Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France est diverse. On y observe des croyances et des convictions très variées, qui se doivent mutuellement le respect.
La République, au cours de ses conquêtes parfois controversées, a établi un régime de droit désormais constitutionnel, qui reconnaît notre nation comme laïque. Cela nous crée donc des devoirs, cela impose à toutes les autres normes, y compris la loi, de respecter la liberté de conscience.
En outre, notre pays, en 1974, a ratifié la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui garantit explicitement la liberté religieuse.
Voilà le cadre supralégislatif – un cadre qui ne nous laisse pas tous les choix – dans lequel nous devons légiférer pour tenter de régler la question qui a donné lieu à une controverse judiciaire et à un jugement de cour d’appel voilà quelques semaines. Ce jugement répond à une réalité de société : l’aspiration de familles à connaître l’atmosphère religieuse dans laquelle sera accueilli leur enfant et l’aspiration de certains professionnels de la petite enfance à voir reconnaître leurs convictions.
Comme l’a très judicieusement souligné Françoise Laborde il y a un instant, la commission des lois, devant laquelle j’ai présenté mes propositions, devait trouver un équilibre. En m’inspirant du débat controversé, intervenu voilà un demi-siècle, sur la liberté de l’enseignement et son aménagement, il m’est apparu qu’une conciliation était possible lorsqu’il y a concours d’argent public en faveur d’autres missions de caractère éducatif.
Les critères que nous appliquons, et à partir desquels je propose au Sénat de légiférer, reposent exclusivement sur des considérations de principe : l’argent public crée des obligations en matière d’universalité du service financé ; la laïcité interdit, en l’absence d’obstacle de droit équivalent, qu’une conviction, qu’un message religieux puisse être imposé à des personnes qui ne souhaitent pas en être destinataires ; enfin, lorsqu’elle est clairement exposée, la mission religieuse d’une œuvre doit être respectée.
Autrement dit, lorsqu’il n’y a pas financement public, on est dans le domaine privé pur, dans lequel le principe de laïcité ne s’applique pas. Les parents qui confient leur enfant à une crèche ou à un service d’accueil relevant d’une œuvre privée qui ne reçoit d’argent ni du contribuable ni du contributeur de la solidarité sociale ont avec ce lieu d’accueil un rapport purement privé, dans lequel la loi n’a pas à s’immiscer, sauf, bien entendu, si par ailleurs s’y déroulent des activités répréhensibles.
En revanche, si l’argent public est impliqué, la règle qui s’applique est celle que nous observons tous depuis 1959 dans l’enseignement privé sous contrat. J’ai recensé neuf alternances ou changements politiques substantiels depuis l’adoption de la loi de 1959. Celle-ci n’a pas été modifiée d’une virgule par aucune des majorités qui se sont succédé, ce qui suggère qu’elle ne doit pas être totalement dépourvue de sagesse.
Si l’institution qui accueille l’enfant ne se prévaut pas d’un caractère religieux, elle est tenue à la neutralité religieuse : c’est l’application du principe de laïcité. En revanche, si elle se prévaut d’un caractère religieux, porté à la connaissance du public intéressé, alors son caractère propre l’emporte, mais elle reste tenue, à raison des obligations que lui crée le concours d’argent public, d’accueillir les enfants de familles de toutes confessions et de ne pas exercer sur eux de prosélytisme, c’est-à-dire de respecter leur liberté de conscience. Et en tout cas, les familles ont été avisées de son engagement confessionnel.
Voilà donc le schéma de principe assez simple sur lequel le Sénat est appelé à se prononcer.
En tout cela doivent prévaloir respect, tolérance et écoute réciproques. Nous nous y sommes en tout cas efforcés collectivement lors du débat en commission et, à mon sens, celui-ci fut exemplaire par la hauteur de vues et le respect réciproque qui s’y sont manifestés.
En dernier lieu, faut-il, comme certains de nos collègues se le demandent sans doute, légiférer ?
La réponse sur ce point est simple. Celui qui est disposé à consacrer plusieurs années de sa vie et une bonne partie de ses ressources à mener jusqu’à la Cour de cassation un contentieux judiciaire afin de s’assurer que ses droits sont respectés n’aura pas besoin d’une telle loi. Mais le Conseil constitutionnel n’a-t-il pas, à bon droit, dégagé depuis longtemps deux exigences de niveau constitutionnel qui sont la sécurité juridique et l’accessibilité de la loi ? Par conséquent, dire qu’il est inutile de légiférer, au motif que celui qui a les ressources et la surface sociale suffisantes pour mener un litige de pure satisfaction privée et de principe jusqu’à la Cour de cassation pourra toujours arriver au même résultat, n’est pas défendable.
Je terminerai en soulignant que ce débat peut susciter –cela a d'ailleurs été le cas en certains lieux – des réactions passionnées ; c’est légitime, et toujours respectable.
Nous pouvons certes avoir des divergences, mais nous devons considérer que chacun d’entre nous se prononce en conscience, après avoir mûri une réflexion personnelle, sans céder à des influences. §