Intervention de Eric Kerrouche

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 25 octobre 2006 : 1ère réunion
Parité en politique — Audition de M. Eric Kerrouche chercheur du cnrs au centre d'étude et de recherche sur la vie locale cervl co-auteur avec elodie guérin d'une étude sur les élus locaux en europe

Eric Kerrouche, d'une étude sur les élus locaux en Europe, sur les propositions de loi relatives à la parité en politique :

a tracé les grandes lignes de l'évolution récente du statut de l'élu en Europe. Il a d'abord indiqué que les recherches sur ce domaine étaient peu nombreuses, en raison de la difficulté à rassembler des éléments et étudier des sources et des pratiques électorales très hétérogènes, en particulier au niveau local.

Il a souligné la progression d'une logique de gouvernance locale nouvelle, qui concerne l'ensemble des pays européens, induite par le fait que les politiques publiques locales s'inscrivaient désormais dans un contexte concurrentiel transformant l'action des collectivités territoriales, mais donnant également de nouvelles prérogatives aux échelons locaux, municipaux en particulier. Il a rappelé qu'à l'échelle européenne, le gouvernement local était le principal investisseur public. Il a toutefois regretté qu'en France cette question soit parfois négligée du fait de la suprématie de Paris sur la province.

a estimé qu'en Europe les élus locaux étaient principalement confrontés au défi de la complexité. Il a expliqué que, face au poids croissant de la réglementation, notamment communautaire, et à la multiplication des normes juridiques de toute nature, les élus locaux étaient tenus de se « techniciser » et d'améliorer leurs connaissances et qualifications. Il a précisé que l'acquisition de compétences techniques leur était indispensable pour s'adapter à cet environnement nouveau.

Or, il a constaté que, face à ce défi, le droit avait peu évolué et qu'il n'existait pas en Europe, pour l'instant, de véritable statut de l'élu local, même si certaines dispositions éparses pouvaient s'y apparenter. Il a fait observer que, dans certains pays, notamment en France, une partie des élus récusait la professionnalisation de la fonction élective, qui, selon eux, devait continuer de reposer sur les principes du bénévolat et de l' « amateurisme républicain ».

Il a cependant considéré que l'exercice d'un mandat, au moins à l'échelon exécutif, était devenu exclusif de celui d'une activité professionnelle. Notant que le degré de professionnalisation s'accentuait avec l'exercice de responsabilités exécutives, il a toutefois mis en évidence l'existence d'une « zone grise », où se trouve une proportion non négligeable d'élus.

a indiqué que d'autres pays européens avaient opté, de ce point de vue, pour une « rupture franche », en considérant l'exercice d'un mandat politique comme un métier. Il a jugé que la France se situait dans une position intermédiaire, estimant qu'une logique de professionnalisation était à l'oeuvre, sans que celle-ci ne soit assumée. Il a précisé qu'en Allemagne un élu devenait fonctionnaire pendant la durée de son mandat, même s'il n'avait pas, pour autant, la possibilité de retrouver automatiquement sa profession d'origine à l'expiration de celui-ci. Evoquant le cas de la France, il a fait remarquer qu'un élu était confronté au risque d'une « double peine », celle d'être battu aux élections et celle de ne pouvoir renouer avec son activité professionnelle initiale. Il a ainsi souligné la difficulté, pour un ancien élu, du retour à la vie professionnelle et déploré l'absence de valorisation des acquis de son mandat.

Il a d'ailleurs précisé que, dans le système français actuel, où le mandat est généralement exercé longtemps, les premiers mandats constituaient un temps d'apprentissage. Il a ajouté que la France était toutefois le seul pays à avoir institué un système de formation des élus, mais a regretté que celui-ci demeure facultatif et peu utilisé.

Il a indiqué que l'élu local européen type était un homme âgé de plus de 50 ans et fonctionnaire, l'accumulation des conditions d'éligibilité et des « pré-requis » professionnels profitant essentiellement aux hommes d'âge mûr, qui se trouvent ainsi surreprésentés au sein des exécutifs.

Il a considéré qu'il ne pourrait être mis fin à cette situation que par la mise en place d'un statut de l'élu, dont l'objectif serait de faciliter l'accès aux mandats, tout en faisant observer que celle-ci aurait un coût politique et social qui ne devait pas être négligé.

Abordant les propositions de loi dont la délégation a été saisie par la commission des lois, M. Eric Kerrouche a estimé qu'elles révélaient une véritable volonté de renforcer la parité en politique. Il a jugé que, seule, une discrimination positive instaurée par la loi permettait de parvenir à une meilleure représentation des femmes, évoquant les exemples de la Belgique ou du Portugal et, a contrario, celui de l'Italie. Il a toutefois mis en évidence l'existence d'une possibilité d'échappatoire à la loi résidant dans la faible présence actuelle des femmes au sein des exécutifs. S'agissant de la France, il a par ailleurs fait observer que ni la représentation des femmes, ni celle de l'opposition n'étaient assurées de droit dans les structures de coopération intercommunale (à l'exception des communautés urbaines s'agissant de l'opposition).

Il a cependant estimé que ces propositions de loi traitaient pour la plupart des effets, mais non des causes de la sous-représentation politique des femmes, et a considéré qu'une distribution paritaire des postes de pouvoir nécessiterait l'adoption de mesures statutaires favorisant l'entrée d'un plus grand nombre de femmes dans les exécutifs locaux, à l'instar de la Grande-Bretagne, qui a mis en place un système d'aide à la garde des enfants pour permettre aux femmes élues de participer aux réunions. Il a précisé que, si les facteurs qui bénéficiaient initialement aux hommes n'étaient pas pris en compte, il serait très difficile d'aboutir à une égalité des chances pour les femmes, qui seraient alors confrontées à un véritable problème de disponibilité, de même d'ailleurs que les jeunes hommes élus, en raison des contraintes liées notamment à la vie familiale.

Par ailleurs, il a constaté une répartition « genrée » des fonctions exécutives, les femmes étant le plus souvent cantonnées à des fonctions considérées comme « féminines », telles que l'enfance, le social ou l'éducation, alors que des fonctions réputées masculines, comme l'urbanisme, les finances ou la sécurité, sont généralement réservées aux hommes.

a indiqué que, dans la plupart des Etats européens, il existait un statut de l'élu « à trous », avec des situations très différentes selon les pays. Il a ainsi rappelé que le mandat de maire était bien plus indemnisé à Londres qu'à Paris. Il a conclu en considérant qu'il convenait de mettre fin à une certaine hypocrisie et de rompre avec le « mythe » du bénévolat et de l'amateurisme, apparu à la fin du XIXe siècle dans un contexte social très différent, où les « notables » donnaient de leur temps à la communauté, au bénéfice de leur image sociale. A cet égard, il a noté que les élus locaux français étaient encore très attachés à la notion d'indemnisation du mandat, l'indemnité n'étant pas considérée comme un salaire mais comme une compensation, ce qu'il a qualifié de « fiction juridique ». Il a indiqué que certains pays européens, tels l'Allemagne, le Danemark ou l'Espagne, se trouvaient à cet égard dans une situation moins ambiguë et avaient une approche plus pragmatique, avec des élus professionnels à plein temps ou à mi-temps.

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