Intervention de Raphaël Hadas-Lebel

Commission des affaires sociales — Réunion du 28 janvier 2010 : 1ère réunion
Retraites — Présentation du rapport du conseil d'orientation des retraites par mm. raphaël hadas-lebel président yves guégano secrétaire général et mme selma mahfouz secrétaire générale adjointe

Raphaël Hadas-Lebel, président du Cor :

a tout d'abord souligné que le Cor établit pour la première fois un rapport à la demande du Parlement et qu'il faut y voir une illustration du renforcement des pouvoirs des assemblées. Organisme de débat et de délibération, le Cor est composé de parlementaires, de représentants des organisations syndicales et patronales, d'experts indépendants, enfin de fonctionnaires en charge des retraites au sein des administrations. Il est un lieu mensuel d'échanges, sur la base de dossiers transmis aux membres, et publie périodiquement des rapports sur des questions spécifiques.

Le rapport établi à la demande du Parlement sur les modalités techniques du passage éventuel à un régime de retraite par points ou en comptes notionnels est distinct des travaux qu'entreprendra le Cor en vue de la préparation du rendez-vous de 2010 sur les retraites, dont la date et les modalités seront fixées le 15 février prochain. Le Cor effectuera en particulier un travail de mise à jour de ses projections faites en 2007 relatives aux besoins de financement du système de retraite à l'horizon 2050.

Le rapport approuvé par le Cor la veille, soit le 27 janvier, se décompose en trois parties respectivement consacrées aux caractéristiques du système de retraite actuel, à la comparaison des systèmes par annuités, par points ou par comptes notionnels, enfin, aux modalités techniques de remplacement du régime actuel par un autre système.

Le système de retraite français est l'aboutissement d'un processus historique et politique qui a conduit à l'émergence d'un ensemble complexe constitué d'une multiplicité de régimes fonctionnant selon des paramètres très divers. On compte en France plus d'une vingtaine de régimes de base, en ne prenant en compte que les plus importants, et un grand nombre de régimes complémentaires obligatoires fonctionnant en répartition. En outre, la loi de 2003 a encouragé le développement de l'épargne retraite. A la multiplicité des régimes s'ajoutent des règles d'acquisition et de valorisation des droits à retraite différentes, principalement entre régimes de base et régimes complémentaires, et une diversité encore plus grande des paramètres de calcul de la pension. Tandis que la plupart des régimes de base sont des régimes en annuités, à l'exception de ceux des professions libérales et des non-salariés agricoles, les régimes complémentaires sont tous des régimes en points. Les paramètres de calcul des pensions, en particulier le salaire de référence, les âges de départ, le taux de liquidation, sont très divers d'un régime à l'autre. Dans ces conditions, le calcul du montant des pensions est complexe, chaque retraite étant la somme des droits acquis dans les régimes de base et les régimes complémentaires auxquels chacun a cotisé.

La loi de 2003 a cependant engagé un rapprochement des règles de calcul des pensions dans les régimes de base, notamment en alignant les durées d'assurance requises et en indexant l'ensemble des pensions sur les prix.

Le système de retraite français permet aujourd'hui aux retraités d'avoir un niveau de vie moyen proche de celui des actifs. Alors qu'il existait un écart très important entre le niveau de vie des actifs et celui des retraités jusqu'en 1970, cet écart s'est progressivement résorbé. En 2004, le montant de la retraite totale tous régimes pour l'ensemble des retraités s'établissait à 1 288 euros par mois en moyenne (1 617 euros pour les hommes, 1 011 euros pour les femmes en incluant les pensions de réversion). L'écart important de montant de retraite subsistant entre hommes et femmes justifie le maintien de mesures en faveur des femmes au titre des droits familiaux. Si les décisions des juridictions européennes ont contraint la France à modifier les règles relatives aux majorations de durée d'assurance (MDA), la solution choisie dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 paraît équilibrée.

S'il demeure des situations individuelles très difficiles, le taux de pauvreté des retraités, qui s'établit à 9 %, est inférieur à celui des actifs, qui atteint 13 %. Actuellement encore, les générations qui arrivent à la retraite bénéficient de pensions plus élevées que celles précédemment perçues par les personnes qui décèdent, de sorte que le niveau de vie des retraités continue à s'améliorer.

La situation moyenne des retraités est par ailleurs affectée par les mécanismes de redistribution. Il existe une redistribution implicite qui résulte des règles de calcul des droits, dont les effets ne sont pas clairs et qui ne favorisent pas nécessairement les plus petites retraites. Ainsi, la prise en compte des vingt-cinq meilleures années pour le calcul du salaire de référence favorise dans certains cas les retraites élevées. Par ailleurs, la prise en compte de périodes validées non cotisées, notamment au titre du chômage, les droits familiaux et le minimum contributif permettent une redistribution explicite entre les années, qui représente un cinquième du montant total des retraites.

La réforme de 2003 a posé les bases du pilotage du système de retraite en faisant de la durée d'assurance la principale variable d'ajustement, des rendez-vous périodiques devant permettre de réexaminer régulièrement la situation. Ainsi, le rendez-vous de 2008 a conduit à allonger d'un trimestre par an la durée d'assurance entre 2008 et 2012. Ce rendez-vous a suscité des appréciations contrastées dans la mesure où il n'a pas permis d'examiner l'ensemble des problèmes, ce qui explique qu'une nouvelle étape soit nécessaire en 2010.

Malgré les progrès dans le pilotage du système, l'équilibre financier n'a pas pu être atteint puisqu'on assiste à une dégradation structurelle des comptes de l'assurance vieillesse de l'ordre de 1 à 1,5 milliard d'euros par an, à laquelle se sont ajoutés les effets de la crise économique qui a réduit considérablement le niveau des recettes. Ainsi, le déficit de la branche vieillesse du régime général de la sécurité sociale est passé de 5,6 milliards en 2008 à 8,2 milliards en 2009 et pourrait atteindre 10,7 milliards en 2010.

Enfin, la France se caractérise par un certain retard en matière d'emploi des seniors, même si quelques progrès modestes ont pu être constatés au cours des dernières années. La loi qui contraint les entreprises à engager des négociations sur ce sujet commence à produire des effets.

Pour comparer les différents systèmes de retraite, il convient de rappeler les principales caractéristiques de chacun d'entre eux :

- dans les régimes en annuités, la pension est calculée en prenant en compte le salaire de référence, la durée d'assurance nécessaire pour bénéficier d'une retraite à taux plein, enfin, un taux d'annuité qui représente le montant de pension acquis chaque année validée. La pension ne dépend aucunement du montant des cotisations versées ;

- dans un régime en points, le montant des cotisations versées joue un rôle essentiel. L'ensemble des cotisations de chaque assuré est transformé en points et la pension est calculée en multipliant le nombre de points par la valeur de service du point fixée chaque année ;

- enfin, dans un régime en comptes notionnels, chaque salarié est titulaire d'un compte individuel et les cotisations versées forment un capital virtuel. Ce capital est dit « virtuel » car le régime fonctionne en répartition et les cotisations versées sont immédiatement utilisées pour financer les pensions des retraités. Le capital, s'il n'est pas placé, fait l'objet d'une revalorisation annuelle. Dans ce système, le montant de la pension est égal au montant du capital multiplié par un coefficient de conversion calculé de telle sorte que le total du montant des pensions d'une génération soit égal au total des cotisations versées par cette génération.

Dans les systèmes en points ou en comptes notionnels, plus la retraite est prise tôt et moins la pension est élevée : les pensions sont donc directement liées au montant des cotisations versées. La Suède a adopté, en 1998, un système de comptes notionnels sur la base d'un consensus entre les grandes forces politiques du pays. La mise en place de ce nouveau régime a été facilitée par l'existence d'importantes réserves financières qui ont permis d'équilibrer le système dès le départ. En 2001, la réforme a été complétée par la mise en place de dispositifs complémentaires permettant un rééquilibrage en cas de choc économique ou démographique. Toutefois, dans le contexte de la récente crise économique, le gouvernement suédois a été conduit à modifier les règles d'équilibrage pour éviter que celles-ci aient des effets trop importants sur le niveau des pensions.

Quelques éléments de comparaison des trois systèmes peuvent être mentionnés. Les régimes en points et en comptes notionnels sont fondés sur une logique de contributivité, ce qui n'est pas le cas du régime en annuités. Le système en comptes notionnels est souvent vanté pour sa capacité d'autorégulation. Les paramètres utilisés sont tellement contraints que le système tend à l'équilibre financier sur le long terme, même si cet équilibre n'est pas assuré à tout moment. Les systèmes en points et en comptes notionnels sont plus lisibles pour les assurés que les systèmes en annuités puisque le montant de la pension est directement lié au montant des cotisations. Ces systèmes encouragent la prolongation d'activité. En revanche, toutes les techniques de calcul de retraite permettent d'intégrer des mécanismes de solidarité. Il est en effet possible d'ajouter des points ou du capital virtuel au nom d'éléments de solidarité, mais il est alors nécessaire de préciser qui en assure le financement. Par ailleurs, le régime en comptes notionnels ne prévoit aucune mutualisation intergénérationnelle et ne laisse que peu de place à un véritable pilotage par les gestionnaires. A l'inverse, les systèmes en annuités permettent une plus grande souplesse de gestion, au risque que les décisions indispensables ne soient pas prises ou soient remises en cause. Ainsi, la réforme de 2003 prévoyait un transfert de cotisations de l'assurance chômage vers l'assurance vieillesse qui n'a finalement pas été réalisé.

En tout état de cause, quelle que soit la technique de calcul de la retraite, toute évolution repose sur trois leviers essentiels : le niveau des ressources, le niveau des pensions, l'âge effectif de départ à la retraite.

En définitive, il est parfaitement possible techniquement de changer de régime de retraite et tous les systèmes étudiés permettent d'intégrer les préoccupations de solidarité. Un tel changement de système ne poserait pas de difficultés juridiques majeures dès lors que les droits à la retraite ne sont acquis qu'à la liquidation de la pension et que la Cour européenne des droits de l'homme admet que le législateur peut réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général. La décision de mettre en oeuvre un nouveau système de retraite repose donc sur des choix politiques plus que sur des considérations techniques. Une telle mutation, si elle était décidée, devrait être soigneusement préparée et impliquerait de disposer de données parfaitement fiables pour reconstituer l'ensemble des historiques de carrière. Un effort de formation des gestionnaires et une bonne coopération entre les régimes actuels seraient également nécessaires.

Cette réforme ne pourrait se concevoir que si elle était appliquée à une vaste échelle. A cet égard, deux hypothèses sont notamment envisageables : le nouveau système pourrait être appliqué soit à tous les régimes de base, qu'il s'agisse de ceux des salariés du privé ou de ceux des fonctionnaires, soit à l'ensemble des salariés du secteur privé en prenant en compte les régimes de base et les régimes complémentaires. Cette seconde option suppose de s'interroger au préalable sur le système de gouvernance à mettre en oeuvre dès lors que les régimes complémentaires sont aujourd'hui gérés par les partenaires sociaux.

En ce qui concerne la transition entre l'ancien système et le nouveau, plusieurs possibilités s'ouvrent aux autorités. Une application de la réforme aux seuls nouveaux entrants sur le marché du travail étalerait sa mise en oeuvre sur plusieurs décennies. A l'inverse, aucun pays, sinon la Lettonie, n'a choisi de modifier son système sans aucune période de transition. Si les autorités retenaient le principe d'une réforme progressive, deux modalités alternatives pourraient être envisagées. La Suède et la Pologne ont choisi d'affilier simultanément les générations de transition à l'ancien et au nouveau système, afin de reconstituer leurs droits en fin de carrière, le poids du nouveau système étant de plus en plus important au fil du temps. A l'inverse, l'Italie a prévu une affiliation successive des générations de transition dans l'ancien et le nouveau système, le montant de la pension résultant de la somme des droits acquis dans chaque régime.

Enfin, pour opérer un choix entre les systèmes et élaborer une architecture, les responsables politiques devraient définir des priorités entre les différents objectifs qui peuvent être assignés à un système de retraite : pérennité financière, lisibilité, droits des assurés, solidarité intergénérationnelle et intragénérationnelle, cohérence avec d'autres objectifs économiques.

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