Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en ma qualité de co-président de la mission commune d’information sur les toxicomanies, que nous avons menée au début de l’année 2011 avec nos collègues députés, et dont notre collègue Gilbert Barbier fut le corapporteur, il n’a heureusement échappé à personne que le sujet abordé aujourd’hui est très préoccupant. Nous avons tous partagé le constat selon lequel les toxicomanies d’aujourd’hui ne peuvent être comparées à celles d’il y a trente ans ou quarante ans.
La toxicité des drogues s’est fortement accrue ; la polytoxicomanie s’est répandue ; les réseaux de trafic se sont « professionnalisés ».
Les toxicomanies sont plurielles et connaissent une progression alarmante, pour ce qui concerne tant les produits consommés que les pratiques des usagers de drogues.
En 2003, le rapport de la commission d’enquête du Sénat sur la politique nationale de lutte contre les drogues illicites évoquait « l’explosion des drogues » et faisait part d’un « constat très préoccupant ».
Huit ans plus tard, la situation est tout aussi inquiétante pour notre pays, du fait de l’évolution des produits psychotropes et des trafics associés, autant que de la transformation des comportements toxicomanes et de l’augmentation des risques de toute nature qui en résultent.
Le marché de la drogue est international. Les zones de production, souvent éloignées des marchés de consommation, tendent toutefois à s’en rapprocher. La transformation de la matière brute en produits plus ou moins élaborés s’effectue dans des laboratoires clandestins, situés au départ ou, de plus en plus, vers la fin de la filière, sur notre propre territoire.
Parallèlement à l’évolution des produits stupéfiants, on assiste à une modification de la demande touchant aussi bien les volumes de consommation de chaque type de produits que les modes de consommation, le tout provoquant une adaptation des trafics en vue de « coller » le plus possible aux nouveaux marchés de la drogue.
Dans notre rapport, nous faisions remarquer que, pour lutter contre ce phénomène inquiétant, trois politiques complémentaires doivent en réalité être confortées : la prévention dès le plus jeune âge ; une offre de soins abondante et adaptée, car le défaitisme ne peut être une solution ; une réduction des risques encourus par les toxicomanes du fait de leur consommation de drogues, selon une démarche équilibrée et responsable.
La première des réponses à ces fléaux modernes est à mon sens la prévention, dès le plus jeune âge. Les raisons en sont simples.
Autrefois le seul fait de quelques initiés ou marginaux, l’usage de la drogue s’est très largement développé. Comme nous l’a dit Alain Morel, de l’association Oppelia, qui aide les usagers de substances psychotropes : « On a assisté à une très importante diffusion des pratiques de consommation dans toutes les couches de la société. On peut le regretter et le dénoncer, mais c’est une réalité partagée par tous les pays développés. »
Les pratiques majoritaires sont aujourd’hui à la consommation de plusieurs produits et au détournement d’usage de produits non illicites. Il est également à noter que la dangerosité de la consommation de drogues pèse non seulement sur les usagers pris individuellement, mais aussi sur les relations qu’ils entretiennent entre eux.
Au cours de nos auditions, il nous a été démontré que les effets néfastes des drogues sur l’organisme sont d’autant plus importants que la première expérimentation se fait jeune et qu’elle laisse place à une consommation régulière et soutenue.
Outre les effets physiologiques, les effets sur le psychisme des consommateurs de stupéfiants peuvent être considérables : modification de l’humeur, anxiété, crises d’angoisse et de panique, bouffées délirantes, troubles de la personnalité, dépressions... S’ils sont répétés, ces troubles deviennent durables et peuvent conduire à des affections psychiatriques chroniques : psychose, paranoïa ou schizophrénie. Nul ne l’ignore, le risque social majeur pour les usagers de drogues réside dans une marginalisation progressive, dans une mise au ban de la société, une auto-exclusion.
Face aux enjeux, il est nécessaire, pour ne pas dire fondamental, que tous et, en particulier, les pouvoirs publics, tiennent un discours clair et univoque, réaffirmant la dangerosité des drogues et le caractère illicite de leur consommation. Il ne peut donc être envisagé de dépénaliser leur usage, car cela constituerait une impasse éthique et juridique ; il convient, au contraire, d’organiser et de garantir une réponse pénale plus immédiate, donc plus efficace.
Je souhaiterais revenir un instant sur la « théorie de la porte d’entrée », selon laquelle le fait de rechercher un produit interdit pousserait à fréquenter des milieux marginaux : la délinquance, la criminalité, le banditisme. S’il n’a pas été démontré que l’usage de drogues était en lui-même de nature à provoquer une infraction, ni que la délinquance conduisait nécessairement à l’usage de drogues, il me semble que ce risque de dérive requiert la plus grande vigilance de notre part.
En revanche, ce qui est confirmé, c’est que plus le consommateur est jeune, plus il s’expose à la délinquance. Comme nous l’a indiqué le professeur Jean Costentin : « La déscolarisation est, dans 95 % des cas, due à la consommation de cannabis, qui conduit rapidement à un besoin, lequel va entraîner un début de délinquance car il faut de l’argent pour se procurer le produit ».
Le problème est par conséquent social plus que moral.
Si l’on s’intéresse à présent aux lieux de particulière vulnérabilité – les élus que nous sommes sont extrêmement sensibles à ces sujets –, nous constatons que les villes restent plus touchées que les campagnes par les trafics et la consommation, du fait de l’anonymat qu’offrent les milieux urbains. Pour autant, la diffusion de la drogue dans les zones rurales augmente très dangereusement, le public le plus vulnérable, à savoir les adolescents, étant particulièrement exposé.
Selon le professeur Daniel Bailly, ce serait même durant l’enfance que les comportements déviants « cristalliseraient » une fragilité que l’enfant porte en lui.
En conséquence, l’axe principal de nos efforts doit porter sur la prévention. Celle-ci commence par la limitation de l’offre de stupéfiants, c’est-à-dire par l’interdiction de l’usage des drogues illégales, la répression de leur détention, de leur production et de leur commerce. J’y insiste, le maintien de la pénalisation de l’usage est donc un volet essentiel de la politique de prévention.
En amont, il est indispensable d’informer. Dès l’école primaire, il faut mener des actions centrées sur la promotion de la santé et de l’estime de soi, pour apprendre aux enfants à résister à la pression. Seule l’acquisition de comportements faisant obstacle aux risques de troubles peut être efficace. Il convient donc de donner à l’élève les moyens de connaître les produits et d’appréhender la loi, car il n’y a pas d’éducation sans loi.
Comme nous le constatons, la prévention ne vise pas un produit ou une catégorie de produits ; elle tend à renforcer la capacité des personnes à se protéger et à s’assumer pleinement.
C’est dire que la prévention doit être à la fois collective et individuelle, couvrir une très large gamme d’actions, depuis le message diffusé par les médias jusqu’à l’offre de soins variée et renforcée, qui doit s’appuyer sur l’expérience du personnel médical, la sensibilisation et la formation des personnes encadrant les jeunes et l’association des familles.
Nous l’avons dit, la construction d’une société qui rejette la fatalité est un objectif mobilisateur. Elle implique la mise en œuvre de l’ensemble des outils identifiés de la politique de lutte contre les toxicomanies, qui doit allier la prohibition de l’usage des drogues illicites, la prévention et la réduction des risques, sans oublier d’apporter des réponses appropriées aux victimes.
Dans ce cadre, se pose la question de l’efficacité de la sanction.
L’un des maîtres mots dans ce domaine est sans doute la modulation. Il faut moduler la sanction de l’usage afin qu’elle frappe avec discernement et atteigne son but, qui est de dissuader les débutants et, s’agissant des usagers problématiques, de favoriser les conditions d’une sortie de la toxicomanie.
Cette modulation est aujourd’hui, selon moi, insuffisante. Il faut redoubler d’efforts en la matière.
Le rapport établi en juin dernier montre que, entre 2001 et 2008, le volume d’affaires d’usage de stupéfiants traitées par les parquets est passé de 10 261 à 17 553. La part des classements sans suite et des affaires jugées non poursuivables a diminué de 29, 3 % à 8, 5 %.
Ces statistiques semblent témoigner du souci de la justice de maximiser la réponse pénale à l’usage de drogues illicites ; elle doit poursuivre en ce sens.
L’arsenal juridique existe déjà. Je reprendrai le propos de Mme Françoise Baïssus, chef du bureau de la santé publique, du droit social et de l’environnement du ministère de la justice, auditionnée dans le cadre de la mission d’information sur les toxicomanies. À l’idée d’une « légalisation contrôlée », il faut préférer celle d’une « pénalisation contrôlée ». La législation de l’usage des stupéfiants figure non pas dans le code pénal, mais dans le code de la santé publique, ce qui sous-entend que, même s’il s’agit d’un délit puni d’emprisonnement et d’une peine d’amende, la réponse n’est pas uniquement pénale.
La loi de 2007 relative à la prévention de la délinquance a introduit de nouvelles mesures, qui prennent en considération l’usage des stupéfiants, soit comme circonstance aggravante, afin de protéger les victimes potentielles, soit comme révélateur d’un danger pour le consommateur lui-même. Elle a par ailleurs innové en créant le stage de sensibilisation aux dangers de cet usage. Les enfants de treize ans y ont accès.
Ensuite, la circulaire du 9 mai 2008, dont l’objectif est d’éviter la banalisation de la consommation des drogues, est parfaitement claire. Les réponses doivent être à la fois individualisées, appropriées et systématiques, notamment lorsqu’il s’agit de mineurs.
Le sujet qui nous intéresse particulièrement est celui des primo-usagers.
Il s’agit de dissuader l’usager débutant – surtout le jeune –, tout en continuant, bien sûr, d’orienter l’usager problématique vers la prise en charge thérapeutique et sociale décrite dans la deuxième partie du rapport.
L’interdit pesant sur l’usage illicite des stupéfiants est aujourd’hui sanctionné par une peine d’emprisonnement et une amende importante. Or ces sanctions ne sont pas effectives, puisqu’elles sont peu ou pas appliquées.
Vous proposez, mon cher collègue, de sanctionner la première consommation constatée de toute drogue illicite par une amende contraventionnelle, qui remplacerait le régime délictuel actuellement en vigueur. Ce nouvel outil juridique est l’une des mesures que nous avons préconisées dans notre rapport. Il emporte naturellement mon adhésion.
Plusieurs de mes collègues se posent néanmoins un certain nombre de questions tout à fait légitimes. La contraventionnalisation est-elle la bonne solution ? M. le ministre nous l’a rappelé tout à l’heure, il est extrêmement complexe de distinguer un premier usage d’un second. S’agissant des mineurs, quel sera l’impact réel d’une telle mesure ? Sera-t-elle dissuasive ou, au contraire, permettra-t-elle de minimiser l’impact de la consommation de drogue ? Autrement dit, cette sanction conduira-t-elle l’usager novice à se sentir délinquant ? Nous n’ignorons pas que la difficulté réside plutôt dans l’ignorance volontaire du droit et la désinvolture face à un danger par trop vague.
Du fait de ces interrogations, le groupe UMP votera contre cette proposition de loi, avec, toutefois, l’espoir que notre société pourra enrayer le fléau des toxicomanies en tirant pleinement profit de l’arsenal existant et en axant ses efforts sur une bonne mise en œuvre de celui-ci.
Quant à moi, je serai toujours hostile à la légalisation de la moindre drogue, et je considère que ce texte ne nuit nullement aux deux objectifs du législateur : la protection des usagers, ainsi que celle des victimes de l’usager.
En conséquence, à titre personnel, je voterai cette proposition de loi : si elle ne résout pas tous les problèmes, elle a au moins le mérite de mettre un coup d’arrêt à des tentations irresponsables.