Intervention de Rachida Dati

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 20 juin 2007 : 1ère réunion
Lutte contre la récidive — Audition de Mme Rachida daTi garde des sceaux ministre de la justice

Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice :

Dans une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition de Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice, sur le projet de loi n° 333 (2006-2007) renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs.

a souligné que la justice, placée au coeur de la démocratie, devrait faire l'objet d'un large consensus. Après avoir exprimé le souhait de restaurer la confiance des Français dans la justice, elle a soutenu que notre pays ne devait pas avoir peur d'une justice réellement indépendante servie par des magistrats soumis à des devoirs. Elle a plaidé pour une justice mieux organisée et plus efficace, évoquant la réforme de la carte judiciaire ainsi que le développement de nouveaux moyens de communication. Considérant que toute violation des lois de la République portait atteinte aux valeurs portées par la France, elle a appelé de ses voeux des réponses fermes et graduées en matière de lutte contre la délinquance, rappelant qu'il s'agissait d'un engagement essentiel du nouveau Président de la République. Elle a par ailleurs prôné une France généreuse et fraternelle déterminée à favoriser la réinsertion des personnes les plus vulnérables, en particulier des mineurs et des détenus. Elle a fait part de son intention de présenter dès cet été des actions en ce sens, citant la présentation d'une loi pénitentiaire et la mise en place d'un contrôle général des lieux privatifs de liberté.

Abordant le projet de loi de lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice, a déclaré que la récidive de crimes et délits exaspérait les citoyens et appelait des sanctions plus sévères.

Elle a indiqué que le projet de loi comportait, d'une part, un volet visant à instaurer des peines minimales applicables tant aux majeurs qu'aux mineurs, d'autre part, des mesures facilitant l'exclusion de l'atténuation de responsabilité des mineurs de plus de seize ans, ces derniers encourant de plein droit les peines prévues pour les majeurs dès la deuxième récidive d'infractions d'une particulière gravité. Dressant un état des lieux de la récidive, elle a exposé que le nombre de condamnations en récidive pour les crimes et délits avait connu une augmentation de 68,5 % entre 2000 et 2005 et que les crimes ou les délits violents avaient, eux, progressé de 145 % sur la même période. La délinquance des mineurs n'échappe pas à ces tendances : elle est de plus en plus violente, de plus en plus fréquente et touche des tranches d'âge de plus en plus jeunes. En attestent les chiffres suivants : 9.509 mineurs ont été condamnés pour des délits de violence en 2005, contre 6.815 en 2000 (soit une augmentation de 39,5 %) et 1.567 mineurs ont été condamnés pour des délits de nature sexuelle en 2005, contre 1.135 en 2000 (soit une augmentation de 38 %). Après avoir observé qu'en 2006, la part des mineurs dans le total des personnes mises en cause pour l'ensemble des crimes et des délits était de 18,3 % et que ce pourcentage était même de 46,8 % pour les vols avec violence, elle a souligné que, selon une récente étude du ministère de la justice, 30,1 % des mineurs condamnés en 1999 l'ont été pour des faits en récidive dans les cinq ans qui ont suivi.

Compte tenu de ces chiffres, elle a appelé de ses voeux une loi pénale plus sévère, donc dissuasive, indiquant que l'emprisonnement deviendrait désormais la peine de principe pour les récidivistes majeurs ou mineurs. Elle a toutefois relevé que le projet de loi maintenait des possibilités d'individualisation des peines, eu égard à la nécessité de permettre au juge de prendre en compte des situations humaines particulières. Soulignant que le droit actuel, en ne prévoyant que le doublement des peines encourues, outre des dispositions procédurales plus sévères et un régime d'exécution des peines plus rigoureux, ne prenait pas suffisamment en compte le phénomène de la récidive, elle a expliqué que le projet de loi entendait fixer des peines-plancher pour les récidivistes.

Déclarant que le Conseil d'Etat avait reconnu la complète conformité du projet de loi à la Constitution, Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice, a rappelé que le Conseil constitutionnel, dans sa décision rendue le 3 mars 2007 sur la loi relative à la prévention de la délinquance, a souligné la nécessité pour le législateur de concilier différentes exigences : d'une part les principes de proportionnalité et d'individualisation des peines, résultant de l'article 8 de la Déclaration de 1789, d'autre part, la nécessité de rechercher les auteurs d'infractions et de prévenir les atteintes à l'ordre public, et notamment à la sécurité des personnes et des biens.

Détaillant le contenu du projet de loi, elle a expliqué que ses deux premiers articles, créant les deux nouveaux articles 132-18-1 et 132-19-1 du code pénal, instaurait des peines minimales d'emprisonnement applicables, dès la première récidive, à l'ensemble des crimes et aux délits punis d'au moins trois ans d'emprisonnement. Ces peines minimales, a-t-elle poursuivi, sont fixées en tenant compte de la gravité de l'infraction.

Pour les crimes, la durée des peines minimales est ainsi fixée dans le projet de loi à : 5 ans pour un crime puni de 15 ans de réclusion ou de détention ; 7 ans pour un crime puni de 20 ans ; 10 ans pour un crime puni de 30 ans ; 15 ans pour un crime puni de perpétuité.

S'agissant des délits, le texte fixe la durée des peines minimales à 1 an pour un délit puni de 3 ans d'emprisonnement ; 2 ans pour un délit puni de 5 ans ; 3 ans pour un délit puni de 7 ans ; 4 ans pour un délit puni de 10 ans.

Elle a précisé que les peines minimales ont été déterminées à partir de l'échelle actuelle des peines hors récidive et que le projet de loi ne modifie pas le principe du doublement de la peine encourue en cas de récidive.

Distinguant, pour l'application des ces peines minimales, d'une part, un régime général applicable aux majeurs et aux mineurs dès la première récidive, c'est-à-dire dans les cas où la personne a déjà été condamnée au moins une fois pour une infraction identique ou assimilée, d'autre part, un régime spécial applicable aux majeurs et mineurs dès la deuxième récidive de certaines infractions d'une particulière gravité, elle a déclaré que le premier régime concerne tous les crimes, ainsi que tous les délits punis d'au moins trois d'emprisonnement. Dans ces hypothèses, la juridiction ne pourra prononcer une peine inférieure au seuil minimal qu'en « considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci ».

Elle a précisé qu'en matière de délits, le tribunal correctionnel devrait alors rendre une décision spécialement motivée et pourrait prononcer une peine autre que l'emprisonnement, tandis qu'en matière de crimes, conformément au droit commun, la cour d'assises n'aurait pas à motiver sa décision et ne pourrait pas prononcer une peine autre qu'une peine d'emprisonnement. Toutefois, a-t-elle observé, la peine ne pourra pas être inférieure aux seuils minimaux prévus à l'article 132-18 du code pénal, c'est-à-dire d'un ou deux ans d'emprisonnement si le crime est puni respectivement d'une peine à temps ou d'une peine à perpétuité.

S'agissant du régime spécial applicable aux majeurs et mineurs dès la deuxième récidive, Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice, a signalé qu'il ne s'appliquait qu'à certaines infractions d'une particulière gravité, à savoir les crimes, les délits comportant un élément de violence ou de nature sexuelle et les délits punis de dix ans d'emprisonnement. Dans ces hypothèses, a-t-elle précisé, la juridiction ne pourra prononcer qu'une peine d'emprisonnement. Toutefois, elle pourra déroger à ce principe si le coupable présente des garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion, à condition, d'une part, en matière criminelle, de respecter les seuils minimaux d'un ou deux ans prévus par le droit actuel, d'autre part, en matière délictuelle, de prendre une décision spécialement motivée. La notion de « garanties exceptionnelles » lui a paru très stricte et pourrait trouver à s'appliquer, par exemple, en matière de récidive criminelle commise, trente ans après les faits ayant entraîné la première condamnation, par une personne qui, entre temps, se serait particulièrement bien insérée socialement.

Abordant les dispositions relatives aux mineurs, elle a souligné que le projet de loi, conformément au principe général d'atténuation de la responsabilité pénale pour les mineurs âgés de treize à dix-huit ans, posé par l'ordonnance du 2 février 1945, prévoyait expressément une diminution de moitié des peines minimales. Toutefois, elle a rappelé que la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance a facilité l'exclusion de cette atténuation de responsabilité, en prévoyant que le tribunal pour enfants pouvait, dans certaines conditions, dès la première récidive, écarter l'atténuation de la peine sans motivation, et en supprimant la notion de « cas exceptionnels » pour la mise en oeuvre de l'exclusion. Après avoir déclaré que le projet de loi maintenait ce régime tout en élargissant la liste des infractions auxquelles il s'applique, elle a relevé que le projet de loi prévoyait de plein droit l'application des peines des majeurs aux mineurs de seize ans reconnus coupables d'une deuxième récidive. Toutefois, a-t-elle nuancé, la juridiction pourra rétablir l'atténuation de peine, soit par décision spécialement motivée du tribunal pour enfants, soit par une décision de la cour d'assises après s'être prononcée sur l'opportunité d'appliquer à l'accusé le bénéfice de la diminution de peine.

a souligné la conformité du texte aux exigences constitutionnelles en matière de justice des mineurs, c'est-à-dire l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l'âge, la majorité pénale demeurant à dix-huit ans, la nécessité de rechercher des mesures éducatives adaptées, ainsi que le jugement par des juridictions pour mineurs spécialisées.

Elle a conclu en indiquant que le projet de loi serait complété par un dispositif soumettant certaines personnes condamnées, notamment pour infractions sexuelles, à une injonction de soins, ajoutant que cette mesure, que la juridiction pourrait toujours écarter, serait subordonnée à une expertise psychiatrique concluant à la possibilité d'un traitement.

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