Intervention de Josselin de Rohan

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 11 juin 2008 : 1ère réunion
Constitution — Modernisation des institutions de la ve république - examen du rapport pour avis

Photo de Josselin de RohanJosselin de Rohan, rapporteur pour avis :

En préambule, M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis, a rappelé que le projet de loi constitutionnelle, issu des travaux du Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, présidé par M. Edouard Balladur, comportait plusieurs dispositions relatives au rôle du Parlement en matière de politique étrangère et de défense, ce qui avait conduit la commission à se saisir pour avis.

Il a examiné successivement :

- les dispositions du projet de loi constitutionnelle concernant la défense, et, en particulier, le nouveau dispositif prévu en matière de contrôle parlementaire sur les opérations extérieures ;

- le rôle du Parlement en matière de politique étrangère et européenne ;

- enfin, la procédure de ratification des projets de loi autorisant l'adhésion de nouveaux Etats à l'Union européenne.

Abordant, en premier lieu, les dispositions du projet de loi constitutionnelle relatives à la défense, M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis, a rappelé que le projet de loi visait notamment l'élargissement du champ des lois de programmation au-delà des seuls domaines économique et social, ce qui permettra de conforter les futures lois de programmation militaire, ou encore l'encadrement de l'article 16 de la Constitution.

Par ailleurs, l'article 8 du texte initial du projet de loi prévoyait de supprimer, dans le premier alinéa de l'article 21 de la Constitution, la disposition selon laquelle le Premier ministre est « responsable de la défense nationale » et de la remplacer par la phrase : « Il met en oeuvre les décisions prises au titre de l'article 15 en matière de défense nationale ».

Cette réforme avait pour objet de consacrer en droit le rôle prééminent du Président de la République, tel qu'il résulte de la pratique de la Ve République, mais elle soulevait cependant plusieurs questions.

a estimé que l'équilibre actuel des pouvoirs a fait la preuve de son efficacité, notamment en période de cohabitation, et que la défense nationale n'a pas seulement une composante militaire, mais aussi des dimensions civiles et économiques, dont la responsabilité incombe au Gouvernement. Au moment où le futur Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale met l'accent sur le renforcement du lien entre sécurité extérieure et sécurité intérieure, une telle réforme ne semble pas opportune.

Enfin, elle pose le problème de la responsabilité de l'exécutif devant le Parlement, dans la mesure où le Premier ministre ne ferait que mettre en oeuvre les décisions du chef de l'Etat.

Pour ces raisons, M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis, a approuvé la suppression de cette disposition par l'Assemblée nationale.

L'une des principales nouveautés du projet de loi constitutionnelle tient à la création d'une procédure de contrôle parlementaire sur les interventions des forces armées à l'étranger, a indiqué M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis.

L'article 13 du projet de loi vise à compléter l'article 35 de la Constitution, relatif à la déclaration de guerre, par une nouvelle procédure de contrôle parlementaire sur les opérations extérieures.

Il s'agit d'un mécanisme « à double détente » :

- dans le cas d'une intervention des forces armées à l'étranger, le Parlement devra être informé par le Gouvernement dans un délai de trois jours et il pourra éventuellement débattre de cette intervention, sans toutefois pouvoir se prononcer par un vote ;

- au-delà de quatre mois, la prolongation d'une intervention sera soumise à un vote d'autorisation du Parlement.

Tel qu'il a été modifié par l'Assemblée nationale, le dispositif proposé paraît globalement satisfaisant, puisqu'il préserve un équilibre entre la nécessité d'associer le Parlement et celle de ne pas empiéter sur les prérogatives de l'exécutif afin de ne pas nuire à l'efficacité des interventions militaires, en préservant notamment la confidentialité de certaines informations entourant les opérations dont la révélation pourrait mettre en danger la sécurité des personnels engagés.

a néanmoins indiqué que la notion d'« interventions des forces armées à l'étranger » restait à préciser.

On ne peut ainsi qualifier d'OPEX l'affectation d'officiers français dans les états-majors internationaux ou la participation de l'armée française à des exercices, par exemple dans le cadre de l'OTAN. Par ailleurs, certaines opérations ne concernent que quelques militaires (comme l'opération d'observation de l'ONU au Sinaï qui ne comporte qu'un seul militaire français), alors que d'autres font appel à plusieurs centaines, voire à plusieurs milliers d'hommes, comme l'opération de l'OTAN au Kosovo ou en Afghanistan.

Il faudra donc combiner un critère quantitatif -le nombre d'hommes envoyés- et un critère politique.

Ce point devrait faire l'objet d'une discussion approfondie entre les commissions compétentes des deux assemblées et le ministère de la défense, a estimé M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis.

De même, le texte ne précise pas le point de départ du délai de trois jours pour l'information du Parlement. Est-ce la date de la décision prise par le pouvoir politique ou bien le jour à partir duquel les troupes sont déployées sur le terrain ?

Compte tenu de l'important décalage temporel souvent constaté entre la date de la décision politique et l'engagement effectif des forces sur le terrain, par exemple pour l'opération EUFOR au Tchad et en République centrafricaine, cette question n'est pas sans importance.

a indiqué qu'il présenterait un amendement visant à préciser le point de départ du délai de trois jours.

Si le dispositif adopté par l'Assemblée nationale paraît équilibré, M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis, a considéré que la formulation de la phrase selon laquelle « en cas de refus du Sénat, le Gouvernement peut demander à l'Assemblée nationale de statuer définitivement sur la prolongation de l'intervention » n'était pas très heureuse. Il a proposé de remplacer cette disposition par la phrase suivante : « la prolongation de l'intervention au-delà de quatre mois est autorisée en vertu d'une loi ».

Toutefois, à la différence de la procédure législative ordinaire, le droit d'amendement n'aurait pas vocation à s'appliquer, puisque l'acte d'autorisation « ne saurait s'accompagner d'aucune condition concernant les modalités opérationnelles d'engagement des troupes ». Le Parlement autorisera ou non la prolongation, mais il ne pourra pas la soumettre à des conditions tenant, par exemple, aux objectifs assignés, à l'ampleur des effectifs engagés ou encore à la durée de l'intervention.

Evoquant ensuite le rôle du Parlement en matière de politique étrangère et européenne, M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis, a d'abord évoqué le renforcement du contrôle parlementaire sur les affaires européennes.

Depuis 1992, les assemblées peuvent voter des résolutions sur les projets d'actes européens ayant été transmis par le Gouvernement au titre de l'article 88-4 de la Constitution. Le projet de loi constitutionnelle prévoit, à l'article 32, d'étendre ce droit de résolution à « tout document émanant de l'Union européenne », réalisant ainsi un élargissement considérable du champ des résolutions européennes. Seront ainsi concernés les documents non législatifs, comme par exemple les communications de la Commission européenne, mais aussi les documents émanant des autres institutions européennes, tels que les résolutions du Parlement européen, les documents de la Banque centrale européenne ou du Comité des régions. Cette extension du champ des résolutions européennes offrira donc aux assemblées la possibilité de s'exprimer sur un grand nombre de sujets liés aux activités de l'Union européenne.

Le projet de loi prévoyait également d'inscrire dans la Constitution l'existence, au sein de chaque assemblée, d'un « comité chargé des affaires européennes ». Toutefois, l'Assemblée nationale a adopté un amendement visant à modifier la dénomination de ces organes pour les appeler « commissions chargées des affaires européennes ». Cette appellation est source de confusion, puisqu'elle semble mettre sur le même plan l'organe chargé des affaires européennes et les commissions permanentes des assemblées, a estimé M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis. Leur rôle est fondamentalement différent. D'une part, l'organe chargé des affaires européennes ne doit pas avoir de compétences législatives, mais il a pour vocation de suivre les activités de l'Union européenne. D'autre part, il est essentiel que les membres de cet organe soient simultanément membres de l'une des commissions permanentes des assemblées, afin de conserver un lien étroit avec les commissions. Le terme de « comité chargé des affaires européennes » paraît ainsi nettement préférable afin d'éviter toute confusion avec les commissions permanentes des assemblées.

a indiqué qu'il proposerait un amendement rédactionnel visant à appeler « résolutions européennes » les résolutions adoptées en vertu de l'article 88-4 de la Constitution et à revenir à la qualification qui figurait dans le projet de loi initial pour la dénomination de l'organe chargé des affaires européennes. Le rapporteur pour avis a également indiqué que le projet de loi constitutionnelle prévoyait, dans son article 12, de reconnaître aux assemblées le droit de voter des résolutions dans les conditions fixées par leur règlement. L'Assemblée nationale a toutefois supprimé cette faculté, au motif que cet instrument ne serait pas de nature à revaloriser le Parlement et qu'il pourrait même s'avérer dangereux pour l'équilibre des institutions.

Il a estimé que le vote de résolutions pourrait être utile, sous réserve d'encadrer strictement ses conditions de mise en oeuvre. Tout d'abord, il offrirait un nouveau mode d'expression aux assemblées, distinct de la loi, en leur permettant d'exprimer un souhait, une préoccupation ou un avis sur un sujet particulier, sans passer par la loi, étant entendu que ces résolutions n'auraient pas de valeur contraignante. Cet instrument pourrait notamment jouer un rôle utile sur les questions de politique étrangère.

Ainsi, lors de la ratification du traité d'Amsterdam, le Parlement avait adopté un amendement au projet de loi autorisant sa ratification, afin d'insister sur le préalable de la réforme des institutions avant tout nouvel élargissement de l'Union européenne. Cette prise de position aurait mieux trouvé sa place dans une résolution, plutôt que dans un acte normatif.

Ensuite, cela permettrait de revaloriser le rôle de la loi. Plusieurs lois dites « mémorielles », comme, par exemple, la loi sur la reconnaissance du génocide arménien ou la récente loi sur la mémoire de l'esclavage et de la colonisation auraient pu faire l'objet d'une résolution plutôt que d'un acte législatif.

Enfin, alors que la Constitution reconnaît déjà le droit du Parlement d'adopter des résolutions en matière européenne, au titre de l'article 88-4 de la Constitution, et que le projet de loi envisage même d'étendre ce dispositif, il peut sembler paradoxal de limiter le champ de cet instrument au seul domaine des affaires européennes, en excluant les questions d'ordre interne ou les affaires internationales.

Si le mécanisme des résolutions peut s'avérer utile, il convient cependant de l'encadrer strictement, afin de ne pas risquer de le dévoyer. Plusieurs conditions pourraient encadrer sa mise en oeuvre :

- en premier lieu, on pourrait envisager des critères tenant à un nombre minimal de signataires, à l'instauration d'un délai minimum entre le dépôt d'un projet de résolution et son inscription à l'ordre du jour ou encore sur le nombre de votes nécessaires pour l'adopter ;

- en deuxième lieu, il paraît indispensable de conserver le « filtre » des commissions. Toute proposition de résolution devrait être renvoyée à l'une des commissions permanentes en fonction de son objet.

Enfin, la résolution doit rester l'acte par lequel une assemblée émet un avis sur une question déterminée. Elle ne peut tendre à mettre en cause, directement ou indirectement, la responsabilité du Gouvernement ou de l'un de ses membres.

Telle est la raison pour laquelle M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis, a considéré que les conditions et limites du droit de résolution ne devraient pas seulement être fixées par le règlement des assemblées, comme le prévoyait le texte initial du projet de loi, mais par une loi organique. De plus, il a estimé préférable d'inscrire dans la Constitution la proposition selon laquelle toute proposition de résolution mettant en cause, directement ou indirectement, la responsabilité du Gouvernement ou de l'un de ses membres est irrecevable.

Abordant enfin la procédure d'autorisation de ratification des traités d'adhésion à l'Union européenne, M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis, a rappelé que, depuis la révision constitutionnelle du 1er mars 2005, toute nouvelle adhésion à l'Union européenne, à l'exception de celle de la Croatie, doit obligatoirement faire l'objet d'un référendum en application de l'article 88-5 de la Constitution.

Cette disposition visait, conjoncturellement, à éviter que le débat sur la Turquie n'interfère avec le référendum sur la Constitution européenne. Ce mécanisme paraît tout à fait inadapté à l'adhésion de pays tels que la Norvège ou les pays des Balkans. Le comité « Balladur » a donc proposé un autre mécanisme, repris dans le texte initial du projet de loi, à l'article 33, qui prévoyait que tout projet de loi autorisant la ratification d'un traité d'adhésion à l'Union européenne devrait être adopté en termes identiques par les deux assemblées avant d'être soumis, sur décision du Président de la République, soit au référendum, soit au Congrès du Parlement. Dans ce dernier cas, il devrait être adopté à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés, comme une révision constitutionnelle.

Le recours au référendum resterait donc la procédure de droit commun, mais, comme tel était le cas avant la révision constitutionnelle de 2005, le Président de la République aurait la faculté d'en décider autrement.

Ce mécanisme a suscité toutefois de vives critiques à l'Assemblée nationale, qui a adopté un amendement prévoyant que les futures adhésions à l'Union relèveraient de la procédure de droit commun applicable à la ratification des traités et accords internationaux, à l'exception de celle des Etats dont la population représente au moins 5 % de celle de l'Union européenne, dont l'adhésion resterait soumise à la procédure du référendum.

Le dispositif proposé par l'Assemblée nationale ne paraît pas satisfaisant pour quatre raisons, a estimé M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis.

Tout d'abord, la rédaction retenue, qui réserve un traitement particulier à la Turquie, sans toutefois la nommer, est susceptible de porter un grave préjudice aux relations diplomatiques entre la France et ce pays ami et allié.

L'essence même des dispositions de nature constitutionnelle est de poser des principes de caractère général. Les autorités et l'opinion publique turques ne manqueraient pas d'être extrêmement sensibles à l'adoption d'une disposition qui serait perçue comme discriminatoire à leur endroit.

Au moment où la France va assurer la présidence de l'Union européenne et où elle a fait du projet d'une « Union pour la Méditerranée » l'une de ses priorités, ce serait un mauvais signal adressé à la fois la Turquie, mais aussi à nos partenaires européens et, plus largement, à l'ensemble des pays du pourtour méditerranéen.

Ensuite, cette disposition paraît anachronique. Depuis le 3 octobre 2005, des négociations d'adhésion ont été engagées entre l'Union européenne et la Turquie, cette décision ayant été prise par le Conseil des ministres, à l'unanimité, avec l'accord de la France. Depuis cette date, les négociations avancent lentement. Sur 35 chapitres, seuls, 6 ont été ouverts et un seul provisoirement clos. En outre, ces discussions sont conduites sur la base d'un « cadre de négociations », qui précise que « ces négociations sont un processus ouvert dont l'issue ne peut être garantie à l'avance ». Ainsi, l'éventuelle adhésion de la Turquie à l'Union européenne est une question qui se posera, au mieux, dans une dizaine d'années, et nul ne peut prétendre aujourd'hui connaître l'issue des négociations. Il est clair que la Turquie ne remplit pas, aujourd'hui, les conditions pour devenir membre de l'Union européenne, a souligné M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis.

Mais la question soulevée par le projet de loi constitutionnelle n'est pas de se prononcer aujourd'hui pour ou contre l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, mais de savoir si est maintenue dans la Constitution l'obligation de procéder à un référendum pour toute nouvelle adhésion à l'Union européenne ou bien si l'on restaure la liberté laissée au Président de la République de choisir entre la voie référendaire et la voie du Congrès.

Par ailleurs, la disposition introduite par les députés est également inutile. Non seulement le dispositif initial du projet de loi conserve au Président de la République la faculté de consulter les Français par référendum sur toute nouvelle adhésion à l'Union européenne, mais encore, avec le référendum d'initiative populaire, introduit par l'Assemblée nationale, les citoyens disposeront d'un moyen pour demander l'organisation d'un référendum sur une nouvelle adhésion.

Enfin, le dispositif proposé par l'Assemblée nationale porte atteinte aux prérogatives du Parlement, puisqu'il revient à reconnaître une sorte de supériorité de la voie référendaire sur la voie parlementaire, et il aboutirait à diminuer les prérogatives du Président de la République, élu au suffrage universel direct, en restreignant sa liberté de choix entre la voie référendaire et la voie parlementaire.

Pour ces raisons, M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis, a indiqué qu'il proposerait un amendement visant à rétablir le texte initial du projet de loi constitutionnelle, tel qu'il avait été proposé par le comité constitutionnel.

A l'issue de cette présentation, un débat s'est engagé au sein de la commission.

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