Nous retrouvons aujourd'hui la réforme de la médecine du travail sur laquelle nous avons déjà beaucoup débattu. Je vous en rappelle les principales étapes : adoption dans le projet de loi relatif aux retraites en octobre ; censure par le Conseil constitutionnel pour des raisons de forme liées à l'absence de lien avec le texte ; dépôt par le groupe centriste du Sénat de cette proposition de loi reprenant les dispositions invalidées ; adoption du texte par le Sénat en première lecture le 27 janvier et examen par l'Assemblée nationale le 30 juin.
Cette proposition de loi définit les missions des services de santé au travail et rappelle le principe fondamental adopté dès 1946 : « Eviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail ». Elle inscrit le principe de l'équipe pluridisciplinaire, qui est au coeur de la réforme ; elle rénove les modalités de gouvernance des services de santé au travail, dont la gestion devient paritaire ; elle prévoit l'élaboration d'un projet de service pluriannuel et la conclusion d'un contrat d'objectifs et de moyens avec l'Etat et les organismes de sécurité sociale ; elle définit le rôle du directeur du service de santé au travail ; elle introduit une nouvelle procédure contradictoire permettant au médecin du travail de proposer à l'employeur des mesures pour préserver la santé des travailleurs, en cas de risque collectif dans l'entreprise. Aujourd'hui, cette procédure n'existe qu'en cas de risque individuel. Cette proposition de loi comprend également plusieurs dispositions pour mieux prendre en compte certaines professions qui sont aujourd'hui mal suivies par la médecine du travail comme les intermittents du spectacle, les mannequins, les VRP, les intérimaires et les saisonniers.
Enfin, le Sénat a largement renforcé, en première lecture, les protections dont bénéficient les médecins du travail dans l'exercice de leurs fonctions en réaffirmant leur indépendance professionnelle par un nouvel article de principe dans le code du travail et en modifiant leur statut pour les assimiler très largement à celui des salariés protégés.
Les modifications que l'Assemblée nationale a apportées sont souvent rédactionnelles ou de précision.
Toutefois, elle a intégré, dans les missions des services de santé au travail, la prévention et la réduction de « la désinsertion professionnelle ». Ce complément est cohérent avec les politiques publiques menées depuis quelques années en matière d'inaptitude au travail : ainsi, le programme n° 6 de la convention d'objectifs et de moyens conclue entre l'Etat et la branche accidents du travail - maladies professionnelles pour la période 2009-2012 fixe pour ambition de permettre aux assurés de reprendre une activité professionnelle dans les meilleures conditions. Confier explicitement cette mission à la médecine du travail renforcera l'interaction entre les différents acteurs concernés.
A ce stade, deux sujets restent donc véritablement en débat.
Tout d'abord, la reconnaissance de la pluridisciplinarité qui est au coeur de la réforme : le monde du travail s'est profondément transformé d'où des risques accrus et diversifiés d'altération de la santé des travailleurs. Il est donc nécessaire de faire appel à des compétences complémentaires à celles des médecins, par exemple pour adapter les postes de travail et éviter les troubles musculo-squelettiques, pour limiter les expositions au bruit ou aux produits dangereux ou prendre en compte les risques psycho-sociaux. En outre, dans un contexte de démographie médicale tendu, le temps clinique du praticien doit être augmenté, ce qui implique de confier certaines tâches non médicales à d'autres spécialistes.
En première lecture, le Sénat n'a pas été suffisamment précis : dans sa rédaction, les missions des services de santé au travail interentreprises étaient « assurées par une équipe pluridisciplinaire autour des médecins du travail et comprenant des intervenants en prévention des risques professionnels et des infirmiers ». L'Assemblée nationale est revenue à la version initiale de la proposition de loi : les missions sont « assurées par une équipe pluridisciplinaire comprenant des médecins du travail, des intervenants en prévention des risques professionnels et des infirmiers ». En outre, elle a confirmé le fait que « les médecins animent et coordonnent l'équipe pluridisciplinaire ». Cette formulation nous donne entière satisfaction.
J'en viens à la gouvernance qui est le sujet le plus discuté, voire le plus disputé.
Rappelons tout de même qu'une avancée essentielle fait consensus : les conseils d'administration seront désormais strictement paritaires, alors qu'aujourd'hui ils sont le plus souvent composés aux deux tiers de représentants des employeurs. De ce fait, la voix du président sera prépondérante, ce qui est indispensable pour débloquer certaines situations exceptionnelles. D'après les auditions que j'ai conduites, il est extrêmement rare que deux blocs s'opposent farouchement au sein de ces conseils, qui sont là pour gérer un service. Les décisions sont plutôt consensuelles ou assez largement partagées.
De ce fait, nos débats se sont focalisés sur la présidence du conseil et plusieurs positions ont été successivement adoptées : un président élu parmi les représentants des employeurs et un vice-président élu parmi les représentants des salariés. C'était la position de la commission mixte paritaire lors de la réforme des retraites, de la proposition de loi initiale et de notre commission en première lecture. Mais, en séance publique, le Sénat a prévu un président et un trésorier élus alternativement parmi les deux collèges. L'Assemblée nationale a finalement préféré un président élu parmi les représentants des employeurs et un trésorier élu parmi les représentants des salariés. Cette dernière formule ne manque pas d'intérêt. En effet, l'article L. 4121-1 du code du travail prévoit que « l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Cette responsabilité personnelle constitue une obligation de résultat et, selon la jurisprudence, l'employeur doit en assurer l'effectivité. C'est d'ailleurs pourquoi l'entreprise finance les services de santé au travail.
De ce fait, il est légitime que les représentants des entreprises adhérentes assument la présidence du conseil d'administration du service de santé au travail : cette responsabilité est intimement liée à celle de l'employeur vis-à-vis de ses salariés. Parallèlement, il est tout aussi justifié que les représentants des salariés puissent assurer un contrepoids au sein du conseil d'administration avec le poste de trésorier.
Avec un président représentant des employeurs et un trésorier représentant des salariés, nous sommes parvenus à un équilibre satisfaisant. La position de l'Assemblée nationale a évolué. Elle a fait une partie du chemin vers la position du Sénat. A nous maintenant d'en faire autant.
Je me félicite également que l'Assemblée ait conservé, dans les missions des services de santé au travail, leur rôle en matière de prévention de la consommation de drogues et d'alcool sur le lieu de travail. Je tenais à cet amendement que je vous avais proposé.
Cette réforme est urgente car la médecine du travail traverse une crise sans précédent. Nous avons beaucoup débattu et nous aboutissons à une solution équilibrée, permettant une amélioration de la prise en charge de la santé au travail.
En conséquence, je vous propose d'adopter le texte de l'Assemblée nationale sans modification.