Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen du budget de l’agriculture nous pousse à nous interroger sur l’avenir de notre modèle agricole dans une conjoncture de plus en plus incertaine au vu des mutations économiques, sociales et désormais environnementales auxquelles nous devons faire face. Les diverses interventions de cet après-midi l’ont bien démontré, ce n’est pas dans un esprit très serein que nous appréhendons cet avenir.
À cette inquiétude justifiée vient s’ajouter un scepticisme qui l’est également quant à l’adaptation des mesures qui nous sont proposées actuellement pour apporter une réponse durable à la crise traversée par nos agriculteurs.
Nous savons tous que l’avenir de notre agriculture ne pourra malheureusement pas se régler uniquement à l’échelon national. L’Europe a un rôle central à jouer, tout comme l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC. Or, pour l’instant, les décisions prises sont décevantes, car elles restent très largement orientées vers les marchés, au détriment des hommes et des territoires.
La mondialisation et l’évolution des pratiques agricoles font que nous ne pouvons plus voir notre agriculture comme il y a quarante ans ; c’est une évidence. Mais, dans le même temps, cette mondialisation ne doit pas se faire sans garde-fou, et l’ouverture de nos économies doit inévitablement s’accompagner de véritables outils de régulation et d’harmonisation des pratiques aux niveaux européen et mondial. Ce constat est vrai en agriculture comme ailleurs.
Dans ce cadre, les réflexions menées actuellement sur la nouvelle PAC sont cruciales. J’espère qu’elles donneront lieu à une véritable prise de conscience collective, celle de la nécessité de repenser notre modèle agricole dans son ensemble, afin qu’il soit en phase avec nos besoins et nos attentes, que ce soit en termes non seulement économique, mais aussi social, environnemental et sanitaire !
En effet, il est impensable de continuer d’appréhender l’agriculture sous le seul prisme de la compétitivité, telle qu’elle s’entend sur les marchés financiers. En agriculture, plus encore qu’ailleurs, il faut redéfinir la compétitivité. Si cela ne s’entend que par une recherche du moindre coût, l’agriculture française telle que nous la voulons est condamnée à disparaître.
En revanche, si, par compétitivité, nous entendons qualité des produits, respect des normes environnementales ou sanitaires, développement des circuits courts, création d’activités dans les territoires, alors les agriculteurs français ont toutes leurs chances, car ils ont dans ce domaine de véritables atouts. Mais encore faut-il vouloir s’engager vers un système qui valorise et rémunère ces pratiques !
Malheureusement, aujourd’hui, nous ne sommes pas dans cette optique, le budget de cette année en est une illustration. Ainsi, l’axe majeur du présent budget, sa mesure phare tout au moins, repose sur une exonération des cotisations patronales sur le travail permanent pour les plus bas salaires, permettant de baisser de 1 euro par heure le coût du travail rémunéré au SMIC.
Comme l’année dernière, c’est ainsi que le Gouvernement semble percevoir la compétitivité de notre agriculture : par une recherche des plus bas coûts de main-d’œuvre. Or, à ce jeu-là, nous serons inévitablement perdants, car nous trouverons toujours moins cher que nous dans le monde.
Même si ces mesures peuvent soulager momentanément les agriculteurs, force est de constater qu’elles ne répondent pas aux problèmes de fond en ne s’inscrivant pas dans une politique de soutien et de développement à long terme de notre agriculture.
Nous en avons tous conscience, le contexte économique actuel est difficile, mais il faut absolument substituer à ces mesures conjoncturelles des mesures structurelles.
Certes, je ne le conteste pas, les salaires et les charges peuvent peser lourd dans les comptes d’exploitation des maraîchers, arboriculteurs ou viticulteurs, secteurs qui nécessitent beaucoup de main-d’œuvre.
Il est vrai aussi que certains États membres de l’Union européenne, parmi lesquels l’Allemagne et l’Espagne, pratiquent un véritable dumping social avec des salaires très bas et des charges faibles, voire inexistantes, sur le travail salarié agricole. Ma collègue en a parlé tout à l’heure et nous sommes tous à le regretter.
Toutefois, la méthode que vous avez choisie n’est pas sans soulever de nombreuses interrogations. Tout d’abord, le financement de cette exonération par une augmentation de la taxe sur le gazole non routier revient à faire payer aux agriculteurs une aide en leur direction.
Ensuite, ce choix apparaît bien coûteux pour les finances publiques, car il faut compenser la moindre recette auprès de la mutualité sociale agricole, la MSA. Ne peut-on craindre des effets d’aubaine ?
Autre question qui se pose, celle de l’eurocompatibilité. Ces exonérations ne risquent-elles pas d’être considérées comme une aide sectorielle ?
Enfin, quelle sera l’efficacité réelle de cette mesure en matière de compétitivité ? Rien ne nous assure que le gain de 1 euro de l’heure sera répercuté sur le prix de vente des produits. Or, en limitant cet allégement aux bas salaires, ne risquez-vous pas d’entretenir la précarité et les faibles rémunérations ? En effet, pour bénéficier entièrement de cette mesure d’exonération de charges, les exploitants agricoles seront incités à payer leurs salariés moins de 1, 1 SMIC, au risque de paupériser toute une profession.
Monsieur le ministre, lutter contre le dumping social en Europe doit être un objectif majeur, mais l’objectif ne doit pas être de nous aligner sur ceux qui pratiquent le dumping social ! Tant que nous n’assurerons pas à nos agriculteurs un revenu décent, notamment par un contrôle assidu de la « construction » des prix, nous ne résoudrons pas le problème.
J’en profite ici pour dire quelques mots sur l’état d’application de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, dite LMAP, qui devait justement donner de nouveaux outils à notre agriculture pour qu’elle sorte de la crise. Monsieur le ministre, un an et demi après son adoption, son bilan est plus que mitigé.
La contractualisation, recette miracle de la LMAP, peine à se mettre en place. Les contrats proposés sont majoritairement individuels, et non collectifs. De ce fait, les rapports de force entre producteurs agricoles et acheteurs continuent d’être très largement au détriment des premiers. Le conflit entre Lactalis et ses producteurs, qui refusent de signer le contrat très déséquilibré qui leur est proposé, montre bien que la contractualisation n’est pas la solution miracle. La contractualisation est quasi inexistante dans le domaine de l’élevage bovin.
De son côté, l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires ne fait qu’observer les déséquilibres persistants entre l’amont et l’aval de la chaîne de production. Cet organisme n’ayant pas vocation à les corriger, qu’est-il envisagé pour y remédier ?
En conclusion, monsieur le ministre, mes chers collègues, malgré une conjoncture économique difficile et un budget inévitablement contraint, je ne peux me résoudre à voter les crédits de cette mission, qui manque d’ambition pour le monde agricole.