Intervention de Jean-Jacques Hyest

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 20 juin 2007 : 1ère réunion
Régime des prescriptions civiles et pénales — Examen du rapport d'information

Photo de Jean-Jacques HyestJean-Jacques Hyest, président :

a indiqué que la mission d'information constituée par la commission avait procédé à plus de trente auditions, qui lui avaient permis d'entendre tant des représentants des ministères de la justice et de l'économie et des finances que des représentants des magistrats, des avocats, des notaires, des employeurs et des consommateurs, ainsi que de nombreux universitaires.

Il a souligné que l'écoulement prolongé du temps peut conduire soit à l'extinction d'une action appartenant jusqu'alors à une personne juridique (prescription extinctive ou libératoire) -cet effet étant connu tant en matière pénale qu'en matière civile, soit à l'acquisition d'un droit ou d'un bien par la personne qui le détient sans pour autant en avoir la propriété (prescription acquisitive ou usucapion) -seule la matière civile connaissant cette institution.

a relevé que le caractère foisonnant et le manque de cohérence des règles de prescription actuelles donnent un sentiment d'imprévisibilité et parfois d'arbitraire.

Il a exposé qu'en matière pénale, la durée de la prescription de l'action publique -exercée par le ministère public contre l'auteur d'un acte punissable- se déduit en principe de la nature de l'infraction commise et qu'elle est en conséquence d'un an pour les contraventions, de trois ans pour les délits et de dix ans pour les crimes. Il a souligné que cet état du droit s'est fortement compliqué au fil des multiples allongements des délais de prescription, certains délits d'infractions sexuelles se prescrivant désormais par dix ans, tandis que d'autres -notamment en matière de stupéfiants- se prescrivent par vingt ans. Il a également relevé que les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles, que certains crimes -tels les viols sur mineurs- se prescrivent par vingt ans tandis que d'autres, à l'instar des actes de terrorisme, connaissent une prescription de trente ans.

Il a constaté que si les délais de prescription de l'action publique répondent en principe à la gravité des peines encourues, les exceptions se sont multipliées, citant le cas des violences aggravées ayant entraîné une incapacité temporaire supérieure à huit jours, passibles d'une peine de cinq ans d'emprisonnement, qui se voient appliquer une prescription de vingt ans alors qu'à l'inverse, certaines agressions sexuelles autres que le viol, pourtant punies de sept ans d'emprisonnement, se prescrivent seulement par dix ans.

Il a estimé que le sentiment d'arbitraire que peuvent faire naître les règles de prescription en matière pénale résulte également des possibilités, reconnues par la jurisprudence, de report du point de départ des délais de prescription à l'égard de délits « occultes » ou « dissimulés » sans que la détermination des infractions répondant à ces qualifications prétoriennes puisse être dégagée avec une réelle certitude.

Abordant la prescription en matière civile, M. Jean-Jacques Hyest, président, a indiqué que, sous réserve d'hypothèses très circonscrites donnant lieu à imprescriptibilité (biens du domaine public ou droit moral de l'auteur d'une oeuvre littéraire ou artistique, par exemple), la matière civile connaît une prescription de droit commun de trente ans, dans le cadre tant de la prescription acquisitive que de la prescription extinctive, cette durée ne constituant qu'un plafond et s'appliquant seulement en l'absence de dispositions législatives spéciales prévoyant des délais plus brefs.

Il a précisé que l'on compterait aujourd'hui, selon un recensement établi par la Cour de cassation en 2004, plus de deux cent cinquante délais de prescription différents, dont la durée varie de trente ans à un mois, certains champs de l'activité juridique connaissant, de manière généralisée, des délais relativement courts, mais extrêmement divers. Il a indiqué que les obligations entre commerçants se prescrivent, à titre général, par dix ans, mais que la plupart des règles concernant les effets de commerce (chèque, lettre de change...) se voient appliquer des prescriptions de trois ans ou d'un an.

Il a relevé que cet état du droit conduit à des situations paradoxales : si l'action en responsabilité contractuelle est soumise en principe au délai trentenaire de droit commun, l'action en responsabilité extra-contractuelle connaît un délai de prescription de dix ans ; du fait de cette distinction, le passager d'un autobus blessé à la suite d'une collision entre cet autobus et un autre véhicule dispose de dix ans pour agir contre le conducteur de ce véhicule et de trente ans pour agir contre son transporteur afin d'être indemnisé d'un même préjudice.

Il a souligné que les modes de computation des délais apparaissent également problématiques, en particulier au regard de leur point de départ fluctuant. Il a ajouté que certains délais -qualifiés de délais préfix ou de délais de forclusion- ne supportent en principe, à l'inverse des autres délais, ni suspension, ni interruption et peuvent être relevés d'office par le juge, mais que, d'une part, le caractère préfix d'un délai n'est souvent établi avec certitude qu'après que le juge eut statué, d'autre part, tous les délais préfix ou de forclusion ne sont pas soumis à un régime juridique uniforme...

a jugé les règles de prescription du droit français inadaptées à l'évolution de la société et à l'environnement juridique actuel.

Il a observé que, dans une société où le devoir de mémoire et la vertu « restauratrice » du procès pénal sont de plus en plus mis en avant, le droit à l'oubli qu'illustre la prescription est, dans son principe, fortement mis en question tant par les justiciables que par les juges eux-mêmes. Il a ajouté que l'allongement ponctuel du délai de prescription de l'action publique à l'égard de certaines infractions jugées particulièrement graves témoigne de la volonté de poursuivre inexorablement leurs auteurs, avec l'aide des progrès de la police scientifique.

Il a indiqué que le droit français se caractérise par la brièveté des délais de prescription de l'action publique au regard de ceux retenus par les systèmes juridiques voisins, souvent fixés en fonction de la durée de la peine applicable, soulignant que, dans leur grande majorité, les Etats membres de l'Union européenne prévoient la prescription de l'action publique et ont tendance à allonger sa durée.

S'agissant de la prescription en matière civile, M. Jean-Jacques Hyest, président, a fait observer que si les règles relatives à la prescription acquisitive ne donnent pas lieu à des critiques fortes, il n'en va pas de même de la prescription extinctive. Il a insisté sur le fait que le délai de droit commun de trente ans se révèle inadapté à une société marquée par des modifications multiples des relations juridiques, intervenant à un rythme sans cesse plus soutenu, la sécurité des transactions juridiques s'accommodant mal d'une prescription particulièrement longue et d'autant moins nécessaire que les acteurs juridiques ont un accès plus aisé qu'auparavant aux informations indispensables pour exercer leurs droits. Il a insisté également sur le coût, pour les acteurs juridiques, d'une prescription longue, le choix d'un délai de prescription ayant de fortes incidences en matière de conservation des preuves, alors même que cette conservation est aujourd'hui particulièrement encadrée.

Il a exposé que les règles de prescription actuelles présentent un décalage de plus en plus marqué avec celles prévues par nombre d'Etats européens, qui retiennent des durées de prescription de droit commun plus courtes : l'Italie, la Suisse, la Suède et la Finlande connaissent un délai de droit commun de dix ans, le Royaume-Uni un délai de six ans et l'Allemagne un délai de trois ans. Il a relevé que plusieurs Etats ont même institué un délai-butoir, non susceptible d'interruption ou de suspension, au terme duquel le droit du créancier est définitivement éteint.

a indiqué que, sur la base de ces constatations, la mission d'information formule dix-sept recommandations ayant pour objet de rendre le droit de la prescription moderne et cohérent.

Les sept recommandations relatives à la prescription en matière pénale consistent à :

- conserver le caractère exceptionnel de l'imprescriptibilité en droit français, réservée essentiellement aux crimes contre l'humanité ;

- veiller à la cohérence du droit de la prescription, en évitant des réformes partielles ;

- préserver le lien entre la gravité de l'infraction et la durée du délai de la prescription de l'action publique afin de garantir la lisibilité de la hiérarchie des valeurs protégées par le code pénal, en évitant de créer de nouveaux régimes dérogatoires ;

- allonger les délais de prescription de l'action publique applicables aux délits et aux crimes, en fixant ces délais à cinq ans en matière délictuelle et à quinze ans en matière criminelle ;

- consacrer dans la loi la jurisprudence de la Cour de cassation tendant, pour les infractions occultes ou dissimulées, à repousser le point de départ du délai de prescription au jour où l'infraction est révélée, et étendre cette solution à d'autres infractions occultes ou dissimulées dans d'autres domaines du droit pénal et, en particulier, en matière criminelle ;

- établir, pour les infractions occultes ou dissimulées, à compter de la commission de l'infraction, un délai-butoir de dix ans en matière délictuelle et de trente ans en matière criminelle, soumis aux mêmes conditions d'interruption et de suspension que les délais de prescription ;

- fixer l'acquisition de la prescription au 31 décembre de l'année au cours de laquelle expirent les délais de prescription.

a ensuite présenté les dix recommandations de la mission d'information en matière civile, à savoir :

- abaisser de trente ans à cinq ans le délai de droit commun de la prescription extinctive ;

- maintenir, en principe, les délais de prescription extinctive actuellement inférieurs à cinq ans, sous réserve d'un examen au cas par cas de leur pertinence ;

- étendre le délai de cinq ans aux prescriptions extinctives d'une durée plus longue, notamment aux obligations entre commerçants ou entre commerçants et non commerçants, sous réserve d'un examen au cas par cas de leur pertinence ;

- maintenir à trente ans le délai de droit commun de la prescription acquisitive en matière immobilière et la fixation d'une durée abrégée unique de dix ans en cas de bonne foi et de juste titre du possesseur, quel que soit le lieu de résidence du propriétaire de l'immeuble ;

- faire de la négociation entre les parties une cause de suspension de la prescription extinctive, y compris en cas de recours à la médiation ;

- transformer la citation en justice en une cause de suspension de la prescription extinctive et conférer également un effet suspensif à la désignation d'un expert en référé ;

- supprimer les interversions de prescription ;

- prévoir que la durée de la prescription extinctive peut être abrégée ou allongée par voie contractuelle, dans la limite d'un plancher d'un an et d'un plafond de dix ans, sauf en droit des assurances et en droit de la consommation ;

- poser le principe de la soumission des délais dits de forclusion ou préfix au même régime que les délais dits de prescription, tout en conservant au cas par cas des règles spécifiques.

- consacrer les solutions jurisprudentielles en matière de droit transitoire.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion