Intervention de Pascal Clément

Commission des affaires sociales — Réunion du 6 février 2007 : 1ère réunion
Protection juridique des majeurs — Audition de Mm. Pascal Clément garde des sceaux ministre de la justice et philippe bas ministre délégué à la sécurité sociale aux personnes âgées aux personnes handicapées et à la famille

Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice :

a déclaré que ce projet de loi complétait une série de réformes du droit civil de la famille engagées depuis quatre ans : droit du divorce, de la filiation et des successions et libéralités.

Il a rappelé que, depuis une dizaine d'années, de nombreux rapports avaient dénoncé les dysfonctionnements et les dérives du système actuel de protection des majeurs : les lois en vigueur de 1966 et 1968 ne permettent plus de protéger correctement les personnes les plus fragiles, ces textes ayant été conçus pour s'appliquer à quelques milliers d'individus, quand aujourd'hui plus de 700.000 personnes soit, plus de 1 % de la population, sont concernées. Il a ajouté qu'au rythme actuel, ce nombre pourrait atteindre un million en 2010.

Il a expliqué cette croissance de deux façons :

- l'allongement de l'espérance de vie ;

- une application de la loi progressivement détournée de son objet, de nombreuses mesures judiciaires étant prononcées pour des considérations sociales, qui ne justifient en rien la diminution ou la suppression de la capacité juridique des personnes.

Estimant que la protection judiciaire des personnes vulnérables ne devait être envisagée qu'en dernier recours et être limitée au strict nécessaire, il a indiqué que le projet de loi s'attachait à satisfaire ces exigences.

a expliqué que ce texte répondait à un triple enjeu :

- le vieillissement de la société ;

- la plus grande vulnérabilité sociale des personnes dans les sociétés modernes, qui exige de mieux les protéger, sans les déresponsabiliser ;

- l'implication des familles, qui sont aujourd'hui souvent éclatées et éloignées et qui revendiquent d'être mieux informées et plus écoutées.

Il a rappelé que cette réforme, longuement préparée, faisait l'objet d'un consensus auprès des familles et des professionnels concernés.

Il a ensuite présenté le dispositif de droit civil, en indiquant que M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille présenterait le volet social et financier de la réforme.

Il a indiqué que le projet de loi poursuivait trois objectifs :

- recentrer la protection juridique sur ceux qui sont atteints d'une réelle altération de leurs facultés ;

- renforcer et mieux définir leurs droits et leur protection ;

- professionnaliser les intervenants extérieurs à la famille qui exercent la protection juridique.

Concernant le premier objectif, M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice, a souligné que, conformément au principe de nécessité des mesures, la mise sous curatelle ou tutelle d'un majeur ne devait être possible qu'en cas d'altération de ses facultés personnelles, le plus souvent mentales, ou parfois corporelles, cette altération devant être constatée par un certificat médical circonstancié établi par un médecin expert.

En conséquence, il a indiqué que la possibilité de placer une personne sous un régime de protection pour « prodigalité, intempérance ou oisiveté » serait supprimée et qu'à la place, des dispositifs d'accompagnement social adaptés et rénovés seraient mis en oeuvre.

Par ailleurs, il a indiqué que le juge des tutelles ne pourrait plus se saisir d'office, sur le simple signalement d'un tiers, intervenant social ou professionnel médical et que les possibilités de saisine seraient réservées aux membres de la famille, aux proches, ou au procureur.

Il a précisé qu'en proscrivant la saisine d'office du juge, ce projet de loi tendait à favoriser les solutions alternatives à la tutelle.

Il a en effet rappelé que pour protéger une personne vulnérable des solutions juridiques moins contraignantes et moins attentatoires à ses droits existaient ou étaient créées :

- la procuration ;

- le mandat de protection future ;

- l'accompagnement social ;

- la sauvegarde de justice, pouvant être utilisée pour un besoin ponctuel ;

- les règles d'habilitation propres aux régimes matrimoniaux qui permettent la désignation d'un époux pour représenter son conjoint, lorsque celui-ci est hors d'état de manifester sa volonté à la suite d'un accident ou d'une maladie.

Enfin, il a indiqué que la subsidiarité impliquait qu'avant de recourir à la collectivité publique, on se tourne vers la famille, laquelle doit être davantage associée aux procédures judiciaires.

Concernant le deuxième objectif de la réforme, renforcer et mieux définir les droits des personnes protégées, M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice, a tout d'abord mis en exergue la création d'un nouveau dispositif inspiré de certaines législations étrangères, en particulier de celle du Québec : le mandat de protection future.

Il a expliqué que ce dispositif intermédiaire entre la liberté civile et la privation des droits ordonnée par le juge donnerait à chacun le pouvoir d'organiser lui-même sa protection future de manière libre et personnalisée.

Il a précisé que chacun pourrait désormais devancer l'organisation de sa propre protection :

- en désignant un tiers de son choix pour veiller sur sa personne et ses intérêts le moment venu ;

- en définissant, par acte sous seing privé ou par acte notarié, la mission du mandataire et l'étendue de ses pouvoirs.

Il a précisé que la prise d'effet du mandat serait conditionnée à sa présentation au greffe du tribunal d'instance, accompagnée du certificat médical attestant l'altération des facultés personnelles du mandant.

Il a souligné que les parents d'un enfant handicapé pourraient passer un tel mandat pour le jour où ils ne seraient plus en état d'assumer eux-mêmes la protection de leur enfant.

Enfin, il a expliqué que ce mandat de protection future créait un régime de représentation sans entraîner l'incapacité de la personne représentée.

a ensuite souligné que le projet de loi était inspiré par la volonté de protection de la personne, et non plus seulement de son patrimoine.

Il a indiqué que ce principe se traduisait :

- dans le déroulement de la procédure judiciaire, à travers son caractère pleinement contradictoire, la personne étant systématiquement entendue, et pouvant se faire assister d'un avocat ;

- à travers l'obligation faite au juge de choisir la mesure de protection proportionnée à la vulnérabilité et aux besoins de la personne, afin de bannir les mesures de protection trop uniformisées ;

- à travers l'obligation pour le tuteur d'associer la personne protégée, dans la limite de ses capacités, à la gestion de ses intérêts ; en cas de conflit, le juge serait saisi et déciderait après audition de la personne concernée, et exclusivement en considération de son intérêt ;

- à travers le renforcement des modalités de contrôle de l'exécution de la mesure de protection (examen obligatoire tous les cinq ans, comptes rendus des actes et actions effectués pour le compte de la personne protégée, contrôle annuel personnalisé).

Concernant le troisième objectif de la réforme, c'est-à-dire la professionnalisation des tuteurs et curateurs extérieurs à la famille, M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice, a observé que le régime actuel des gérants de tutelle, mandataires spéciaux, tuteurs d'Etat ou encore préposés à la tutelle, était hétérogène et injuste.

Il a indiqué que le projet de loi regroupait ces professionnels sous le régime nouveau des « mandataires judiciaires à la protection des majeurs », qui devraient obéir désormais à des règles communes, organisant leur formation et leur compétence, leur évaluation et leur contrôle, leur responsabilité et leur rémunération.

Il a expliqué que, conformément au droit commun de l'action sociale et médico-sociale, ces professionnels :

- seraient soumis à des procédures d'agrément ou d'autorisation selon qu'ils exercent à titre individuel ou dans un cadre associatif ou institutionnel ;

- devraient satisfaire à des conditions précises et strictes pour obtenir l'agrément par le préfet, en concertation avec le procureur de la République ;

- seraient soumis à un contrôle de leur activité, sous l'autorité du préfet et du procureur de la République, pouvant donner lieu, le cas échéant, à des sanctions.

Enfin, il a indiqué que le financement de l'activité de ces professionnels serait unifié et défini selon des critères plus équitables, plus précis et plus clairs, la personne protégée participant aux frais résultant de sa protection dans la mesure de ses moyens ; en l'absence de ressources suffisantes, un financement public subsidiaire assurerait la rémunération des mandataires.

Après avoir rappelé que le projet de loi constituait une réforme tant sociale que judiciaire, M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, a expliqué que la tutelle, privative de droits et pratiquement jamais révoquée une fois décidée, était actuellement trop souvent utilisée à des fins sociales, à défaut d'autres instruments plus adaptés.

Souhaitant, par conséquent, réserver cette mesure de protection à des situations d'altération grave et permanente des facultés mentales, il a expliqué qu'il convenait de ne plus l'utiliser à des fins d'accompagnement social et de l'encadrer davantage, tout en soulignant que le nombre de majeurs protégés ne cessait d'augmenter du fait des dérives actuelles, ainsi que de la progression de la maladie d'Alzheimer, précisant notamment que 220.000 nouveaux cas étaient ainsi diagnostiqués pour cette maladie chaque année.

Il a indiqué qu'avec le projet de loi, le gouvernement s'engageait à créer et développer des alternatives à la tutelle, à adapter la protection des personnes à l'évolution de leurs capacités, en créant un véritable parcours d'autonomie, à apporter des garanties nouvelles pour les personnes comme pour les familles, afin qu'elles aient toute confiance dans les mesures de protection, et à garantir un financement qui ne pénalise pas les départements.

Il a expliqué que des alternatives à la tutelle étaient indispensables pour les personnes dont les facultés mentales ne sont pas durablement altérées. Il a exposé que le projet de loi prévoyait à cet effet la création d'une mesure d'accompagnement social personnalisé, en amont du dispositif judiciaire, qui prendrait la forme d'un contrat passé avec le président du conseil général et qui comporterait, en vertu du texte adopté par l'Assemblée nationale, une aide à la gestion de l'ensemble de leurs ressources, et pas seulement de leurs prestations sociales.

Il a précisé qu'une mesure judiciaire ne pourrait être envisagée sans qu'un rapport soit établi par le président du conseil général afin d'informer le juge de la situation de la personne et des mesures déjà prises, puis a réaffirmé la nécessité de mettre en place un parcours progressif permettant de prononcer d'abord les mesures les moins contraignantes et, le cas échéant, de les modifier ensuite en fonction de la situation et des possibilités d'évolution de la personne.

Il a ajouté que les familles et les personnes concernées devraient également être mieux associées et mieux entendues au cours de la procédure, expliquant notamment que l'individu placé sous tutelle serait accompagné, écouté et responsabilisé, afin qu'il puisse, à terme, retrouver son autonomie.

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