Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ferai plusieurs observations sur les crédits de la mission « Conseil et contrôle de l’État ».
Première observation, je me félicite de l’augmentation de 3, 4 % des crédits de paiement en faveur de la justice administrative, augmentation tout à fait appréciable par les temps qui courent, d’autant qu’elle vaut aussi pour la Cour nationale du droit d’asile.
On constate que cette augmentation de crédits, qui se poursuit depuis plusieurs années, a pour effet de réduire les délais devant les juridictions administratives, qu’il s’agisse du Conseil d'État, des cours administratives d’appel ou des tribunaux administratifs, dont les décisions seraient désormais rendues dans des délais inférieurs à un an. J’emploie certes le conditionnel, mais ce serait en effet un résultat remarquable…
Justement, ma deuxième observation, après ces félicitations, est une interrogation quant à la fiabilité de ces délais, car il y a un mystère.
Par exemple, si l’on retient le « délai moyen constaté pour les affaires ordinaires », indicateur institué par la loi de programmation 2009-2011, on parvient à des délais – sans doute plus proches d’ailleurs de ceux que constatent les praticiens – encore supérieurs à deux ans pour le Conseil d'État ou les tribunaux administratifs, un peu moins longs pour les cours administratives d’appel, mais en fait très variables d’une cour à l’autre.
Ma troisième observation sera pour formuler une inquiétude : à quel prix obtient-on ces réductions des délais ?
Ce prix, c’est sans doute une justice plus expéditive, ce qui se traduit par la multiplication des jugements par ordonnance et un recours au juge unique de plus en plus fréquent.
Cela me rappelle le cours de droit administratif publié dans les années soixante par Raymond Odent, mais réédité depuis, dans lequel l’éminent conseiller d'État résume le problème en une formule désormais banale quand on évoque le juge de l’ordre judiciaire, le fameux : « juge unique, juge inique ».
Dans le rapport de M. Yves Détraigne, c'est la même inquiétude qui s’exprime. Nous nous dirigeons vers une justice moins respectueuse du droit des justiciables : « Le cas du référé mis à part, toute extension du champ des matières relevant d’un juge unique ou du président de la juridiction statuant par ordonnance est susceptible de préjudicier aux droits du justiciable, puisqu’elle le prive des garanties d’instruction et de délibéré de la formation collégiale. » Cette analyse est partagée par tous les praticiens du droit, qu’ils soient magistrats ou avocats.
Il nous faut nous interroger sur ce que nous voulons en matière de droit. Préférons-nous un droit plus rapide, mais moins respectueux des parties, ou bien un droit plus lent, mais sans doute plus attentif aux complexités procédurales ?
Cela étant, les délais de traitement pourraient sans doute diminuer si les moyens étaient distribués autrement.
Je conclurai mon intervention par une dernière observation, qui concerne l'ensemble de la justice. Qu'en est-il de son coût, en particulier de celui de l’aide juridictionnelle ? De ce point de vue, je ne peux que me féliciter de la suppression du timbre fiscal de 35 euros.
Même si cela n’entre pas à proprement parler dans le cadre de l’examen des crédits de cette mission, je tiens à souligner que nous avons besoin d’une réforme d’ampleur de l’aide juridictionnelle. Elle n’est toujours pas annoncée, alors que d'autres réformes de la procédure administrative semblent aujourd'hui prêtes à être mises en œuvre. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous apporter des éclaircissements sur les différentes réformes qui sont annoncées en matière de contentieux administratif ?
Pour toutes les raisons que j’ai évoquées, le groupe socialiste s'abstiendra.