La délégation a procédé à l'audition de M. Eric Kerrouche, chercheur du CNRS au Centre d'étude et de recherche sur la vie locale (CERVL), co-auteur, avec Elodie Guérin, d'une étude sur les élus locaux en Europe, sur les propositions de loi relatives à la parité en politique, dont la délégation a été saisie pour avis par la commission des lois.
a tracé les grandes lignes de l'évolution récente du statut de l'élu en Europe. Il a d'abord indiqué que les recherches sur ce domaine étaient peu nombreuses, en raison de la difficulté à rassembler des éléments et étudier des sources et des pratiques électorales très hétérogènes, en particulier au niveau local.
Il a souligné la progression d'une logique de gouvernance locale nouvelle, qui concerne l'ensemble des pays européens, induite par le fait que les politiques publiques locales s'inscrivaient désormais dans un contexte concurrentiel transformant l'action des collectivités territoriales, mais donnant également de nouvelles prérogatives aux échelons locaux, municipaux en particulier. Il a rappelé qu'à l'échelle européenne, le gouvernement local était le principal investisseur public. Il a toutefois regretté qu'en France cette question soit parfois négligée du fait de la suprématie de Paris sur la province.
a estimé qu'en Europe les élus locaux étaient principalement confrontés au défi de la complexité. Il a expliqué que, face au poids croissant de la réglementation, notamment communautaire, et à la multiplication des normes juridiques de toute nature, les élus locaux étaient tenus de se « techniciser » et d'améliorer leurs connaissances et qualifications. Il a précisé que l'acquisition de compétences techniques leur était indispensable pour s'adapter à cet environnement nouveau.
Or, il a constaté que, face à ce défi, le droit avait peu évolué et qu'il n'existait pas en Europe, pour l'instant, de véritable statut de l'élu local, même si certaines dispositions éparses pouvaient s'y apparenter. Il a fait observer que, dans certains pays, notamment en France, une partie des élus récusait la professionnalisation de la fonction élective, qui, selon eux, devait continuer de reposer sur les principes du bénévolat et de l' « amateurisme républicain ».
Il a cependant considéré que l'exercice d'un mandat, au moins à l'échelon exécutif, était devenu exclusif de celui d'une activité professionnelle. Notant que le degré de professionnalisation s'accentuait avec l'exercice de responsabilités exécutives, il a toutefois mis en évidence l'existence d'une « zone grise », où se trouve une proportion non négligeable d'élus.
a indiqué que d'autres pays européens avaient opté, de ce point de vue, pour une « rupture franche », en considérant l'exercice d'un mandat politique comme un métier. Il a jugé que la France se situait dans une position intermédiaire, estimant qu'une logique de professionnalisation était à l'oeuvre, sans que celle-ci ne soit assumée. Il a précisé qu'en Allemagne un élu devenait fonctionnaire pendant la durée de son mandat, même s'il n'avait pas, pour autant, la possibilité de retrouver automatiquement sa profession d'origine à l'expiration de celui-ci. Evoquant le cas de la France, il a fait remarquer qu'un élu était confronté au risque d'une « double peine », celle d'être battu aux élections et celle de ne pouvoir renouer avec son activité professionnelle initiale. Il a ainsi souligné la difficulté, pour un ancien élu, du retour à la vie professionnelle et déploré l'absence de valorisation des acquis de son mandat.
Il a d'ailleurs précisé que, dans le système français actuel, où le mandat est généralement exercé longtemps, les premiers mandats constituaient un temps d'apprentissage. Il a ajouté que la France était toutefois le seul pays à avoir institué un système de formation des élus, mais a regretté que celui-ci demeure facultatif et peu utilisé.
Il a indiqué que l'élu local européen type était un homme âgé de plus de 50 ans et fonctionnaire, l'accumulation des conditions d'éligibilité et des « pré-requis » professionnels profitant essentiellement aux hommes d'âge mûr, qui se trouvent ainsi surreprésentés au sein des exécutifs.
Il a considéré qu'il ne pourrait être mis fin à cette situation que par la mise en place d'un statut de l'élu, dont l'objectif serait de faciliter l'accès aux mandats, tout en faisant observer que celle-ci aurait un coût politique et social qui ne devait pas être négligé.
Abordant les propositions de loi dont la délégation a été saisie par la commission des lois, M. Eric Kerrouche a estimé qu'elles révélaient une véritable volonté de renforcer la parité en politique. Il a jugé que, seule, une discrimination positive instaurée par la loi permettait de parvenir à une meilleure représentation des femmes, évoquant les exemples de la Belgique ou du Portugal et, a contrario, celui de l'Italie. Il a toutefois mis en évidence l'existence d'une possibilité d'échappatoire à la loi résidant dans la faible présence actuelle des femmes au sein des exécutifs. S'agissant de la France, il a par ailleurs fait observer que ni la représentation des femmes, ni celle de l'opposition n'étaient assurées de droit dans les structures de coopération intercommunale (à l'exception des communautés urbaines s'agissant de l'opposition).
Il a cependant estimé que ces propositions de loi traitaient pour la plupart des effets, mais non des causes de la sous-représentation politique des femmes, et a considéré qu'une distribution paritaire des postes de pouvoir nécessiterait l'adoption de mesures statutaires favorisant l'entrée d'un plus grand nombre de femmes dans les exécutifs locaux, à l'instar de la Grande-Bretagne, qui a mis en place un système d'aide à la garde des enfants pour permettre aux femmes élues de participer aux réunions. Il a précisé que, si les facteurs qui bénéficiaient initialement aux hommes n'étaient pas pris en compte, il serait très difficile d'aboutir à une égalité des chances pour les femmes, qui seraient alors confrontées à un véritable problème de disponibilité, de même d'ailleurs que les jeunes hommes élus, en raison des contraintes liées notamment à la vie familiale.
Par ailleurs, il a constaté une répartition « genrée » des fonctions exécutives, les femmes étant le plus souvent cantonnées à des fonctions considérées comme « féminines », telles que l'enfance, le social ou l'éducation, alors que des fonctions réputées masculines, comme l'urbanisme, les finances ou la sécurité, sont généralement réservées aux hommes.
a indiqué que, dans la plupart des Etats européens, il existait un statut de l'élu « à trous », avec des situations très différentes selon les pays. Il a ainsi rappelé que le mandat de maire était bien plus indemnisé à Londres qu'à Paris. Il a conclu en considérant qu'il convenait de mettre fin à une certaine hypocrisie et de rompre avec le « mythe » du bénévolat et de l'amateurisme, apparu à la fin du XIXe siècle dans un contexte social très différent, où les « notables » donnaient de leur temps à la communauté, au bénéfice de leur image sociale. A cet égard, il a noté que les élus locaux français étaient encore très attachés à la notion d'indemnisation du mandat, l'indemnité n'étant pas considérée comme un salaire mais comme une compensation, ce qu'il a qualifié de « fiction juridique ». Il a indiqué que certains pays européens, tels l'Allemagne, le Danemark ou l'Espagne, se trouvaient à cet égard dans une situation moins ambiguë et avaient une approche plus pragmatique, avec des élus professionnels à plein temps ou à mi-temps.
Après avoir noté que l'exposé de l'intervenant s'était concentré sur le thème du statut de l'élu, Mme Catherine Troendle, rapporteure, a fait observer que le montant des indemnités attribuées aux maires variait considérablement en fonction de la taille des communes. Elle a ajouté que les maires des petites communes devaient faire preuve d'une compétence technique dans de nombreux domaines, tandis que ceux des grandes villes sont entourés d'équipes de collaborateurs qui leur apportent une assistance technique et facilitent l'exercice du mandat.
après avoir rappelé qu'il avait vu ressurgir la question du statut de l'élu de façon récurrente depuis 40 ans, a néanmoins constaté qu'un certain nombre d'évolutions positives étaient intervenues au cours des vingt dernières années, en citant notamment la fixation de grilles indemnitaires, qui avait permis une certaine moralisation dans ce domaine. Il a ajouté qu'en matière de formation et de retraite, un certain nombre d'avancées avaient été introduites.
Estimant que la question du statut de l'élu était aujourd'hui « au milieu du gué », il a évoqué les questions de principe sous-jacentes au problème de la professionnalisation du personnel politique. A ce titre, il a observé que la complexité croissante du droit impliquait un investissement important de la part des élus qui souhaitent conserver la maîtrise technique des dossiers. Il a en outre estimé que la question du statut de l'élu n'était pas sans lien avec celle du cumul des mandats.
Puis il a évoqué la difficulté pour un certain nombre d'élus issus du secteur privé de retrouver une activité professionnelle en fin de mandat. Il a considéré qu'une éventuelle limitation du nombre de mandats consécutifs nécessiterait d'offrir des garanties aux élus au terme de leur mandat.
En conclusion, il a estimé qu'une amélioration de la situation des élus serait aussi favorable à une meilleure représentation des femmes en politique.
a insisté sur la nécessité, pour faire progresser la parité, de limiter le cumul des mandats et de promouvoir la représentation proportionnelle, en prenant des mesures législatives contraignantes. Elle a évoqué le sentiment de « perte de pouvoir » que peuvent ressentir certains hommes contraints de laisser leur place à des femmes pour répondre aux exigences de la parité.
Elle a enfin interrogé l'intervenant sur les modalités précises des mesures d'aide à la garde des enfants prévues en faveur des élu(e)s en Grande-Bretagne.
a rappelé qu'elle avait pendant longtemps exercé concomitamment des fonctions de premier adjoint au maire dans une agglomération de 45 000 habitants et des responsabilités professionnelles dans le secteur privé.
Elle a souligné la pertinence des propos de la rapporteure concernant l'aide apporté aux élus par les services administratifs dans les grandes communes urbaines.
Rappelant que les salariés élus au Parlement bénéficiaient d'un droit à la suspension de leur contrat de travail, assorti d'une garantie de réintégration en fin de mandat, elle a suggéré d'étendre ce dispositif aux maires et aux adjoints ayant des responsabilités importantes.
Elle a, par ailleurs, jugé souhaitable de s'inspirer des dispositions applicables aux syndicalistes et aux représentants du personnel dans les entreprises pour accorder un statut protecteur et des décharges horaires aux salariés exerçant des responsabilités électives.
Elle a souligné que les mécanismes d'aide financière à la garde des enfants prévus en faveur des élus mériteraient d'être appliqués de façon plus systématique.
Elle a enfin estimé qu'il convenait de ne pas professionnaliser à l'excès la carrière politique pour ne pas couper les élus de la société civile et rappelé les avantages du cumul d'un mandat national avec un mandat local.
a fait observer que non seulement la législation était devenue plus complexe, mais encore que les citoyens étaient aussi de plus en plus exigeants à l'égard de l'action de leurs élus.
Rejoignant les propos de Mme Catherine Procaccia, elle s'est dite farouchement opposée à une professionnalisation de la politique, qui serait susceptible de nuire à l'image des élus, d'ores et déjà dégradée dans l'opinion. Elle a en effet estimé que les élus devaient rester au service de l'intérêt général et non être animés par un souci de carriérisme. Elle a cependant souligné la nécessité d'apporter des garanties aux élus pour faciliter leur reconversion professionnelle à l'issue de leur mandat.
En réponse aux divers intervenants, M. Eric Kerrouche s'est dit être aujourd'hui fermement opposé à la singularité française que constitue le cumul des mandats, tout en observant qu'il y avait longtemps été favorable par le passé.
Il a rappelé que même dans les pays comme la Grande-Bretagne ou l'Allemagne, où il était autorisé, le cumul des mandats était peu pratiqué. Il a également noté que, dans bien des pays, la décentralisation avait été instituée de façon plus approfondie qu'en France et que, dans un tel contexte, l'argument tiré de la complémentarité entre mandat local et mandat national devenait moins pertinent. Il a cependant estimé que la limitation du cumul des mandats ne se traduirait pas nécessairement par une augmentation immédiate et mécanique du nombre de femmes élues si elle ne s'accompagnait pas de mesures législatives contraignantes en faveur de la parité.
Rappelant qu'en Irlande, le cumul des mandats avait été interdit par une mesure prise « du jour au lendemain », il a estimé que les solutions relevaient, en la matière, d'une ferme volonté réformatrice.
Puis, faisant observer que certains administrés se livraient à un « harcèlement démocratique » de leurs représentants en multipliant les questions et les procédures, il a considéré que les élus devaient, pour faire face à ces situations, renforcer leur compétence technique.
S'agissant des effets pervers possibles de l'instauration d'une limitation du cumul des mandats dans le temps, il a signalé qu'en Italie, où le nombre de mandats consécutifs de maire est limité à deux, les politiques publiques locales étaient marquées par une certaine frénésie, en raison même de cette limitation.
En ce qui concerne la réintégration des salariés élus au terme de leur mandat, il a indiqué qu'en pratique, celle-ci présentait toujours un certain nombre de difficultés, tout en reconnaissant la nécessité de trouver des solutions pour faciliter la reconversion professionnelle des élus. A ce titre, il a estimé souhaitable d'explorer la voie de la validation des acquis professionnels des élus.
Il a également suggéré le transfert de la prise en charge financière de la formation des élus locaux municipaux aux établissements de coopération intercommunale, qui ont plus de ressources financières que les communes.
Répondant à une question de M. Yannick Bodin sur la formation des élus, M. Eric Kerrouche, en reprenant les chiffres de l'enquête qu'il avait menée sur les maires des communes de plus de 3500 habitants, a indiqué que la proportion des maires des communes de plus de 3 500 habitants ayant recours aux dispositifs de formation était de 55,4 % (dont 36,7 % qui avaient utilisé cette faculté plus d'une fois).
a fait observer que la généralisation du scrutin proportionnel n'était pas en soi la clef de la féminisation de la politique, rappelant qu'avant la loi du 6 juin 2000 sur la parité, peu de femmes étaient présentes sur les listes de candidats aux élections régionales. Elle a souligné qu'en tout état de cause les femmes devaient d'abord faire leurs preuves sur le terrain.
S'agissant des mesures en faveur de la garde des enfants, M. Eric Kerrouche a indiqué qu'en Grande-Bretagne, elles prenaient la forme d'une indemnité facultative laissée à l'appréciation de l'autorité locale et inscrite de droit au budget de la collectivité, et a fait observer qu'en France les dispositifs en vigueur n'étaient pas suffisamment connus et utilisés.
a fait observer qu'il était essentiel d'appliquer aussi bien aux hommes qu'aux femmes les dispositions destinées à faciliter la garde des enfants ou des personnes dépendantes.
En ce qui concerne la professionnalisation de la politique, M. Eric Kerrouche a observé que, concrètement, le temps consacré par les élus à leur mandat en faisait de véritables professionnels.
Après avoir évoqué la prégnance de la pratique du cumul de deux mandats parmi les élus locaux en France, il s'est dit relativement optimiste au sujet des réactions de la société française à l'égard d'une éventuelle mise en place d'un statut de l'élu.
Répondant à une question de Mme Catherine Procaccia, il s'est déclaré très favorable à une transposition des mécanismes prévus en faveur des salariés représentants du personnel à ceux qui exercent des responsabilités politiques.
s'est interrogée sur la non-inclusion des mandats intercommunaux au titre de la limitation du cumul.
En réponse, M. Eric Kerrouche a tout d'abord estimé que les établissements de coopération intercommunale constituaient une « aberration démocratique », puisque leur fonctionnement contredit le principe : « no taxation without votation» et qu'il n'y a pas de sanction possible des conseils communautaires par les électeurs. Il a estimé que le choix du statut d'établissement public avait eu son utilité dans la mesure où il avait permis la création de ces entités, mais que l'exigence démocratique impliquait désormais une élection au suffrage universel des conseils communautaires, avec une garantie de représentation de la minorité et une obligation de parité. À cet égard, il a estimé que la transposition du mode de scrutin applicable à Paris, Lyon et Marseille constituerait le système le plus « lisible » pour les citoyens. En outre, il a préconisé que le président d'établissement public de coopération intercommunale soit élu au même moment que le maire, le seul risque étant à ses yeux celui d'une « cohabitation » n'ayant que peu d'inconvénients pratiques.
Par ailleurs, il s'est déclaré favorable à une réforme du mode de scrutin applicable aux élections municipales dans les communes de moins de 3 500 habitants.
Faisant observer que la commune et l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) constituaient une « institution siamoise », il a estimé qu'il convenait d'admettre le cumul d'un mandat de conseiller municipal et d'un mandat de conseiller communautaire.
a suggéré d'imaginer un système selon lequel les candidats figurant aux premiers rangs de la liste ayant remporté les élections municipales seraient en même temps élus conseillers communautaires pour les uns ou adjoints au maire pour les autres.
Après s'être interrogé sur la constitutionnalité des EPCI à fiscalité propre, M. Yannick Bodin a fait observer que la plupart des maires étaient opposés à l'élection des présidents des EPCI au suffrage universel.
En conclusion, Mme Gisèle Gautier, présidente, s'est déclaré favorable à une élection au suffrage universel direct des présidents de communautés urbaines, qui permettrait, selon elle, d'assurer un meilleur contrôle démocratique de la gestion de ces structures.