Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen du programme 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières » est pour moi l’occasion de rappeler qu’une réforme des juridictions financières a été intégrée par la majorité à l’Assemblée nationale dans le projet de loi relatif à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles. Cette initiative a fait échouer la commission mixte paritaire, puisque le Sénat a rejeté cette réforme qui a notamment pour objet de réduire le nombre des chambres régionales des comptes.
Nous ne souscrivons pas, sur la forme, à cette façon de procéder à la sauvette, pas plus que, sur le fond, nous ne souscrivons au dispositif lui-même.
Si réforme des juridictions financières il doit y avoir, elle devra faire l’objet d’un débat de fond. La réforme insérée dans le projet de loi laisse peser des incertitudes quant à ses conséquences sur le devenir de certaines chambres, sur les regroupements qui pourraient être envisagés, donc sur les besoins de financement futurs.
Il paraît donc difficile d’avaliser les crédits de ce programme.
Quant au budget du programme « Conseil d’État et autres juridictions administratives », il est préservé, puisque les crédits de paiement augmentent de 3, 23 %. Dans le contexte économique que nous connaissons, c'est évidemment appréciable : cela signifie que le programme 2011-2013 se poursuit. Cependant, en réalité, dans les tribunaux administratifs, pour ne prendre que cet exemple, seulement 764 magistrats, assistés des agents de greffes et autres personnels, ont dû faire face en 2010 aux 183 283 recours enregistrés ; ces chiffres émanent de source syndicale.
Globalement, la progression des emplois atteint seulement 0, 45 % pour 2012 et 2013. Or l’activité des cours administratives d’appel a progressé de 112 % en dix ans, celle des tribunaux administratifs, de près de 55 % ! Peut-on raisonnablement penser que ce budget sera suffisant pour faire face et à la charge de travail actuelle et à l’accroissement, année après année, des contentieux administratifs ?
Le risque est réel que soient réduits à néant les efforts des personnels pour réduire les délais de jugement que l'on constate aujourd'hui. En effet, le Gouvernement fait voter des lois sans jamais se soucier de leurs incidences, et les études d’impact sont trop souvent lacunaires.
Le contentieux de police s’accroît, tout particulièrement celui qui est lié au retrait des points du permis de conduire. Après les annonces du Président de la République, nul doute qu’il augmentera encore !
Le contentieux de l’éloignement des étrangers devrait connaître une nouvelle augmentation avec la loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, notamment en raison de l’inversion de l’intervention du juge judiciaire et du juge administratif. Ce dernier sera saisi plus souvent et sur un nombre accru de questions.
La Cour nationale du droit d’asile a vu ses moyens humains renforcés. Il n’en reste pas moins que les avocats qui plaident devant la CNDA viennent de cesser le travail pour dénoncer une « politique du chiffre ». Et l’annonce, par le ministre de l’intérieur, d’une nouvelle réforme du droit d’asile n’est pas faite pour les rassurer. Il s’agit, en effet, de durcir les conditions d’accès à la procédure et de réduire le budget de l’asile. Le motif est désormais récurrent : la prétendue fraude d’un nombre important d’étrangers demandeurs d’asile.
J’en viens au contentieux du droit opposable au logement. Ne soyons pas surpris que le Comité de suivi de la mise en œuvre du droit au logement opposable vienne de dénoncer une situation qui empire, puisque le Gouvernement choisit délibérément de délaisser le logement social.
En Île-de-France, qui concentre 62 % des recours, le taux de relogement a baissé. Cela a un effet de chaîne sur l’hébergement, qui, mécaniquement, est plus sollicité : plus 15 % en 2011. L’ouverture du DALO à toutes les personnes reconnues prioritaires à partir de 2012 va, sans nul doute, accroître encore le nombre des recours.
Pour réduire l’impact des restrictions budgétaires, notre collègue Yves Détraigne s’interroge sur d’éventuels changements procéduraux, par exemple l’extension de la disparition des conclusions du rapporteur public déjà en œuvre dans certaines audiences ou celle des contentieux jugés à juge unique. Ces derniers concernent aujourd’hui, si l’on y ajoute les ordonnances, les deux tiers des affaires jugées devant les tribunaux administratifs. Il s’agit bien souvent de contentieux « sociaux », touchant des justiciables modestes.
Je suis pour ma part totalement opposée à l’extension de ces deux dispositifs – rapporteur public et collégialité sont protecteurs des droits des justiciables –, comme je suis opposée à la délocalisation des audiences.
Plutôt que le rapport prévu par l’article 49 quater, il serait urgent de donner à la justice administrative les moyens de son fonctionnement. Pour toutes ces raisons, le groupe CRC ne votera pas les crédits de cette mission.