » de fiscalité étrangère ne peut vraiment fonctionner : la fiscalité n'a de sens que dans un contexte, et en fonction d'objectifs fixés au préalable. Le rapport n'invite donc pas à copier ou à transposer un système qui serait intrinsèquement meilleur. Il n'y a pas de hiérarchie ou de classement à chercher dans le rapport. En revanche, la comparaison produit une sorte d'effet miroir et invite à s'interroger sur les conceptions et les pratiques.
Nous avons donc procédé à une comparaison des principaux impôts, mais aussi à une comparaison des politiques fiscales menées dans les deux pays depuis une dizaine d'années, de façon à appréhender le contexte et les objectifs poursuivis. A ce titre, il ressort de notre enquête que l'attractivité et la compétitivité globale d'un pays ne dépendent que partiellement de la fiscalité, qui n'est qu'un des leviers possibles. Si l'on s'attache à la situation respective de la France et de l'Allemagne, la fiscalité n'apparaît pas comme un facteur décisif. En toute rigueur, avant de comparer les dispositions fiscales, il fallait les resituer dans un cadre économique, financier et social plus large afin de pouvoir analyser les interactions entre le système fiscal et cette toile de fond.
Le chapitre premier du rapport est consacré à ce sujet. Cela a été une partie délicate pour plusieurs raisons, notamment d'ordre méthodologique : il faut être toujours prudent lorsque l'on interprète des statistiques. En effet, les classifications sont conventionnelles et parfois discutables. Par exemple, pour Eurostat, la taxe d'habitation est en partie une imposition du capital alors même que les locataires l'assimileraient vraisemblablement plutôt à une charge de consommation, voire à une imposition sur le revenu. Surtout, les statistiques diffèrent d'une source à l'autre. Quand nous avons voulu comparer les taux de prélèvements obligatoires entre les deux pays, nous nous sommes aperçus que l'OCDE et Eurostat ne donnaient pas le même chiffre pour l'Allemagne, ou encore que le périmètre de la protection sociale obligatoire, qui n'est pas le même entre les deux pays, avait un fort impact.
Deuxième obstacle : les statistiques françaises se sont révélées beaucoup plus nourries que les statistiques allemandes sur des sujets comme la redistribution et les inégalités, rendant de ce fait difficiles les comparaisons approfondies sur ces sujets.
Troisième précaution nécessaire : le choix du point de départ de notre comparaison n'est pas neutre. Selon que l'on choisisse 1990, date de la réunification allemande, ou 2000, ou encore 2005, on peut aboutir à des lectures différentes des tendances et des trajectoires. De façon générale, nous avons choisi de nous référer au début des années 2000, mais nous avons aussi pris du recul sur certains sujets qui le nécessitent, tel celui du coût du travail.
Venons-en au diagnostic lui-même, qui fait apparaître certaines caractéristiques avec clarté. Tout d'abord, pour les finances publiques, l'écart est manifeste : le déficit structurel de la France est supérieur de plus de trois points de produit intérieur brut (PIB) à celui de l'Allemagne. Ces trois points-là nous semblent bien plus importants et graves que ceux qui séparent les deux taux de prélèvements obligatoires, qui s'expliquent surtout par les périmètres différents des systèmes de protection sociale.
Cette différence entre les deux déficits structurels date d'avant la crise économique : l'Allemagne a profité de la période de croissance relativement forte qui a précédé la récession pour réduire son déficit public. En 2008, la France abordait la crise avec un déficit public de 3,3 % du PIB, l'Allemagne avec un excédent de 0,1 %. Cet écart structurel est à l'évidence une donnée qui contraint fortement la politique future de la France en matière de prélèvements.
Seconde caractéristique : en matière de redistribution et d'inégalités, la comparaison n'est pas au désavantage de la France à la fois dans l'absolu et en dynamique. Ainsi, le taux de pauvreté relative a augmenté de moitié en Allemagne entre 2000 et 2009, alors qu'il diminuait de 20 % en France.
Le diagnostic économique appelle de notre part discernement et lucidité. S'il est certain que la croissance potentielle allemande de long terme est réduite, étant donné que son vieillissement démographique très rapide pèsera davantage sur ses finances publiques et sa croissance, il n'en demeure pas moins qu'après le choc de la réunification, l'Allemagne s'est engagée résolument et de façon continue dans une politique de restauration de sa compétitivité, et ce dès la fin des années 1990. Cette stratégie, fondée sur un mélange de mesures fiscales, de restructuration du marché du travail et de modération salariale, paraît aujourd'hui avoir porté ses fruits. Qu'il s'agisse de balance commerciale, de chômage ou de croissance, de nombreux indicateurs sont aujourd'hui positifs pour l'Allemagne. Nos contacts avec nos interlocuteurs allemands nous ont montré toute l'importance qu'ils attachent à persévérer dans cette voie. Pendant ce temps-là, notre industrie a perdu l'avantage « coût » d'environ 10 % qu'elle avait au début des années 2000, et nos parts de marché à l'exportation ont régressé très sensiblement : elles ont perdu trois points entre 2000 et 2009 pendant que l'Allemagne en gagnait trois. Le fait que les autres pays de la zone euro soient dans une situation voisine de la nôtre en termes d'évolution de la compétitivité coût n'enlève rien à ce constat, d'autant que nous sommes plus sensibles que d'autres pays à l'évolution de notre compétitivité coût vis à vis de l'Allemagne : nous sommes souvent concurrents à l'exportation et sur les marchés nationaux. Pendant longtemps, notre compétitivité coût a compensé en partie notre handicap en termes de compétitivité hors coût, c'est-à-dire les insuffisances structurelles de l'offre industrielle française. La disparition de l'avantage coût est donc une donnée majeure, même si le niveau absolu des coûts est aujourd'hui comparable.
Ce diagnostic est l'occasion de faire apparaître deux lignes qui devraient guider la politique de prélèvements future de la France. Je ne surprendrai personne ici en disant que cette politique fiscale doit avant tout contribuer à réduire les déficits et à relever le potentiel de croissance à long terme de la France en améliorant sa compétitivité.
Au chapitre II du rapport, nous avons procédé à une analyse aussi précise que possible par grands blocs de prélèvements. L'impôt sur le revenu, la CSG et les cotisations tout d'abord. En Allemagne, l'impôt sur le revenu est un peu plus progressif : le taux marginal supérieur est de 45 %, porté à 47,5 % du fait de la surtaxe de solidarité, contre 41 % en France. Mais surtout son assiette est plus large, ce qui s'explique par le penchant français pour des niches fiscales nombreuses et coûteuses. La France a en revanche un prélèvement social que l'on peut estimer plus solidaire, ou du moins privilégiant davantage la justice fiscale : les prélèvements sur les revenus du travail sont plafonnés en Allemagne, un peu moins en France. Existe, en outre, la CSG qui porte sur tous les revenus, y compris ceux du patrimoine et sans aucun plafond. Si l'on regarde l'impact global sur les revenus du travail et la progressivité de ces prélèvements, on constate qu'ils sont en fait très proches entre les deux pays. On mesure cet impact par ce que l'on appelle le « coin socio-fiscal » ou « coin fiscalo-social » : il s'agit tout simplement de l'écart entre le coût salarial global pour l'employeur et ce qui reste au salarié après cotisations, CSG et impôt sur le revenu. Cela nous montre bien qu'il faut avoir une approche d'ensemble si l'on veut que la comparaison ait un sens. On voit ainsi qu'en matière de redistribution, les deux pays n'utilisent pas les mêmes leviers : l'Allemagne a préservé un impôt sur le revenu fort, qui y est le symbole de la redistribution, mais elle taxe très peu la détention du patrimoine - 0,46 % du PIB, contre 1,13 % pour la moyenne de l'OCDE - et elle a un prélèvement social clairement dégressif.
Si l'on s'attache aux effets redistributifs, il ne faut pas oublier non plus que les prestations sont importantes, et même plus importantes que les prélèvements en termes de redistribution : deux tiers pour les prestations et un tiers pour les prélèvements. Le prochain rapport du Conseil des prélèvements obligatoires développera cette analyse. La comparaison en matière d'assurance maladie est à cet égard éclairante : l'assurance maladie française couvre à titre obligatoire toute la population et elle est financée par tous les revenus alors que dans le cas de l'assurance maladie allemande, financée par les seuls salaires sous plafond, les 10 % de la population ayant les revenus les plus élevés peuvent ne pas s'affilier.
En ce qui concerne l'imposition du patrimoine, nos pays ont fait des choix très différents. L'Allemagne a choisi de taxer principalement les revenus du patrimoine. La France a voulu taxer tant la détention que les revenus et la transmission du patrimoine. En matière de taxation de la détention du patrimoine, le principal écart ne provient pas de l'ISF - 3,6 milliards en 2010 - mais bien des taxes foncières - 33 milliards.
La situation allemande est particulière : l'évaluation du foncier qui, comme en France, se caractérise par un certain archaïsme, est à l'origine de la suspension de l'imposition globale de la fortune en Allemagne, consécutive à la décision de la Cour constitutionnelle. D'aucuns pensent que cette jurisprudence pourrait menacer également la solidité constitutionnelle des taxes foncières existantes. Il faut en outre conserver à l'esprit que l'impôt sur la fortune allemand incluait dans son assiette les bien professionnels et était dû tant par les ménages que par les sociétés. Ce n'est pas le cas de l'ISF qui, s'agissant du foncier, est assis sur la valeur vénale et repose donc sur des bases plus solides. Il souffre cependant d'une assiette étroite. D'autre part, on peut légitimement se demander si les taux sont fixés au bon niveau : le taux actuel de la tranche supérieure, qui se monte à 1,8 %, est plus élevé qu'à sa création en 1982, alors même que le rendement nominal des placements financiers et l'inflation ont été divisés par près de quatre : en 1982, le taux des emprunts d'État s'élevait à 16 %, contre 3,3 % en 2010. La taxation des revenus du patrimoine est particulièrement complexe en France, parce qu'elle est le fruit d'une juxtaposition de multiples régimes spécifiques, et il est loin d'être avéré que la fiscalité de l'épargne soit en cohérence avec les objectifs prioritaires du pays.
Pour l'imposition sur les sociétés, les différences sont moindres et les rapprochements plus facilement envisageables. Le travail que nous avons entamé avec le ministère fédéral des finances allemand a permis d'identifier précisément une quinzaine de différences en matière d'assiette, mais, en définitive, les résultats sont assez voisins. De fait, nous pensons qu'il y a de réelles possibilités de faire converger à terme les assiettes, même si le crédit d'impôt-recherche est une différence substantielle entre les deux pays. Il nous paraît indispensable que le travail prometteur que nous avons engagé avec le ministère fédéral des finances, se poursuive maintenant directement au niveau des ministères concernés.
La spécificité française tient d'ailleurs moins à l'imposition du résultat des sociétés qu'à l'importance des prélèvements qui, en amont, grèvent le résultat et qui n'ont pas d'équivalent en Allemagne : ils représentent environ 58 milliards d'euros en 2008, dont 26 assis sur la masse salariale. Il s'agit de la taxe sur les salaires, de la contribution économique territoriale (CET), du versement transport, de la C3S, du versement au Fonds national d'aide au logement et de divers autres prélèvements qui s'ajoutent aux cotisations de sécurité sociale. Tous ces prélèvements, sauf la CET récemment réformée, sont en outre « dynamiques ». Le débat sur les charges des entreprises doit donc sortir du seul champ traditionnel des cotisations de sécurité sociale, qui ont d'ailleurs été déjà considérablement allégées pour les bas salaires, pour un coût de plus de 30 milliards d'euros. Un inventaire précis, une analyse de la dynamique et de la pertinence de ces prélèvements, dont certains sont assis sur les salaires, seraient bien utiles.
La taxe sur la valeur ajoutée n'a pas évolué de la même manière de part et d'autre du Rhin. Si l'on prend pour base 1990, l'Allemagne a augmenté de cinq points son taux normal de TVA, essentiellement pour réduire les déficits et, pour une part plus faible, alléger les charges pesant sur le facteur travail. Dans le même temps, la France a augmenté son taux d'un point. Dans la période la plus récente, alors que l'Allemagne a augmenté son taux de trois points, la France a, par phases successives, baissé le produit de la TVA. Cette dernière représentait en 2008 18 % des recettes fiscales en Allemagne contre 16,4 % en France alors qu'en 1995, la situation était inverse. Ces évolutions contrastées s'expliquent pour une large part par le fait que les exceptions au taux normal sont sensiblement plus importantes en France, sans que, pour autant, le prélèvement de TVA y soit plus juste : appliquer le taux réduit aux travaux de rénovation et à la restauration, deux consommations qui ne sont pas principalement le fait des ménages modestes, n'est pas à proprement parler une mesure de justice fiscale. Si l'on se contentait d'un simple alignement, en France, sur le niveau et le périmètre du taux réduit - 7 % - appliqués en Allemagne, la France disposerait d'une recette supplémentaire de 15 milliards d'euros. Les deux tiers de cette moindre recette proviennent des taux réduits sur les travaux dans les logements et dans la restauration, qui n'existent pas en Allemagne.
Plus généralement, la France apparaît en la matière comme une singularité : les pays du Nord de l'Europe, et tout récemment le Royaume-Uni, qui a relevé son taux normal de 2,5 points pour un produit d'environ 15 milliards d'euros, sollicitent davantage la TVA et n'hésitent pas à la modifier.
Enfin, nous avons comparé la fiscalité environnementale qui, dans les deux pays, se situe à un niveau inférieur à celui constaté en Europe. Les politiques menées sont divergentes : l'Allemagne a alourdi progressivement, mais de manière continue, la taxation des carburants alors que notre TICE, la taxe intérieure sur les consommations énergétiques, qui a remplacé la TIPP, a vu son rendement stagner. Quant à l'utilisation des véhicules particuliers, elle est moins taxée en France depuis la suppression de la vignette au début des années 2000.
J'en viens aux principaux enseignements que nous pouvons tirer de ce travail de comparaison et qui font l'objet du chapitre III.
Il ne s'agit pas d'appliquer ou de copier un modèle, mais de réfléchir à la politique française de prélèvements, à ses finalités et à ses évolutions possibles. Il appartient à la Cour de contribuer à éclairer le débat, mais il revient naturellement au Gouvernement et au Parlement de décider.
La première leçon que nous pouvons tirer de cet exercice comparatif porte sur les principes, sur la conception même de la politique fiscale. L'Allemagne attache une priorité plus forte au rendement budgétaire, à la préservation de la recette, en un mot à l'équilibre de ses finances publiques. Elle préfère aussi des mesures fiscales qui soient neutres économiquement et ne distordent pas l'activité, alors que la France a souvent tendance à pratiquer une forme d'interventionnisme fiscal et à agir dans un même domaine à la fois par des dépenses budgétaires et des régimes fiscaux dérogatoires. La France a trop tendance à considérer l'impôt comme un outil de politique économique aux objectifs multiples et souvent mal définis, ce qui conduit à la multiplication des niches fiscales et sociales, tandis que la fiscalité allemande fait moins de place aux exceptions et aux niches. Toujours dans cette même logique, le gouvernement allemand vient d'ailleurs d'engager une démarche pour délimiter de façon encore plus stricte le champ d'application du taux réduit de TVA.
Deuxième remarque : le principe d'unité et d'intégration de la politique des prélèvements est plus fort en Allemagne. Alors même qu'il s'agit d'un pays fédéral, la règle veut que les impôts soient partagés entre l'État, les Länder et les collectivités territoriales, tandis que le pouvoir fiscal est partagé entre Bundestag et Bundesrat. En France, au contraire, l'autonomie des collectivités territoriales se mesure traditionnellement au poids de leurs recettes fiscales propres, si bien que le pouvoir fiscal est partagé entre l'État et les collectivités territoriales.
En matière de finances sociales, l'Allemagne refuse de laisser la sécurité sociale en situation durable de déficit : à défaut d'autre solution, les déficits sont compensés par le versement d'une subvention du budget général, alors qu'en France, nous maintenons une séparation de principe entre les comptes sociaux et les comptes de l'État et admettons un déficit permanent des comptes sociaux qui débouche sur une dette croissante.
S'il fallait résumer l'approche allemande de la fiscalité, je dirais, sans chercher pour autant à idéaliser, que l'Allemagne préfère une politique fiscale plus lisible, plus prévisible, plus neutre et plus stable, ce qui présente bien des avantages pour les acteurs économiques.
Quels enseignements concrets pouvons-nous tirer, en France, de ces éléments de comparaison ? Au-delà des débats en cours sur la fiscalité du patrimoine, sur le rapprochement éventuel, et délicat en termes d'assiette, de l'impôt sur le revenu et de la CSG, le rapport relève que, si l'on s'en tient à la comparaison entre la France et l'Allemagne c'est, au-delà de la nécessaire réduction des niches fiscales et sociales, en matière de TVA et de fiscalité environnementale qu'existent les plus fortes marges de rapprochement possible.
Le rapport souligne aussi la nécessité d'inscrire durablement la politique fiscale dans une double perspective : réduction des déficits et amélioration de la compétitivité et du potentiel de croissance de notre économie. Il mentionne enfin la voie à explorer : engager un processus progressif qui substituerait un financement universel à un financement professionnel assis sur le seul facteur travail pour des politiques publiques qui ne sont pas toujours en lien direct avec l'entreprise : on peut penser à la politique familiale, mais aussi à celles du transport ou encore du logement. Cela rejoint la préoccupation d'une neutralité économique des prélèvements.
Nous sommes conscients qu'il s'agit d'un débat vaste, sensible, qui appelle expertise et concertation. La Cour ne prétend pas le trancher mais elle est convaincue qu'il est nécessaire et qu'il n'est pas synonyme d'un renoncement aux préoccupations de justice qui, dans la situation actuelle, sont légitimes, et qui peuvent prendre la forme soit d'aménagements des prestations sociales, soit d'une plus grande progressivité de l'impôt.
En tout cas, la France a besoin d'une stratégie fiscale de moyen terme claire et cohérente avec sa stratégie en matière de finances publiques, qui ne saurait se réduire au seul volet dépenses. Pourquoi ne pas inclure à l'avenir dans les lois de programmation des finances publiques ayant force contraignante, des dispositions guidant la politique en matière de prélèvements fiscaux et sociaux et qui interdiraient les déficits sociaux ?
Troisième et dernier point : comment poursuivre la convergence fiscale entre les deux pays ? La France et l'Allemagne ne sont, en aucun domaine, des concurrents fiscaux. La comparaison met inévitablement l'accent sur les différences, c'est la loi du genre. Cela ne saurait faire oublier que ce qui rapproche les deux pays est beaucoup plus important que ce qui les sépare, dès lors qu'on élargit le champ de l'analyse et que l'on resitue le couple franco-allemand par rapport à la zone euro et a fortiori à l'Union européenne.
Pour que la France et l'Allemagne continuent sur la route du rapprochement et de la convergence, le rapport suggère trois voies : tout d'abord, faire progresser la convergence au quotidien, en identifiant puis en résolvant les problèmes pratiques qui subsistent pour ceux qui exercent une activité dans les deux pays, en particulier les chefs d'entreprise. On pourrait ainsi harmoniser les délais de déclaration fiscale ou les modalités d'évaluation des biens en cas de succession ou de transmission d'entreprises, qui sont aujourd'hui sources de complexité et de difficultés. Ensuite, il faudrait parvenir à la définition d'éléments d'assiette commune en matière d'impôt sur les sociétés. Les deux pays devraient pouvoir s'accorder sur l'essentiel, voire la totalité de ces règles. Ce serait un pas important dans la perspective d'une assiette commune au niveau de l'Union européenne dont la Commission vient de relancer le projet. Le couple franco-allemand, dans ce domaine comme bien d'autres, peut avoir un rôle d'entraînement.
Enfin, il faut veiller à mieux inclure les politiques fiscales dans la coordination économique renforcée dont la France, l'Allemagne et, au-delà, la zone euro, ont besoin. Le Conseil économique franco-allemand pourrait naturellement en être le pivot.
J'espère vous avoir convaincus que nous avons besoin d'une stratégie fiscale de moyen terme. La Cour souhaite par ce rapport contribuer à éclairer le débat fiscal des mois et des années à venir, débat dont chacun mesure l'importance pour notre pays.