Intervention de Gilbert Barbier

Réunion du 7 décembre 2011 à 14h30
Premier usage illicite de stupéfiants — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Gilbert BarbierGilbert Barbier, auteur de la proposition de loi :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, 12 millions de nos concitoyens ont essayé le cannabis, 3 millions d’entre eux en sont des consommateurs occasionnels et 1, 2 million d’entre eux, dont 70 % ont moins de vingt-cinq ans, en sont considérés comme des consommateurs réguliers, ce qui signifie qu’ils usent du cannabis au moins dix fois par mois.

Telles sont les statistiques morbides que le directeur de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, l’OFDT, a présentées, au printemps dernier, devant la mission commune d’information de l’Assemblée nationale et du Sénat sur les toxicomanies.

Dès lors, banalité et fatalité ? Banalité ou fatalité ?

En 2003, déjà, le rapport de la commission d’enquête du Sénat sur la politique nationale de lutte contre les drogues illicites, rédigé par notre ancien collègue Bernard Plasait, s’intitulait Drogue : l’autre cancer.

Selon un rapport de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’INSERM, publié en 2004, deux jeunes de dix-huit ans sur trois fument ou ont fumé du cannabis et le nombre des fumeurs a triplé en dix ans.

En 1997, déjà, le rapporteur de l’Académie de médecine soulignait la toxicité avancée du cannabis.

Un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, publié en février 2002, est parvenu à la même conclusion : la consommation banalisée se développe.

Dès lors, banalité et fatalité ? Banalité ou fatalité ?

Il y a dix ans, l’état des lieux était déjà jugé accablant. Il faut se rendre à l’évidence : il est encore très préoccupant aujourd’hui.

Certes, des actions intéressantes ont été entreprises, des politiques et des plans ont été mis en place : la mission commune d’information de l’Assemblée nationale et du Sénat sur les toxicomanies, qui a auditionné 107 personnes jouant un rôle dans le domaine des toxicomanies, l’a souligné. Mais chacun, quelle que soit sa philosophie, considère que la situation demeure inquiétante.

Il est vrai que des actions fortes sont entreprises pour la prise en charge de ceux qu’on appelle les usagers problématiques. Je ne veux pas oublier le travail effectué au quotidien dans les centres de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie, les CSAPA, les centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction de risques pour usagers de drogues, les CAARUD, et les communautés thérapeutiques, au service des 250 000 toxicomanes dits « problématiques », dont le nombre estimé demeure constant dans notre pays.

Ces toxicomanes sont des malades ; ils doivent être pris en charge à ce titre, en tenant compte de la prévalence, très élevée parmi eux, d’une morbidité psychiatrique souvent grave. La prise en charge doit consister en soins, tendre à la réduction des risques de contamination par le VIH et le VHC, viser une prescription encadrée des produits de substitution et tenir compte des problèmes liés au mésusage, lesquels sont bien spécifiques – il y aura lieu d’en reparler.

Toutefois, aujourd’hui comme hier, je veux concentrer mon propos sur les consommateurs réguliers, qui sont au nombre de 1, 2 million : c’est bien parmi eux, en effet, que nous retrouverons, dans quelques années, les 250 000 usagers problématiques.

Parmi les 3 millions de ceux qui ont touché au moins une fois à la drogue, les consommateurs réguliers, jeunes pour la plupart, se retrouvent, pour des raisons diverses, pris au piège. Ils représentent 45 % d’une tranche d’âge à seize ans.

Banalité et fatalité ? Banalité ou fatalité ? C’est ce problème qui doit nous préoccuper.

Par un étrange paradoxe, c’est dans le pays de l’art de vivre que l’on consomme le plus grand nombre de tranquillisants… Surtout, nous détenons, avec d’autres, le triste record de la consommation de cannabis dans la tranche d’âge de quinze à vingt-cinq ans.

N’y a-t-il pas lieu d’être alerté, révolté quand on sait que l’âge moyen au premier contact est de treize ans ? Effrayé, si l’on ajoute que ce premier contact se produit quelquefois à neuf ans ?

Tel est l’état des lieux, brutal. Il doit, une fois encore, nous inciter à maintenir l’alerte sur la santé et l’avenir de nos enfants.

Intervenant aujourd’hui sur cette question bien spécifique, je ne prétends ni apporter une solution miracle ni bouleverser les actions entreprises. Loin de moi l’idée de considérer que rien n’est fait et de condamner les politiques menées.

Je souhaite en revanche, comme l’a fait la mission commune d’information de l’Assemblée nationale et du Sénat sur les toxicomanies, m’interroger sur l’efficacité des actions au vu des statistiques. À quoi bon, en effet, mener une nouvelle enquête si, comme les précédents, ce rapport termine sa vie dans les placards, déjà bien encombrés, de nos assemblées ?

Mes chers collègues, je vous rappelle que beaucoup d’entre nous avaient cosigné, en 2004, une proposition de loi sensiblement identique à celle que je présente aujourd’hui.

Nous sommes confrontés à un problème de masse, un problème de société grave. En effet, si certains, à tort, continuent de considérer le cannabis comme une drogue dite « douce », les données scientifiques mondiales apportent aujourd’hui une preuve irréfutable de l’extrême dangerosité de son usage, plus particulièrement chez les jeunes.

Le haschich, plante connue depuis la plus haute antiquité en Chine et en Égypte, la drogue sacrée des pharaons, a certes inspiré à Baudelaire quelques-uns de ses plus beaux poèmes ; néanmoins, lui-même en a bien décrit les ravages : « le haschich rend la société inutile à l’homme et l’homme inutile à la société. » Dans cette condamnation, tout est dit : le cannabis fut et reste un grand fléau, spécialement pour notre jeunesse.

Que les nostalgiques du Summer of love de 1967 continuent à profiter des vertus hédoniques du cannabis, accompagné souvent d’autres drogues dures, ce n’est pas cela qui me préoccupe ; c’est bien plutôt de constater les troubles provoqués par cette substance utilisée, avec ou sans alcool, par des jeunes de quinze ans. Voilà ce contre quoi il faut nous insurger !

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