Intervention de Richard Tuheiava

Réunion du 10 mars 2009 à 15h00
Développement économique de l'outre-mer — Discussion générale

Photo de Richard TuheiavaRichard Tuheiava :

Madame la présidente, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à l’orée de l’examen du projet de loi pour le développement économique de l’outre-mer, qui aura connu plusieurs péripéties et de multiples rebondissements depuis son élaboration originelle par le Gouvernement, l’occasion serait belle – et rêvée ! – de me lancer dans une envolée politique et institutionnelle destinée à confronter les objectifs et la viabilité de ce texte à la réalité du terrain eu égard à la géostratégie politique de la France dans ses trois régions ultramarines d’implantation que sont l’océan Indien, la Caraïbe et l’océan Pacifique. À terme, c’est bien de cette question qu’il s’agit !

Toutefois, tel n’est malheureusement pas l’objet du débat qui nous réunira, formellement du moins, pour les trois prochains jours.

Aussi, dans le cadre de la discussion générale préalable à l’examen des articles du projet de loi, tenterai-je de tenir des propos aussi brefs que précis sur la manière dont la Polynésie française perçoit les tenants et les aboutissants de ce projet de loi.

Si je devais formuler une remarque générale qui soit la plus objective possible et la plus factuelle, je dirais que le dispositif législatif proposé « pour le développement économique de l’outre-mer » apparaît intrinsèquement déséquilibré et marqué d’un anachronisme sous-jacent. Nous sommes donc quelque peu perplexes quant à la pertinence de l’intitulé du projet de loi – je m’en expliquerai ultérieurement – et aux véritables enjeux qu’il vise.

Pourquoi le texte est-il anachronique ?

Le 5 juin 2008, le projet de loi de programme pour le développement économique et la promotion de l’excellence outre-mer est venu en discussion, dans sa rédaction originelle, devant l’assemblée de la Polynésie française, qui n’a pas adopté le projet d’avis présenté par la commission des finances locales.

Le 3 mars 2009, voilà à peine quelques jours, l’assemblée de la Polynésie française s’est réunie pour adopter, à la majorité absolue, une résolution destinée à faire valoir le fait qu’elle puisse être saisie en urgence par les autorités de la République pour émettre son avis et faire des propositions de modification avant que ce projet de loi ne vienne en discussion devant le Sénat.

Pourtant, dans une rédaction modifiée, le présent projet de loi avait été déposé sur le bureau du Sénat le 28 juillet 2008, c’est-à-dire avant la crise financière et économique mondiale, qui a atteint son paroxysme en France à la fin de l’année dernière, et avant la crise économique et sociale qui frappe durement les Antilles depuis le début du mois de février.

Dans le courant du mois dernier, nous sommes plusieurs sénateurs à avoir cosigné une motion plaidant en faveur d’une suspension de l’examen de ce projet de loi. Cette motion n’a pas été prise en compte, au motif que l’urgence avait été déclarée.

Le 19 février 2009, la commission des finances du Sénat a adopté, après modification, le texte que nous examinons aujourd’hui.

Dans le cadre d’une réunion de consultation et de coordination de l’ensemble des parlementaires ultramarins qui s’est tenue, le 26 février dernier, à Matignon, sous la présidence du Premier ministre, M. François Fillon, les élus polynésiens ont appris l’organisation prochaine d’États généraux de l’outre-mer, postérieurement à l’adoption du présent projet de loi, et ce vraisemblablement en vue du prochain sommet France-Océanie, programmé au mois de juin 2009 à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie.

Au cours de récents débats parlementaires, a même été évoquée la possibilité d’examiner, à la fin de l’été prochain, un projet de loi en faveur de l’outre-mer qui viendrait en quelque sorte compléter celui dont nous débattons aujourd’hui.

Vous en conviendrez avec moi, mes chers collègues, la situation est quelque peu anormale dans la mesure où l’on nous demande d’examiner assez rapidement un projet de loi pour le développement économique de l’outre-mer qui porte déjà en lui, à bien des égards, les germes évidents d’une caducité annoncée.

Ce dispositif législatif est également intrinsèquement déséquilibré parce qu’il ne concerne que très peu les collectivités françaises d’outre-mer.

En effet, à l’exception des dispositions relatives à la création d’un fonds exceptionnel d’investissement outre-mer, au dispositif relatif à la continuité territoriale et au passeport-mobilité, et de certains dispositifs de défiscalisation ou secteurs d’investissements défiscalisables, le projet de loi ne concerne que les départements d’outre-mer. Cela ne pose pas un problème en soi ; je profite d’ailleurs de l’occasion qui m’est donnée pour adresser mes vœux de solidarité et de soutien à tous mes collègues ultramarins, davantage mobilisés par ce projet de loi.

Cependant, l’outre-mer français est et doit rester uni.

Il est, pour reprendre les termes que Mme le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales a employés ce matin, une « force », un « atout », c'est-à-dire une valeur ajoutée indéniable pour la France. Il l’a été depuis plus d’un demi-siècle déjà. Mais le sera-t-il autant pour le demi-siècle à venir ?

La donne a changé, nous le savons tous. Aujourd'hui, parler du développement économique de l’outre-mer, c’est, pour l’État, engager un processus d’identification concertée des secteurs de développement économique endogènes les plus pertinents par collectivité locale, par département, par région ; c’est aussi renforcer globalement le financement de l’État envers l’outre-mer tout en rationalisant concomitamment, si j’ai bien compris, l’affectation de ces fonds publics et en limitant l’impact des différents dispositifs financiers antérieurs sur le budget de la nation – je pense, par exemple, aux dispositifs d’aide fiscale à l’investissement en faveur de l’outre-mer –, le tout sous couvert d’une nouvelle politique de rigueur budgétaire sur le plan national, inspirée par l’ampleur de la crise financière, devenue économique, qui frappe le monde, notamment la France.

Mais si, au niveau national, la donne a changé à cause de l’évolution de la société, des besoins, ou encore des ressources, l’immobilisme n’a pas régné au niveau local. La prise de conscience de la position géostratégique, plus ou moins privilégiée, de certaines collectivités locales françaises a également changé la donne à l’égard des pays environnants.

Cette prise de conscience offre de nouvelles opportunités de développement économique de nature exogène qui ne sauraient bien entendu masquer ou supplanter les secteurs de développement économique endogènes propres à chaque collectivité locale française d’outre-mer.

Autrement dit, la politique gouvernementale nationale en faveur du développement économique de l’outre-mer ne doit pas conduire l’État – bien évidemment, me direz-vous ! – à « faire le vide » autour de chacune de ses collectivités locales d’outre-mer.

Un développement économique endogène, c’est très bien ! Un développement économique exogène et endogène, c’est encore mieux !

Cette question fera partie, soyez-en sûrs, mes chers collègues, du large et intéressant débat qui aura lieu lors des prochains États généraux de l’outre-mer, au mois de mai prochain.

Dans la vision actuelle du Gouvernement, le « développement économique de l’outre-mer » passe aussi par le financement prioritaire de certains domaines qui peuvent, dans certaines collectivités locales dotées d’une autonomie politique et financière au sein de la République française, entrer en concurrence avec les compétences propres de ces mêmes collectivités.

Le logement, qu’il soit social, intermédiaire ou libre, pour ne citer que cet exemple, est une compétence propre du gouvernement de la Polynésie, tout comme le secteur des télécommunications. Or, ce projet de loi contient de nombreuses dispositions relatives à la défiscalisation de ces secteurs : il s’agit, dans certains cas – je pense notamment au logement intermédiaire –, de la suppression pure et simple du bénéfice du dispositif d’aide fiscale ou, dans d’autres cas – je songe notamment aux câbles sous-marins –, de la réduction de l’assiette ou du périmètre défiscalisable.

J’ai donc déposé plusieurs amendements visant à anticiper avec un maximum de rigueur et de fidélité les exigences et les besoins que pourraient connaître les acteurs économiques et l’exécutif polynésiens, ou à extrapoler.

À l’heure où la Polynésie française vient de trouver un équilibre politique salutaire autour de la nécessité d’engager un plan de relance, avec une nouvelle majorité politique soudée – cela n’avait jamais été le cas depuis la mise en place de son statut d’autonomie en 1995 –, à l’heure où un dialogue nouveau, courtois et responsable vient de s’instaurer avec l’État, à la suite de la visite du président polynésien, invité par le Premier ministre – il a ainsi pu rencontrer M. le secrétaire d’État chargé de l’outre-mer ainsi que plusieurs autres membres du Gouvernement –, à l’heure où nos mains trop longtemps distantes et hésitantes semblent vouloir s’unir de nouveau dans une franche et fraternelle poignée, il est vraiment regrettable que ce projet de loi à l’intitulé pourtant très ambitieux et encourageant ne reste qu’une étape trop incomplète.

Madame le ministre, monsieur le secrétaire d'État, si vous voulez instaurer un véritable développement économique des collectivités françaises de l’outre-mer, permettez à ces dernières, par exemple, de passer librement des accords bilatéraux avec les pays environnants, car cela ne coûtera pas cher à l’État. Permettez-leur aussi de négocier directement leurs dossiers auprès du Fonds européen de développement, car le coût sera nettement moindre que la mise en place du fonds exceptionnel d’investissement outre-mer. Mais nous ne sommes évidemment pas dans le cadre des États généraux de l’outre-mer !

Quoi qu’il en soit, mes remarques ne présagent en rien de la qualité de nos débats à venir, que j’espère malgré tout productifs.

Tel est en substance, madame la présidente, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le message que je souhaitais vous adresser en préambule de l’examen du projet de loi qui nous est soumis.

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