Intervention de Esther Benbassa

Réunion du 7 décembre 2011 à 14h30
Respect du principe de laïcité dans les structures privées en charge de la petite enfance — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Esther BenbassaEsther Benbassa :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, Jean Jaurès, rendant compte de la loi de 1905 à ses lecteurs, écrivait, dans l’Humanité : « La loi que la Chambre a votée laisse la liberté à tous les cultes […]. La liberté de conscience sera garantie, complète, absolue ; la loi de séparation, telle qu’elle est, est libérale, juste et sage. »

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui fait explicitement référence à l’affaire Baby Loup, du nom de la crèche associative de Chanteloup-les-Vignes dont la directrice-adjointe, salariée depuis 1997, a été licenciée en 2008 parce qu’elle portait le voile dans l’exercice de son activité professionnelle. Elle avait alors saisi la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la HALDE, qui avait conclu, dans une délibération du 1er mars 2010, à une discrimination fondée sur un critère religieux, avant de se raviser dans une seconde délibération en date du 28 mars 2011.

À la suite de cette affaire, certains ont proposé au Gouvernement l’élaboration d’une loi tendant à étendre l’obligation de neutralité s’appliquant aux agents publics à tous ceux qui travaillent dans le secteur de la jeunesse. La proposition de loi qui nous est aujourd’hui soumise ne fait que reprendre cette préconisation, en visant à étendre le concept de mission de service public à des domaines d’activité privés.

C’est la même idée qui est invoquée pour exclure les parents d’élèves portant des signes religieux de l’organisation des sorties scolaires. Un arrêt du tribunal administratif de Montreuil du 22 novembre dernier dispose ainsi que « les parents d’élèves volontaires pour accompagner les sorties scolaires participent […] au service public de l’éducation ».

La proposition de loi déposée par Mme Laborde, et excellemment remaniée par M. le rapporteur, va, quant à elle, bien au-delà. Son article 3 a en effet pour objet d’étendre l’obligation de neutralité aux assistantes et assistants maternels dans le cadre de leur activité d’accueil d’enfants à leur domicile.

Rappelons que l’article L. 1132-1 du code du travail interdit pourtant les discriminations directes et indirectes, notamment celles qui sont fondées sur les convictions religieuses, au moment du recrutement ou durant l’exécution du contrat de travail.

Eux-mêmes très attachés au principe de laïcité, les sénatrices et sénateurs écologistes considèrent que cette proposition de loi n’a pas lieu d’être et s’interrogent d’ailleurs sur sa constitutionnalité. Ils s’opposent plus particulièrement à son article 3, qui, au motif de faire primer la liberté des familles et la liberté psychologique des enfants, donne à l’employeur le droit de contrôler les pratiques religieuses de ses salariés. Si la liberté de conscience des enfants doit être respectée, celle des assistantes et assistants maternels doit l’être tout autant.

Aristide Briand, rapporteur de la loi de 1905, appelait à opter pour des solutions libérales tant que « l’intérêt de l’ordre public ne pourrait être légitimement invoqué ». En l’occurrence, seul le principe de laïcité est invoqué, nullement l’intérêt de l’ordre public.

Laïcité ne signifie pas laïcisme, cette nouvelle religion. Restons fidèles à ce bien commun qu’est la laïcité, en évitant les dérives et la stigmatisation de quelque religion que ce soit ; vous savez à quoi je fais allusion !

Comme la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 l’énonce en son article 18, « toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion », y compris, ajouterai-je, les assistantes maternelles.

Parce qu’elle ne leur paraît donc, pour reprendre les mots de Jaurès, ni libérale, ni juste, ni sage, les sénatrices et sénateurs écologistes voteront contre cette proposition de loi.

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