Faut-il pour autant renoncer à canaliser cet afflux massif de demandeurs d’asile, qui font de notre pays, précisément en raison de cette tradition d’accueil, de la générosité de nos prestations et de la longueur des délais de traitement des dossiers, le deuxième pays d’accueil au monde derrière les États-Unis, ainsi que le premier d’Europe, alors que la demande d’asile tend à baisser au plan mondial ?
En d’autres termes, pouvons-nous nous résigner à ce qu’un détournement trop fréquent de notre droit d’asile transforme cette procédure en un nouveau canal d’émigration ? Non évidemment, et ce pour deux raisons.
La première raison est la plus essentielle. L’afflux des demandes et la longueur des délais de traitement qui en résulte pénalisent d’abord les demandeurs de bonne foi, c’est-à-dire tous ceux qui ont de vraies raisons de se prévaloir du droit d’asile et qu’une décision rapide pourrait placer sous la protection de l’État, alors qu’ils devront patienter en moyenne près de deux ans. En effet, un tel appel d’air a pour conséquence de stimuler l’ingéniosité des passeurs, voire des filières de toutes sortes qui exploitent la détresse de pauvres gens. À terme, c’est l’existence même du droit d’asile qui est menacée.
La deuxième raison est de pur bon sens. En raison de la logique même du processus, la poursuite d’un tel afflux sera créatrice de nouveaux délais, donc de coûts de prise en charge supplémentaires, ce que notre situation budgétaire contrainte ne nous permet plus d’accepter.
Je le rappelle, au mois d’octobre 2010, la commission des finances a adopté un rapport d’information sur les conséquences budgétaires des délais de traitement du contentieux de l’asile par la Cour nationale du droit d’asile qui a permis d’évaluer à plus de 15 millions d’euros le coût pour les finances publiques d’un mois de délai supplémentaire de traitement des demandes d’asile.
C’est pourquoi, monsieur le ministre, je salue la construction du budget de la mission « Immigration, asile et intégration » pour 2012, en ce qu’elle témoigne de votre volonté de briser ce cercle vicieux, la croissance des moyens affectés visant en priorité à la réduction des délais, qui est clairement identifiée comme l’une des clés du problème. Chacun le sait, il est en effet beaucoup plus compliqué de reconduire dans leur pays d’origine des personnes qui vivent en France depuis un an et demi, voire plus…
La lutte contre les filières d’immigration aux fins de démanteler les réseaux criminels constitue aussi l’une des conditions essentielles qui permettront de sauvegarder l’intégrité du droit d’asile. Ce sont des filières doublement criminelles, d’abord parce qu’elles introduisent clandestinement des personnes sur le territoire, ensuite en raison des traitements souvent indignes qu’elles leur imposent. Je sais que vous en avez fait l’une de vos priorités, sans laquelle aucune amélioration des procédures en vigueur ne saurait se traduire dans les faits. Je relève qu’en un an, les interpellations de passeurs et le démantèlement de filières ont augmenté de 10 % : ainsi, 5 800 passeurs ont été interpellés et 183 filières ont été démantelées.
La loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité a aussi prévu de dissuader les demandes non fondées au travers d’une procédure particulière appliquée aux demandeurs qui fournissent sciemment des informations fausses et tronquées.
Par ailleurs, le Sénat a introduit l’article 162 de la loi du 29 décembre 2010 de finances pour 2011, qui dispose que le bénéfice de l’aide juridictionnelle devant la CNDA doit être demandé au plus tard dans le mois suivant la réception, par le demandeur, de l’accusé de réception de son recours. Sans priver les requérants du droit d’asile à l’aide juridictionnelle ou en limiter l’accès, cette disposition nouvelle devrait éviter que les demandes d’aide juridictionnelle ne soient formulées au dernier moment, lors de l’audience publique.
Est-ce pour autant suffisant ? Je crains que non ! C’est tout le sens de cette analyse qui vous a conduit à annoncer la semaine passée une réforme prochaine du droit d’asile visant à rendre plus sélectives les conditions d’accès à la procédure comme à en réduire le coût budgétaire.
Désormais, un seuil de quatre-vingt-dix jours sera retenu pour faire une demande de statut de réfugié, alors qu’une directive européenne datant de 2005 instaurait la notion plus subjective de « délai raisonnable ». C’est dans cette perspective que s’inscrit également la suspension des prestations sociales accordées aux demandeurs qui fraudent ou qui ne coopèrent pas loyalement avec l’administration. Vous avez également annoncé l’extension de la liste des pays d’origine « sûrs » à certains États dont émanent nombre de demandeurs d’asile alors même que l’évolution politique ne le justifie plus. Un pays est en effet considéré comme « sûr » s’il veille « au respect des principes de la liberté, de la démocratie et de l’État de droit, ainsi que des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».
Il n’en reste pas moins, dans l’attente du plein effet de ces mesures, que notre pays risque de rester attrayant, eu égard aux divergences encore persistantes entre les politiques d’accueil et de traitement des demandeurs d’asile et les législations des pays d’Europe.
J’aimerais, monsieur le ministre, que vous m’éclairiez sur l’évolution de la politique européenne en matière d’immigration, amorcée par l’adoption en 2008 du Pacte européen sur l’immigration et l’asile, et qui me semble être est le corollaire indispensable des efforts que vous déployez.
En janvier 2010, Jacques Barrot, alors commissaire européen à la justice, la liberté et la sécurité se fixait pour objectif de disposer d’une procédure unique d’instruction des demandes d’asile à l’échéance de 2012. Nous en sommes encore bien loin aujourd’hui, alors même que l’arrêt du 21 janvier dernier de la Cour européenne des droits de l’homme a sérieusement remis en cause le règlement de Dublin II, qui responsabilisait nos partenaires européens en faisant de tout pays placé en première ligne le gardien de sa part de frontière européenne. Vous conviendrez avec moi, cette étape, qui a coïncidé avec les déplacements de population que l’on connait résultant du printemps arabe, rend plus que jamais indispensable une coordination entre les pays de l’espace Schengen.