Je ne suis ni intégriste ni passéiste, pour employer les qualificatifs dont on nous affuble. En revanche, je suis utopiste, j’en conviens, car l’utopie est devenue nécessaire par les temps qui courent.
Mes chers collègues, nous devons assumer nos responsabilités en tant que politiques, en faisant preuve de lucidité face à la situation présente.
En effet, la société dans son ensemble subit de nombreuses évolutions, qui touchent particulièrement l’agriculture. Or, personnellement, je ne crois plus au modèle agricole actuel, comme beaucoup de Françaises et de Français, en particulier parmi les jeunes.
Face à la pensée encore dominante, une résistance active s’organise peu à peu pour défendre le droit de vivre autrement, de penser autrement, de produire autrement. Nous ne pouvons que nous réjouir qu’elle soit désormais représentée et que sa voix puisse être entendue dans cette assemblée.
Mes chers collègues, je vous exprime mes convictions profondes, avec ces armes pacifiques dont Léo Ferré disait qu’elles savent « mettre de la poésie dans les discours ».
On évoque souvent les neuf milliards d’êtres humains que le monde comptera bientôt. Affirmer que la productivité française devra augmenter, en conséquence, de 70 % à 100 % nous semble toutefois impensable ; de fait, alors que nous continuons d’appauvrir les pays tiers, la France ne peut pas indéfiniment augmenter ses exportations ! Le cas du Brésil l’illustre : au sein de ce grand pays exportateur, douze millions de paysans sont contraints de vivre dans les favelas.
Monsieur le ministre, vous soulignez que ce budget apporte des réponses structurelles aux besoins de l’agriculture française pour « relever le défi agricole mondial ». Vos ambitions sont claires : l’augmentation de la production et la compétitivité sur les marchés mondiaux.
Des conceptions différentes de l’agriculture et de sa place dans la société s’affrontent aujourd’hui, dont l’une, véritablement dominante, dans laquelle la part consacrée à une agriculture ultra-spécialisée, prête à conquérir les marchés mondiaux, est de plus en plus importante.
En 2010, le revenu moyen de la profession agricole s’élevait à 24 300 euros par an. Néanmoins, ce chiffre cache de grandes disparités entre les filières et entre les régions.
Mes chers collègues, le monde agricole va mal, très mal, à l’exception d’une minorité qui vit très bien. À l’heure actuelle, 25 % des paysans perçoivent un revenu inférieur au RMI, 40 % d’entre eux ne gagnent pas même le SMIC. De fait, le secteur agricole n’a pas vu ses revenus progresser depuis le début des années quatre-vingt.
Le système agricole qui reste le nôtre est à bout de souffle et les agriculteurs en sont les premières victimes. Les précédents orateurs l’ont déjà souligné : le nombre d’exploitations agricoles a encore chuté de 26 % ces dix dernières années. Plus d’un quart d’entre elles !
Les petites et moyennes exploitations de polyculture et élevage sont les grandes victimes de ce système productiviste qui fournit des aliments de qualité très moyenne et sacrifie l’emploi dans les campagnes. Ce processus est inquiétant car, contrairement à la monoculture, la polyculture garantit la rotation des terres et donc leur fertilité pérenne, préservant ainsi la biodiversité agricole.
Face à la nécessité de réduire nos émissions de gaz à effets de serre, c’est bien le développement de petites et moyennes exploitations de proximité – destinées à nourrir les hommes là où ils vivent – qui fera sens.
Certes, il faut préserver notre souveraineté alimentaire, mais en défendant une agriculture paysanne d’avenir, moderne et mécanisée sans excès. Cet objectif induit le développement de circuits courts de commercialisation – ce mouvement est d’ores et déjà engagé, il doit encore prendre de l’ampleur –, la protection des semences paysannes, l’accès à la terre et à l’eau. Il faut constituer des réserves alimentaires physiques et diversifiées pour stabiliser les prix et gérer les risques en cas d’urgence et de catastrophes naturelles ; il faut aussi, bien sûr, prendre des mesures pour interdire la spéculation sur les aliments.
À ce titre, l’adoption conforme par l’Assemblée nationale, lundi dernier, de la proposition de loi relative aux certificats d’obtention végétale qui crée un nouveau type de brevetage du vivant, le « droit de propriété intellectuelle original », est inadmissible : de fait, ce texte porte une atteinte grave aux droits fondamentaux des agriculteurs, celui de prendre part à la protection de la biodiversité. Il porte également atteinte à leur indépendance, pourtant si nécessaire face aux lobbies des semenciers.
Mes chers collègues, j’espère que, dans un avenir proche, l’abrogation de cette loi scélérate deviendra une priorité nationale.
Pour sortir le secteur agricole de la crise où il est plongé, la principale stratégie du Gouvernement consiste à réduire le coût du travail. Ainsi, des coupes drastiques ont été opérées, à hauteur de 11 % pour la modernisation des exploitations, et de 39 % pour l’action Gestion des crises et des aléas de production.
Par ailleurs, le présent projet de loi de finances ne met pas l’accent sur la qualité sanitaire des aliments. Je citerai deux exemples à ce propos.
Premièrement, qu’a fait l’actuelle majorité gouvernementale contre les pesticides qui empoisonnent non seulement les agriculteurs mais aussi notre alimentation ? Le Sénat a logiquement voté une hausse de la TVA pour les produits phytosanitaires, portée de 5, 5 % à 19, 60 %. J’ose espérer qu’on ne reviendra pas sur cette mesure.
Monsieur le ministre, un récent rapport du Centre d’analyse stratégique, rédigé à la demande du ministère, plaide en faveur de l’arrêt des aides publiques dommageables à la biodiversité. Vous feriez bien de vous en inspirer !
Deuxièmement, le Gouvernement persiste à subventionner de fait les agro-carburants, alors que leurs effets néfastes sont connus. Ainsi, en juin 2011, sept banques se sont regroupées pour cultiver 10 000 hectares de terres en Sierra Leone et produire, d’ici à 2014, près de 90 000 mètres cubes d’éthanol carburant.
Cette production nécessite de vastes monocultures qui s’étendent au détriment des productions vivrières. Elle est destinée aux pays riches, qui font face à des difficultés énergétiques depuis la fin du pétrole bon marché et qui ont à cœur de « verdir » leur image. L’alimentation des populations locales est donc mise en péril, les dégâts sont importants : on évoque souvent neuf milliards d’êtres humains à nourrir, commençons par cela et cessons de les piller !
La surface globale mondiale consacrée aux agro-carburants est passée de 13, 8 millions d’hectares en 2004 à 37, 5 millions d’hectares en 2008, soit deux fois la surface cultivable de la France.
Le Sénat a voté la suppression de l’exonération de la taxe intérieure de consommation pour les agro-carburants, et j’espère que l’on n’osera pas revenir sur cette décision.
Monsieur le ministre, résisterez-vous aux arguments de M. Beulin, par hasard président de la FNSEA, mais également P-DG du groupe industriel Sofiproteol, spécialisé dans la production d’agro-carburants et dans l’importation de soja transgénique, via sa filiale Glon-Sanders ?
Comment justifier aussi la baisse de 7, 5 % du budget de l’administration et des établissements publics, notamment de l’ANSES, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail ?
Le sort fait à l’agriculture biologique dans ce budget est également révélateur : le crédit d’impôt en faveur des entreprises agricoles utilisant le mode de production biologique est divisé par deux pour 2012.
À la fin du mois de juillet 2010, seulement 2, 46 % de la surface agricole utile était en agriculture biologique. À ce rythme, l’objectif de passer à 6 % de la surface agricole utile en 2012 et à 20 % en 2020 ne sera pas atteint. Pourtant, à condition de s’en donner les moyens, on peut – et on doit ! – atteindre cet objectif, d’autant qu’un récent rapport scientifique international atteste qu’une agriculture biologique moderne, mécanisée sans l’être à l’excès, peut très bien nourrir la planète.
Il est vraiment temps de mettre un terme à certaines incohérences et à certains dysfonctionnements.
En ce qui concerne la gestion des pêches et de l’aquaculture, cette action ne représente que 3 % du budget de la mission. C’est principalement l’agence FranceAgriMer qui met en œuvre les engagements budgétaires, un organisme dont le budget avait sévèrement été amputé lors de la précédente loi de finances. Selon la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique, les quotas individuels attribués à chaque navire par les gouvernements nationaux sont supérieurs à la capacité de capture de ces navires, ce qui encourage de fait la surpêche, alors même que 88 % des stocks de poissons sont surexploités en Europe. En la matière, la France n’est pas exemplaire.
À l’heure actuelle, les permis de pêcher sont attribués en fonction des volumes capturés antérieurement : cela épuise les ressources halieutiques et avantage les plus grosses compagnies, qui n’ont pas nécessairement pour objectif l’intérêt général, et qui s’accaparent les ressources. Pour nous, écologistes, le droit de pêcher devrait être conditionné au respect de critères environnementaux et sociaux.
En conclusion, nous ne voterons pas le budget de cette mission. Nous ne nous résignerons pas face à cette mort annoncée et programmée d’une certaine agriculture française et de ceux qui la font vivre.
Nous défendons au contraire le droit des agriculteurs à faire une agriculture de qualité et à pouvoir vivre de leur production. La terre nourricière doit être de nouveau considérée comme un bien commun, et le métier de paysan comme un métier d’utilité publique.