Intervention de Éric Bocquet

Réunion du 13 décembre 2011 à 21h30
Quatrième loi de finances rectificative pour 2011 — Question préalable

Photo de Éric BocquetÉric Bocquet :

Il convient de rompre clairement avec la politique et les plans d’austérité menés en France et dans la plupart des pays de la zone euro. D’ailleurs, s’il fallait une preuve de la nécessité de cette mesure, elle résiderait très exactement dans l’examen de la situation des pays aujourd’hui frappés par ces plans.

La Grèce, qu’on a voulu affubler du bonnet d’âne européen, connaît cette année une récession plus grave encore que celle qu’elle avait dû affronter jusqu’alors.

Nous avions, en son temps, rejeté le plan européen relatif à ce pays, au motif, précisément, qu’il ne lui permettait pas de se remettre dans le bon chemin. Les faits semblent malheureusement nous donner raison !

La situation de l’Irlande n’est pas meilleure ; quant à la Hongrie, l’appauvrissement de sa population est particulièrement significatif.

Et l’on dit désormais que près d’un ménage français sur six renonce à se chauffer, en raison de la hausse continue des prix de l’énergie domestique !

Le débat sur le projet de loi de finances pour 2012 a été l’occasion, pour la nouvelle majorité sénatoriale, de faire valoir un certain nombre de propositions alternatives face à la volonté dogmatique de réduire les dépenses publiques, volonté utilisée, pour l’heure, pour justifier les choix gouvernementaux.

Mes chers collègues, permettez-moi, à ce stade, de rappeler un certain nombre de faits.

Comment pouvons-nous continuer à lever un impôt sur le revenu dont le produit, proche de 60 milliards d’euros, subit des mesures correctrices atteignant au moins 40 milliards d’euros et bénéficiant d’abord et avant tout aux revenus les plus élevés, en particulier aux revenus financiers ?

Comment pouvons-nous continuer à tolérer un impôt sur les sociétés rapportant péniblement, les bonnes années, 50 milliards d’euros, alors que 110 milliards d’euros environ, soit deux fois plus, sont utilisés pour en « corriger » l’application ?

Un impôt dont nous abandonnons les deux tiers du produit, ce n’est plus un impôt à 33 %, c’est un impôt à 10 % !

Comment, au moment où les comptes publics sont dans le rouge, pouvons-nous accepter qu’un allégement de l’impôt de solidarité sur la fortune de 2 milliards d’euros soit encore accordé, d’autant que cela vient s’ajouter à l’exonération des biens professionnels et à quelques autres niches venant « miter » cet indispensable impôt ?

Comment pouvons-nous accepter le maintien du dispositif « heures supplémentaires », dont le coût s’avère d’autant plus élevé qu’il est devenu un obstacle à la création d’emplois, notamment d’emplois intérimaires ?

Comment pouvons-nous accepter que persiste un dispositif d’allégement général des cotisations sociales, dont le coût est également très élevé, et qui, depuis dix ans, a ouvert tout grand la « trappe à bas salaires », dans laquelle des millions de travailleurs ont été jetés, sans respect ni pour leurs droits ni pour leurs compétences et qualifications ?

Ces questions, mes chers collègues, nous y avons répondu au cours du débat budgétaire pour 2012. Elles seront, quoi qu’il arrive, au cœur du débat politique des mois à venir. C’est bien parce que notre pays souffre d’un déficit résultant d’abandons successifs et massifs de recettes, qu’il s’agisse de l’impôt sur les sociétés, de l’impôt sur le revenu des plus riches, de la taxe professionnelle ou de la participation des entreprises au financement du développement local, que nous devons changer totalement de braquet !

La dette publique, mes chers collègues, n’est pas due à un excès de dépenses publiques, aux effectifs pléthoriques de la fonction publique ou à je ne sais quelle dérive des dépenses sociales ; elle résulte bel et bien de décennies de cadeaux fiscaux – ils ont été particulièrement importants au cours de ces dernières années –, qui ont entraîné une diminution des recettes, alors que les besoins sociaux s’accroissaient.

Des années de politique libérale ont laissé aux plus riches, aux grands groupes, des sommes toujours plus considérables à leur libre disposition. Qu’en ont-ils fait ? Nous avons un niveau de dette publique rarement égalé en temps de paix, des déficits publics dont ni le montant ni le niveau n’avaient encore été atteints sous la ve République, un déficit de notre commerce extérieur d’une ampleur également inégalée, et il faudrait continuer, faire comme si de rien n’était et laisser ceux qui ont usé et abusé de l’argent public laissé à leur discrétion continuer de le gaspiller ?

Au moment où les conditions de réalisation du nouveau ministère de la défense en formule « PPP », ou « partenariat public-privé », et l’attribution de ce marché au groupe Bouygues nourrissent désormais les doutes les plus sérieux, on comprend que le gaspillage des deniers publics doit effectivement cesser !

Une réforme fiscale de grande ampleur est la condition sine qua non du redressement de nos comptes. Or, force est de le constater, elle ne figure aucunement dans ce collectif, qui ne comporte que des mesures de portée conjoncturelle, faussement présentées sous couvert d’équité, en faisant évidemment abstraction de ce que je viens de rappeler de notre histoire fiscale récente.

La question de la dépense publique est également au cœur d’un projet réellement alternatif de gestion budgétaire. En effet, nous ne souffrons aucunement d’un trop haut niveau de dépenses publiques.

Au risque d’en étonner certains, je me permets tout de même de vous rappeler, mes chers collègues, qu’il est heureux, pour nos banquiers, nos compagnies d’assurance, nos commerçants, qu’il existe dans notre pays une population de plusieurs millions de fonctionnaires. Comment feraient-ils s’il n’y avait cette population disposant d’un revenu assuré, versé de manière régulière ?

Je me demande, dans les mêmes termes, ce que ferait l’État lui-même, notamment du point de vue de la régularité de ses propres ressources fiscales.

J’irai même au bout de cette réflexion. Certains se sont gaussés d’une proposition visant à créer 60 000 postes nouveaux dans l’éducation nationale, dont le coût serait prétendument « insupportable » pour les deniers publics. Mais les vingt années passées par 60 000 jeunes diplômés en attente de ces emplois sur les bancs de nos écoles, collèges, lycées et universités, combien cela coûte-t-il à la nation ?

Telles sont donc les raisons qui nous conduisent à vous demander, mes chers collègues, de voter cette motion tendant à opposer la question préalable.

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