Intervention de Bernadette Bourzai

Réunion du 2 décembre 2011 à 15h45
Loi de finances pour 2012 — Compte d'affectation spéciale : développement agricole et rural

Photo de Bernadette BourzaiBernadette Bourzai :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je partage les analyses et les commentaires de mes collègues Yannick Botrel, Renée Nicoux et Odette Herviaux ; ils ont souligné les points faibles de ce budget de l’agriculture, dont les crédits diminuent.

Pour ma part, je vais vous présenter quelques observations au sujet des programmes de la mission « Agriculture, pêche, alimentation, forêt et affaires rurales ».

La principale sera pour dénoncer la faiblesse du dispositif budgétaire de gestion des crises sanitaires ou climatiques. En 2011, pourtant, nous avons successivement dû faire face à la crise sanitaire de l’escherichia coli, attribuée à tort aux producteurs de concombres, et la sécheresse du printemps qui, se prolongeant au seuil même de l’hiver, a contraint les éleveurs à décapitaliser une partie de leur troupeau.

Le système assurantiel mis en place par la LMAP n’est pas opérationnel, malgré l’incitation financière communautaire qui représente 75 % du financement public. Surtout, la question se pose de la réassurance publique, que vous n’avez pas voulu inscrire dans la loi.

À ce propos, monsieur le ministre, le Gouvernement devait nous remettre un rapport avant la fin du mois de décembre 2010. Nous l’attendons toujours…

Par ailleurs, la dotation des actions n° 11, Gestion des forêts publiques et protection de la forêt, et n° 12, Développement économique de la filière et gestion durable, n’est pas à la hauteur des enjeux : la nécessaire mobilisation de la ressource en bois, la surexploitation de certains sites forestiers et, surtout, l’impérieuse nécessité de reboiser pour assurer, dans une démarche de développement durable, la pérennité de la ressource à long terme.

Surtout, la situation de l’Office national des forêts, l’ONF, demeure préoccupante, même si une nouvelle source de financement a été trouvée. La contribution des communes forestières à hauteur de 2 euros par hectare sur la période 2012–2016 et la subvention exceptionnelle de l’État en 2012 suffiront-elles pour que cet organisme public puisse assurer ses missions ?

Sept cents nouvelles suppressions d’emplois sont prévues pour la période 2012-2016. Cette nouvelle coupe dans les effectifs aggrave le malaise interne préjudiciable au bon fonctionnement de la structure. Celui-ci se traduit, monsieur le ministre, par de trop nombreux suicides parmi les personnels, qui regrettent qu’« on ne parle plus de forêt » à l’ONF, mais seulement de productivité et de compétitivité.

Ce constat rejoint nos observations sur le programme 215 « Conduite et pilotage des politiques de l’agriculture » : la poursuite programmée des suppressions d’emplois désorganise les services de FranceAgriMer, de l’Agence de services et de paiement, l’ASP, ou de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES.

Pourtant, la baisse des effectifs finira bien par atteindre ses limites… D’autant que certains services se voient attribuer des missions supplémentaires ! C’est notamment le cas de l’établissement FranceAgriMer, désormais chargé d’assurer des missions d’intermédiaire pour la transmission des données des opérateurs à l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires.

Surtout, je veux dénoncer la suppression inadmissible de deux cent quatre-vingts postes dans l’enseignement agricole public et privé, prévue dans la mission « Enseignement scolaire » que nous avons examinée hier.

Prolongeant la saignée pratiquée depuis des années, ces suppressions menacent gravement la formation des nouvelles générations d’agriculteurs. Celles-ci devront pourtant relever le défi de la future PAC et celui d’une agriculture à la fois productive et respectueuse de son environnement : une agriculture qui devra concilier la performance économique et la performance écologique.

Je souhaite maintenant évoquer trois problèmes pesant, de manière spécifique, sur l’avenir de l’agriculture française. Ils ont été mis en évidence par le recensement général de l’agriculture, le RGA, mené en 2010.

Le RGA a fait apparaître une restructuration inquiétante pour le modèle agricole français : en dix ans, l’agriculture française a perdu un quart de ses exploitations ; elle ne compte plus désormais que cinq cent mille exploitations et près de 1 million d’emplois.

L’évolution de la superficie moyenne des exploitations confirme ce processus de concentration et d’agrandissement : elle gagne treize hectares pour atteindre cinquante-cinq hectares.

Le nombre des petites et moyennes exploitations diminue fortement, surtout dans les secteurs de l’élevage et de la polyculture-élevage. Au contraire, le nombre des grandes exploitations est stable et, pour la première fois, le secteur céréalier et oléagineux représente plus d’exploitations que l’élevage.

Je vous en parle avec d’autant plus d’inquiétude que la région Limousin, dont l’agriculture est principalement orientée vers l’élevage, connaît une évolution comparable : le nombre des exploitations est en baisse de 25 %, les filières ovine et bovine rencontrent des difficultés consécutives à la baisse des cours intervenue depuis 2008 et les charges augmentent, en raison notamment de la hausse du prix de l’alimentation du bétail. Et le tout est aggravé par la sécheresse qui perdure depuis quasiment le printemps.

Que la modeste embellie des cours de l’automne et l’augmentation des subventions liées au bilan de santé de la PAC ne fassent pas illusion ! Elles ne compensent même pas la hausse des charges et la situation financière des exploitations est gravissime.

Or, dans un rapport récent, l’Institut de l’élevage envisage un nouvel agrandissement des exploitations. C’est donc une nouvelle restructuration qui se profile et elle est d’autant plus inquiétante que la transmission des exploitations n’est pas assurée.

En effet, le RGA révèle que, en Limousin, 80 % des chefs d’exploitation ont plus de quarante ans et que 190 000 hectares – soit 10 % de la surface agricole utile de la région – sont valorisés par des exploitants d’au moins cinquante-cinq ans, dont les trois quarts déclarent ne pas savoir ce que vont devenir leurs terres agricoles à leur cessation d’activité.

C’est dire, monsieur le ministre, s’il est urgent de mettre en œuvre une politique volontariste d’installation de nouveaux agriculteurs.

Or votre proposition de budget ne tient pas suffisamment compte de ce défi puisqu’il est réduit de 1, 7 million d’euros. C’est pourquoi nous présenterons un amendement visant à doubler la taxe sur les plus-values foncières lors de la vente de terrains nus rendus constructibles du fait de leur classement en zone urbaine et dont le produit est affecté à l’installation de jeunes agriculteurs.

J’en viens au deuxième problème que je souhaitais évoquer.

Face aux difficultés de l’agriculture française, vous proposez une stratégie d’exonération de charges patronales pour le travail permanent dans le secteur agricole. La mesure porterait sur 1 euro par heure, pour un coût total de 210 millions d’euros, financés pour partie par la taxe sur les boissons sucrées et pour le reste par la détaxe du fioul.

D’un côté, on baisse les charges patronales, mais, de l’autre, on augmente les charges liées au fioul. Ce que vous donnez d’une main, vous le reprenez de l’autre. En outre, nous ne disposons d’aucune étude d’impact de ces mesures dans la profession agricole.

Le secteur céréalier, par exemple, est très mécanisé, mais emploie peu de main-d’œuvre. En revanche, pour les serristes, qui emploient beaucoup de main-d’œuvre, le prix du fioul représente 30 % des charges.

Cela va être très dur pour eux et je m’interroge sur l’efficacité du dispositif proposé, car il ne cible pas les secteurs les plus fortement employeurs de main-d’œuvre, dont celui des fruits et légumes, qui déclare ne pas pouvoir en bénéficier, les salaires dépassant le seuil de 1, 4 SMIC.

De fait, cette mesure risque même de constituer « une trappe à bas salaires ». En somme, puisqu’on n’a pas réussi à imposer dans notre pays un plafonnement des hauts salaires, on plafonne les bas salaires !

Toutefois, et malgré nos nombreuses réserves, nous ne pouvons ignorer les attentes fortes émanant de la profession agricole, mais nous ne sommes pas dupes du moment choisi pour l’annonce de cette mesure et nous ne sommes pas convaincus que cela suffira à réduire les différences de compétitivité.

En effet, quels bénéfices peut-on attendre d’une telle mesure sur les ventes de produits agricoles ? Je souhaite rappeler ici que, si les parts de marché de la France à l’export baissent, les prix agricoles, quant à eux, stagnent depuis des années à un niveau assez bas, alors que, sur la même période, les prix à la consommation augmentent.

En conséquence, cette baisse des charges aura vraisemblablement peu d’influence sur les prix des produits agricoles, sans compter qu’elle peut être considérée comme « euro-incompatible ».

Par ailleurs, cette stratégie d’exonération est coûteuse puisque, en 2012, elle absorbera près de 700 millions d’euros, somme qui aurait pu être utilisée pour des mesures plus structurantes pour l’avenir des filières, comme la recherche et l’innovation, la modernisation des bâtiments, etc.

S’il y a une véritable distorsion de concurrence entre les pays européens sur le coût du travail, c’est d’abord au niveau européen que cette question doit se régler via une politique d’harmonisation fiscale et sociale.

D’ailleurs, un accord entre le parti socialiste et le SPD allemand a été signé sur un salaire minimum dans l’agriculture.

Nous devons lutter contre le dumping social et non nous aligner !

Les pratiques d’exploitation de la main-d’œuvre étrangère, notamment roumaine, qui se développent dans le secteur agricole allemand doivent être dénoncées. Le niveau de rémunération et les conditions de vie de ces travailleurs étrangers sont scandaleux.

D’ailleurs, le coût du travail en France est-il si lourd ?

La part des charges salariales en France dans les charges totales est même plus faible qu’en Allemagne : 7, 8 % contre 8, 8 %.

En revanche, il est vrai que l’écart se creuse dans les secteurs les plus employeurs de main-d’œuvre : dans le maraîchage et l’horticulture, leur poids est de 24, 1 % en France contre 23 % en Allemagne et dans le secteur de l’arboriculture fruitière, il est de 32, 3 % contre 21, 4 %.

Ce sont donc essentiellement ces filières agricoles qui devraient être aidées.

Nous serons particulièrement attentifs aux propositions du commissaire européen Dacian Cioloş sur le plafonnement des aides dans le cadre de la réforme de la PAC, pour que les secteurs employant beaucoup de main-d’œuvre soient mieux traités.

J’aborde, enfin, le troisième problème que je voulais évoquer. Vous le savez, monsieur le ministre, nous sommes à la veille d’une grande réforme de la PAC pour la période 2014–2020.

Dans les premières discussions du cadre financier pluriannuel pour 2014–2020, les États membres se sont mis d’accord pour maintenir le budget global de la PAC en euros courants sur base 2013, ce qui est plutôt rassurant par comparaison avec les premières propositions.

Mais il faudra rester vigilant, car les négociations sur le cadre financier pluriannuel ne font que commencer et le contexte de crise que traverse l’Europe peut conduire à des coupes budgétaires, comme lors de la fixation des perspectives financières 2007–2013, le second pilier, qui n’était pas sanctuarisé, s’étant vu taillé de 35 %.

Nous souscrivons aux objectifs de la réforme de la PAC, mais nous sommes beaucoup plus réservés sur les moyens qui sont proposés. Nous attendons du débat que des améliorations soient proposées.

Nous regrettons la disparition programmée des instruments de gestion de la production – quotas laitiers, droits de plantations pour la vigne, par exemple – et l’absence totale d’outils de régulation des marchés agricoles.

À ce propos, nous aimerions avoir un peu plus d’informations sur les résultats du G20 agricole.

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