Depuis la loi Pons de juillet 1986, la stratégie de soutien de l’État au développement économique de l’outre-mer consiste à compenser les handicaps structurels des territoires en termes de coût du travail et de coût de l’investissement. Il s’agit de les rendre un tant soit peu attractifs pour les entreprises et les investisseurs par des dispositifs dérogatoires aux règles appliquées dans l’Hexagone.
Aujourd’hui, on nous dit que le rattrapage est quasiment réussi et qu’il faut donc passer au développement endogène. Alors, avant d’évoquer plus précisément les zones franches d’activités, je souhaite faire un point sur les mots, afin que l’on ne confonde pas compensation et rattrapage.
Une véritable politique de rattrapage économique aboutirait à ce qu’un jour les territoires concernés n’aient plus autant besoin de dispositifs dérogatoires, tandis que, lorsqu’on réduit ou supprime des outils d’une politique de simple compensation, on renvoie ces territoires à leur fragilité et on réactive des handicaps qu’on aurait tendance à oublier quand on agite – parce que c’est si facile ! – les clichés sur l’assistanat.
Aujourd’hui, au-delà des mesures d’exonération et de défiscalisation, qui restent indispensables selon les orientations politiques et économiques retenues, car on ne sait pas compenser autrement les problèmes tenant à l’éloignement, à l’isolement, à l’insularité, à l’étroitesse du marché, au coût de la main-d’œuvre et donc à la compétitivité des pays voisins indépendants, il faut repenser le développement économique de l’outre-mer en dépassant ce schéma contraignant d’une relation bilatérale exclusive avec la métropole. Ce schéma bilatéral est anachronique et constitue à lui seul un handicap supplémentaire pour atteindre ce que le Gouvernement appelle de ses vœux, à savoir le développement endogène des territoires ultramarins.
S’agissant des zones franches d’activités, il y a une autre notion qui mériterait d’être précisée, afin que l’on sache bien de quoi on parle, c’est celle de « développement endogène », même si M. le secrétaire d’État préfère parler de « production locale ».
Si l’objectif des zones franches d’activités est bien le développement de la production locale, la stratégie devrait consister à soutenir et à conforter en premier lieu les dynamiques existantes, qui constituent le socle des économies locales. Je pense au commerce de proximité, aux services, à l’artisanat dans sa totalité, à la restauration, qui est au cœur de la consommation et à l’articulation de plusieurs secteurs, ou aux activités des structures d’insertion par l’économique, comme les services à la personne.
De plus, on oublie qu’en outre-mer, en particulier en Guyane, il y a une économie informelle de subsistance qui est importante, vitale même, et que l’on ne sait ni réduire ni intégrer dans l’économie de marché.
Toutes ces activités ne demandent qu’à se développer et sont potentiellement créatrices d’emplois pour les populations locales.
Or, au titre des zones franches d’activités, qui étaient annoncées comme globales durant la campagne présidentielle, on s’oriente en fait aujourd’hui vers des secteurs dits « porteurs » et à forte valeur ajoutée : recherche et développement, haute technologie, énergies renouvelables... Soit ! Mais où sont les dispositifs de formation qui permettront aux populations locales de travailler et de diriger des entreprises créant des activités dans ces domaines ?
Le développement de ces secteurs d’excellence sera-t-il endogène parce que ceux-ci seront implantés sur certains territoires, ou bien parce qu’ils feront effectivement travailler les populations locales ?
Vous le voyez, la doctrine, la finalité et les conséquences des zones franches d’activités mériteraient encore analyses et précisions, en tout cas au regard de l’objectif affiché par le texte, afin que les effets pervers ne soient pas plus importants que les avantages pour les territoires.
Par exemple, à qui profiteront réellement les réductions d’impôts sur les bénéfices lorsque, en contrepartie, seulement 5 % des quotes-parts exonérées doivent être consacrés à la formation des personnels, et sachant qu’il y a intérêt à ce que toutes les entreprises locales fassent également des bénéfices ?
Cela étant, malgré quelques incertitudes et malgré les incidences aléatoires du coût des mesures – 1, 5 milliard d’euros –, le principe de base consistant à réduire au maximum les freins à la capacité d’entreprendre, d’investir et de créer des emplois dans des territoires extrêmement contraints est indispensable. Et, puisque c’est la logique adoptée, il faut l’appliquer largement, lorsque cela se justifie.