De surcroît, elles ont dégagé une même piste, qui pourrait sans doute faire l’objet d’une proposition de loi : l’interdiction totale de toute publicité directe à la télévision pour les médicaments, quels qu’ils soient. Je suis bien consciente que cette proposition sera encore plus difficile à faire adopter que celle de notre collègue Gilbert Barbier, compte tenu du poids financier du secteur… Néanmoins, j’y tiens et j’y reviendrai.
Quoi qu’il en soit, je souligne que, en matière de médicaments, le discours des pouvoirs publics est tout sauf cohérent : nous tergiversons sur les questions d’ordonnances et de publicité ; nous oublions les effets secondaires que les médicaments présentent et surtout les usages détournés dont ceux-ci font l’objet.
Concernant l’alcool et le tabac, quel discours tenons-nous ? Nous règlementons la publicité en faveur de ces produits ; nous mettons l’accent sur leur dangerosité ; néanmoins, l’alcool et le tabac sont en vente plus ou moins libre et contrôlée, en dépit des seuils d’âge requis en théorie pour les acheteurs. En matière d’alcool, particulièrement, nous n’hésitons pas à autoriser la vente libre de « prémix », mélanges d’alcools et de sodas divers qui, dans les grandes surfaces, voisinent avec les jus de fruits et les boissons sucrées. Cherchez l’erreur !
Concernant les drogues un temps qualifiées de « dures » – la cocaïne, l’héroïne ou encore les composés de synthèse désignés sous le nom d’ecstasy – le discours des pouvoirs publics est clair : ces substances sont interdites car elles sont très dangereuses.
Or l’on constate que le marché français est moins infiltré par ce genre de produits que ne le sont ceux d’autres pays, européens ou plus lointains. Y a-t-il une relation de cause à effet ? Je ne suis pas loin de le penser, et il serait sans doute possible de le montrer à l’aide de méthodes scientifiques éprouvées. Le fait est que notre discours très clair vis-à-vis de l’héroïne, de la cocaïne ou de l’ecstasy est corrélé à une moindre consommation de ces produits dans notre pays.
En revanche, le discours des pouvoirs publics français sur le cannabis est particulièrement ambivalent. On a évoqué à son propos une « drogue douce », comparé ce produit au tabac et même douté des phénomènes d’addiction qu’il pouvait susciter.
De surcroît, les interdits varient selon les pays et restent souvent incomplets, certaines législations autorisant la consommation mais prohibant la vente. Comment voulez-vous que nos jeunes Français, qui s’intéressent aussi à ce qui se passe ailleurs en Europe, s’y retrouvent ?
Pourtant, le danger du cannabis est bien réel et mérite d’être pris en considération.
Jacques Mézard a souligné l’évolution de la concentration en principe actif des produits en vente sur le marché, qui augmente de fait leur toxicité. Néanmoins, il est important de rappeler également les propriétés a-motivationnelles du cannabis : cette substance enferme son consommateur dans une espèce de cocon qui atténue les joies, les peines et les peurs, une sensation particulièrement agréable dans la période difficile de l’adolescence, a fortiori pour des jeunes qui rencontrent des difficultés sociales, familiales ou éducatives.
La forme même de cette drogue et son mode de consommation facilitent son infiltration dans le quotidien de ces jeunes. Il est facile d’introduire un joint au collège – plus facile que de faire entrer une bouteille de whisky ! – et de le fumer à l’abri des regards, entre deux cours.
On fume un joint pour s’endormir, pour chasser sa tristesse ou pour bien d’autres raisons encore. Et voilà le cannabis qui s’infiltre insidieusement dans le quotidien de nos adolescents.
La rémanence – ou persistance – de la substance active dans l’organisme pose aussi problème, les effets d’un joint se prolongeant durant une semaine. Ainsi, le fumeur occasionnel de cannabis est déjà dépendant sans même s’en apercevoir. Et lorsqu’il accroît sa consommation et prend conscience de son addiction, il est déjà bien tard, les phénomènes de dépendance étant solidement ancrés.
Enfin, comme l’a souligné notre collègue Gilbert Barbier, les interactions entre cette substance et le système neurologique encore en construction de nos adolescents sont particulièrement graves. Nous n’avons donc pas le droit de dire que le cannabis est anodin. Soyons clairs : il est tout aussi dangereux que n’importe quelle autre drogue, licite ou illicite !
Face à ce constat, les jeunes ont le sentiment soit qu’il n’y a pas d’interdit, soit que l’interdit est hypocrite. L’arsenal juridique existe, mais la réponse pénale ne suit pas. La sanction maximale encourue est d’un an d’emprisonnement et 3 750 euros d’amende. Naturellement, et fort heureusement, cette peine n’est jamais appliquée à un premier usage de cannabis. Il n’en demeure pas moins que l’absence d’application de cette sanction maximale renforce le sentiment d’impunité. Comment l’expliquer à des jeunes en situation de mal-être ? Pour eux, la sanction maximum est celle qu’ils risquent s’ils sont pris la main dans le sac.
En outre, combien de jeunes sont-ils interpellés au regard du nombre de consommateurs ? Sur les 3 millions de consommateurs occasionnels de cannabis que l’on dénombre en France, 135 000 seulement sont interpellés, 30 % passent devant le tribunal, 14 % sont condamnés et très peu vont en prison. Le décalage est donc aujourd’hui complet entre la consommation de cannabis et la réponse pénale qui y est apportée, sans compter les grandes disparités territoriales auxquelles elle est soumise.
Malgré tout, depuis 1970, le nombre de faits constatés a été multiplié par soixante, la part du cannabis passant dans l’intervalle de 65 % à 90 % de ces infractions. Les jeunes de moins de vingt-cinq ans représentent aujourd’hui 60 % des interpellés, 10 % d’entre eux étant même mineurs.
Monsieur le garde des sceaux, vous prétendez que la consommation de cannabis plafonne, voire qu’elle régresse légèrement. Mais comment se satisfaire de cette stabilisation ? Comment accepter que nos jeunes fument leur premier joint à quinze ans, parfois même bien avant ?
Vous avez vilipendé tout à l’heure le premier usage d’héroïne, en établissant une nette distinction avec la consommation de cannabis. Il est vrai que le premier usage d’héroïne est rarement le premier usage d’un produit illicite et qu’il est souvent précédé d’une consommation de cannabis. Mais si l’on avait répondu correctement à ce premier usage, il n’y aurait peut-être pas eu de passage à l’héroïne. Avant de nous lancer dans des comparaisons quelque peu hasardeuses, commençons donc par répondre au premier usage de cannabis !
Je reconnais que cette proposition de loi intervient dans un contexte difficile, caractérisé par une pénurie d’effectifs et un encombrement des tribunaux. Il faut dire que les réformes successives qui sont intervenues au cours de ces dernières années n’ont rien arrangé. Qu’il s’agisse du durcissement des procédures pénales, de la création de nouveaux délits, de la complexité toujours croissante des procédures, de la réforme de la carte judiciaire ou de la création de jurys populaires, y compris pour les mineurs, tout concourt au ralentissement de la justice. Les réponses pénales ne sont donc plus à la hauteur de l’arsenal juridique dont nous disposons.
Il existe aussi, bien sûr, de grandes disparités territoriales et temporelles dans l’application de ces mesures.
Vous avez évoqué les chiffres et les mystères de la statistique, monsieur le ministre. Toutefois, à condition de savoir précisément de quoi l’on parle, ce que l’on compare et quelles conclusions l’on veut en tirer, la statistique est une science parfaitement exacte. Bien évidemment, on peut aussi faire dire aux chiffres n’importe quoi et les instrumentaliser pour déterminer des priorités d’action à assigner aux forces de l’ordre, par exemple avec l’état 4001 ou les taux d’élucidation, ou pour alimenter des argumentaires de campagne…
Cette proposition de loi est bienvenue, car elle vise à créer une sanction qui pourra être appliquée facilement, rapidement, de façon harmonieuse et cohérente sur l’ensemble du territoire national, et qui permettra surtout d’apporter une réponse systématique à la consommation par un jeune d’une substance illicite.
Toutefois, et c’est aussi l’avis des professionnels de terrain que j’ai auditionnés, dans ce domaine, la sanction, quelle qu’elle soit, ne peut être efficace que si elle s’accompagne d’un aspect médical et éducatif, si possible avec le concours des parents lorsqu’il s’agit de consommateurs mineurs. Il faut aussi que les mesures soient adaptées aux besoins locaux.
C’est pourquoi je présenterai tout à l’heure deux amendements visant, d’une part, à adjoindre à la contravention la possibilité de consultations spécialisées, et, d’autre part, à informer les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance de l’ensemble des chiffres relatifs à la consommation de substances illicites, de façon à adapter et à coordonner l’action des différents acteurs œuvrant dans ce domaine.
Cette proposition de loi me semble de nature à combler un manque dans notre arsenal juridique, en introduisant un palier supplémentaire dans l’échelle des sanctions. Toutefois, si elle devait être adoptée, il resterait encore au Gouvernement à publier rapidement les textes réglementaires d’application qui permettront de donner une réalité concrète au principe inscrit dans ce texte.
En effet, de nombreuses questions devront encore être tranchées : comment l’amende sera-t-elle délivrée ? Comment le fichier permettant de savoir si les usagers sont ou non primo-délinquants sera-t-il créé et sécurisé ? Enfin, le parquet aura-t-il systématiquement la possibilité d’adjoindre à l’amende une injonction de consultation, tout au moins pour les mineurs ?
Je n’imagine pas une seule seconde que vous puissiez ne pas souscrire à notre objectif de lutte contre la drogue, et plus particulièrement contre les premiers usages du cannabis, monsieur le garde des sceaux. Aussi, je ne doute pas que vous saurez faire rédiger les textes nécessaires.
Dans ces conditions, étant en parfait accord avec les principes défendus par notre collègue Gilbert Barbier, nous voterons ce texte.