Intervention de Catherine Tasca

Réunion du 13 décembre 2011 à 14h30
Service citoyen pour les mineurs délinquants — Rejet d'une proposition de loi en nouvelle lecture

Photo de Catherine TascaCatherine Tasca :

… sans concertation préalable avec les professionnels concernés, et voués à être remplacés au bout de quelques mois par d’autres textes visant à répondre à l’émotion populaire suscitée par un nouveau fait divers…

La présente proposition de loi relève en effet du pur affichage : il suffit, pour s’en convaincre, de se plonger dans son exposé des motifs, où il est question de « spirale de violences et de délinquance », des « condamnations pour crime commis en état de récidive », « des jeunes issus de quartiers où se côtoient trafics de drogues et d’armes, et où les phénomènes de bandes sont amplifiés ». En résumé, « la France a peur » !

Pourtant, le dispositif présenté ne traite nullement de cette délinquance-là, grave et bien réelle : il s’agit simplement de permettre le placement dans des centres relevant de l’EPIDe des mineurs délinquants, sur la base du volontariat, dans le cadre soit d’une composition pénale, soit d’un ajournement de peine, soit d’un sursis avec mise à l’épreuve : autant dire que le profil des jeunes délinquants concernés est assez éloigné de la grande délinquance, voire de la criminalité, visée dans l’exposé des motifs de la proposition de loi.

Autre élément d’affichage politique, ces jeunes délinquants feront l’objet d’un encadrement dit « militaire » : c’est ainsi, en tout cas, que le dispositif a été vendu à l’opinion. Pourtant, l’encadrement ne compte guère de militaires, mais il faut nourrir cette nostalgie d’un temps passé où les jeunes délinquants étaient « matés », et ce sévèrement. La communication gouvernementale a donc peu à voir avec le dispositif du texte, qui s’articule autour des EPIDe, structures ayant une vocation non pas de « redressement », mais de réinsertion.

Ce texte a été élaboré sans concertation préalable. Je souhaite insister sur ce point. L’article 6 comporte des dispositions qui ont peu à voir avec les EPIDe, donc avec l’objet de cette proposition de loi, et qui sont, nous l’avions déjà souligné lors de la première lecture et notre analyse n’a pas varié, des cavaliers législatifs.

En fait, l’article 6 tend à tirer les conséquences de deux décisions récentes du Conseil constitutionnel en matière de droit pénal des mineurs.

En ce qui concerne la décision du 4 août 2011, nous nous trouvons dans la situation tout à fait désagréable de devoir examiner des dispositions introduites sans concertation avec les professionnels, sans même qu’ils en aient été informés, et qui visent à répondre à la censure d’un précédent dispositif relatif aux modalités de saisine du tribunal correctionnel pour mineurs, lequel n’avait déjà fait l’objet d’aucune concertation préalable et était très largement rejeté par les juges des enfants.

Au demeurant, sur le fond, la disposition prévue au paragraphe II de l’article 6 vise, ni plus ni moins, à imposer la possibilité d’une saisine rapide, par le parquet, du tribunal correctionnel pour mineurs. Peu importe que le Conseil constitutionnel ait considéré que de telles procédures d’urgence ne permettent pas de garantir que le tribunal dispose d’informations récentes sur la personnalité du mineur et de rechercher les moyens de son relèvement éducatif et moral !

L’introduction du nouveau dispositif, tout à fait bureaucratique, inventé pour répondre à la décision du Conseil constitutionnel du 8 juillet 2011 et qui interdit au juge des enfants ayant renvoyé un mineur devant le tribunal pour enfants de présider la juridiction de jugement habilitée à prononcer des peines est une autre conséquence dommageable de cette façon précipitée de légiférer. La présidence du tribunal pour enfants devra être assurée par un juge des enfants d’un autre tribunal pour enfants sis dans le ressort de la cour d’appel, ce qui crée un véritable casse-tête, en termes d’organisation, pour les juges des enfants, contraints d’aller siéger dans des tribunaux distincts !

Autant je perçois bien les motivations politiques qui vous poussent à faire voter le dispositif instaurant un service dit civique pour les mineurs délinquants, autant je ne comprends pas votre empressement à venir inutilement compliquer et alourdir le travail quotidien des juges des enfants.

Le Conseil constitutionnel donnait pourtant au Gouvernement jusqu’au 1er janvier 2013 pour rectifier et adapter la loi française. Monsieur le ministre, pourquoi ne pas avoir mis à profit cette année et demie de délai pour travailler avec les professionnels de la justice à l’élaboration d’un dispositif compatible avec les principes qui fondent le droit pénal des mineurs et les exigences du métier de juge des enfants ?

D’autres solutions que l’« usine à gaz » instaurée par ce texte existent. Je considère, par exemple, que la décision du Conseil constitutionnel est plus subtile que la lecture que vous en faites, monsieur le ministre, et qu’elle permet de maintenir la « double casquette » du juge des enfants et de garantir le principe du juge référent, dans les cas où la culpabilité est reconnue. Sur ce sujet, un vrai travail de concertation avec les professionnels s’imposait.

Le sort des mineurs de notre pays, notamment quand ils sont en situation de décrochage ou en rupture avec les règles de la société, représente un enjeu difficile et sensible. Pour cette raison, l’instrumentalisation de la justice des mineurs pratiquée depuis près de dix ans par les gouvernements successifs est insupportable !

Que pensez-vous, monsieur le garde des sceaux, des propos de M. Guéant, repris par Le Monde, selon lesquels « une réforme profonde de [l’ordonnance de 1945] est nécessaire » ? Pour ma part, j’y vois une volonté d’instrumentaliser, une fois de plus, le droit pénal des mineurs, et, aussi et surtout, un inquiétant aveu d’échec de la politique menée depuis dix ans. À l’évidence, il y a urgence à tourner la page !

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