De fait, l’idée qui sous-tend ce projet de loi est la remise en cause de nombreux instruments de soutien à l’économie des départements d’outre-mer, ce qui suscite évidemment dans ces départements une large réprobation.
Présenté comme un outil de développement, ce projet de loi est d’abord un texte de restriction et d’économies budgétaires, alors qu’il existe un consensus national pour considérer que l’économie des collectivités d’outre-mer françaises doit être soutenue, car elle souffre encore de retards importants qui justifient qu’elle soit stimulée.
Or, dans le détail, mes chers collègues, le projet de loi remet en cause des dispositifs de soutien à l’économie des départements d’outre-mer qui ont pourtant fait la preuve de leur efficacité et qui portaient, en principe, sur quinze ans. On voudrait maintenant substituer à ces dispositifs des mesures à caractère expérimental et dont je qualifierai les effets d’hypothétiques.
Nous refusons cette démarche. Avec nos collègues ultramarins, nous pensons que le Gouvernement ne doit pas casser l’élan dont ces régions ont fait montre aussi bien par leur propre dynamisme que par l’effet qu’ont produit des mesures adaptées, mises en œuvre depuis vingt-cinq ans et qui restent nécessaires, puisque ces économies ont commencé à rattraper leur retard, même si c’est difficile.
Depuis de nombreuses semaines – voire plusieurs mois –, les manifestations se propagent, de la Guyane à la Réunion en passant, bien sûr, par la Guadeloupe et la Martinique. La crise actuelle, financière, mais aussi économique, sociale, sociétale et même identitaire, a révélé une situation de crise latente dans ces régions.
Les principales revendications portent sur le coût de la vie, le pouvoir d’achat, la hausse des salaires, les problèmes de logement, la formation professionnelle, l’emploi et les droits syndicaux, comme l’ont déclaré cet après-midi la plupart de nos collègues ultramarins, notamment Claude Lise, Serge Larcher, Georges Patient, Daniel Marsin et Jacques Gillot.
Face à cette situation, le Président de la République a annoncé, le 13 février, la mise en place d’un conseil interministériel de l’outre-mer. Je le cite : « Ce conseil se réunira, dans les prochains mois, pour faire des propositions sur la rénovation de la politique menée par l’État en outre-mer ». Il s’agissait là d’une promesse de campagne du candidat Sarkozy. N’aurait-il pas été préférable de réunir ce conseil avant de demander au Parlement d’examiner le texte du projet de loi, et de tout mettre à plat ? Pour notre part, nous le pensons.
Mais, comme cette annonce n’avait que très peu d’effets apaisants, le même Président de la République a annoncé depuis, en plus, l’organisation d’« états généraux de l’outre-mer » !
Le présent projet de loi, sans cesse repoussé, semble aujourd’hui obsolète et insuffisant, ne serait-ce que, par exemple, en ce qui concerne l’aide aux collectivités territoriales.
Ce texte, élaboré à la fin de l’année 2007 et au début de l’année 2008, présenté devant le Conseil économique et social en février 2008, a fait l’objet d’un rapport dudit Conseil en mars 2008, c'est-à-dire très rapidement. Or, bien qu’il ait ensuite été déposé au Sénat au mois de juillet 2008, ce n’est qu’en mars 2009 que nous l’examinons !
Pourquoi tant de reports ? Pourquoi un tel retard ? Pourquoi ce texte a-t-il été déclaré d’urgence sept mois après son dépôt sur le bureau du Sénat ?
Ces circonstances expliquent les incohérences et les incertitudes qui hypothèquent ce projet de loi. L’adoption anticipée, dans le cadre de la loi de finances pour 2009, de certaines mesures qu’il préconisait, ainsi que les intentions vagues du Président de la République constituent, à n’en pas douter, une succession d’événements qui ne peuvent que nuire à son examen serein, cohérent et global.
D’ailleurs, les dernières mesures présentées par voie d’amendement par le Gouvernement, peut-être élaborées dans la précipitation, et en tout cas déposées à la va-vite – pas plus tard que ce matin même ! – sont-elles susceptibles de corriger l’impression d’improvisation que donne ce Gouvernement ? Je ne le crois pas !
En ce qui concerne la question du financement des diverses mesures d’urgence, elle n’est même pas prise en compte par le prochain collectif budgétaire – le quatrième en six mois –, que nous allons examiner dans trois semaines. C’est du moins ce que nous a déclaré le ministre du budget et des comptes publics la semaine dernière.
Étant donné qu’il existe un large consensus des principaux intéressés – notre collègue de Polynésie nous l’a encore rappelé tout à l’heure – pour souhaiter une réécriture de ce texte qui tienne compte de la crise ainsi que des développements récents de la situation en outre-mer, le groupe socialiste pense que l’examen de ce texte doit être reporté, ne serait-ce qu’après la réunion du conseil interministériel, qui doit elle-même faire suite aux états généraux.
Il convient en effet que le projet de loi prenne vraiment en considération les conséquences de la crise économique mondiale sur l’outre-mer, sans oublier les conséquences de la crise sociale actuelle et les revendications des partenaires sociaux.
Il faut également que de véritables négociations soient engagées avec les professionnels et les partenaires sociaux. Ainsi, selon les propos du Président de la République lui-même, on pourra répondre à « l’angoisse », « l’inquiétude », et « une certaine forme de désespérance de nos compatriotes des territoires d’outre-mer ».
De cette manière, le projet de loi pourra prendre vraiment en considération les conséquences de la crise économique et sociale en outre-mer. Les sénateurs, et particulièrement nos collègues ultramarins, quelles que soient les travées de cet hémicycle sur lesquelles ils siègent, pourront se consacrer à un examen attentif et constructif du texte, en dehors du contexte actuel marqué par les manifestations sociales. La commission des finances du Sénat pourra quant à elle se prononcer sereinement sur un texte profondément remanié, dégagé de l’improvisation et de l’incohérence.
Voilà pourquoi le groupe socialiste, conformément à son esprit de responsabilité et de vigilance, demande le renvoi de ce texte à la commission. Il s’agit de permettre à la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation de se prononcer, avec la sérénité nécessaire, sur un texte qui devrait être modifié en fonction des problèmes de fond récurrents qui se posent.
Comme l’a dit tout à l’heure notre collègue Jean-Paul Virapoullé, pensons à l’avenir de nos outre-mers dans la transparence, dans la sérénité et en prenant le temps nécessaire à la réflexion !
Monsieur le secrétaire d’État, comme vous l’avez déclaré il y a à peine plus d’une heure à cette tribune, l’environnement économique et social a beaucoup changé depuis le dépôt de ce texte le 28 juillet dernier. Alors, prenons un peu de temps : il faut agir, certes, mais agir bien, c'est-à-dire après une sage réflexion. N’est-ce pas là le rôle du Sénat ?