Intervention de Nicole Bricq

Réunion du 15 décembre 2011 à 15h00
Convention fiscale avec la république de panama — Discussion et rejet d'un projet de loi en procédure accélérée

Photo de Nicole BricqNicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances :

Monsieur le président, monsieur la secrétaire d'État, mes chers collègues, avec cette convention, nous touchons à la fois au juridique, au politique et au diplomatique. Quant au contexte économique, il peut aussi peser sur notre délibération.

Au Sénat, la tradition, bien antérieure au changement de majorité, veut que la commission des finances soit compétente pour examiner les conventions fiscales. En l’occurrence, croyez-le bien, monsieur le secrétaire d'État, elle s’y est employée très consciencieusement, comme à son habitude.

Je rappelle que les membres de la commission, toutes tendances politiques confondues, ont appuyé le Gouvernement lorsqu’il a souhaité prévoir un arsenal de sanctions pour les territoires non coopératifs dans la loi de finances rectificative pour 2009.

Nous avons abordé cette convention en tremblant, car, nous le savons, de multiples intérêts sont en jeu.

Je voudrais commencer par rappeler quelques données économiques concernant le Panama.

Premier État d’immatriculation de navires avec le Liberia, le Panama est aussi un marché pour certains grands groupes français du BTP ou de la fourniture d’énergie, comme GDF-Suez, mais aussi Degrémont ou Alstom, cette dernière entreprise ayant conclu en 2010 un contrat pour l’équipement de la première ligne de métro du pays.

Nous n’ignorons pas ce contexte. Du reste, il aurait été difficile de ne pas en tenir compte vu les courriers que nous avons reçus de la part de grandes entreprises françaises et de leur organisation, l’Association française des entreprises privées, nous pressant d’approuver cette convention.

De nouveaux appels d’offres seront lancés en 2012 pour la seconde ligne de métro et pour un projet d’interconnexion électrique avec la Colombie.

Il faut néanmoins relativiser : Panama est le cinquante-cinquième client de la France et son cent dix-neuvième fournisseur…

La commission des finances a estimé que les conditions dans lesquelles nous examinons ce texte ne nous permettent pas de le voter.

Nous sommes en effet saisis en urgence et le Gouvernement nous demande d’aller vite. Nous avons accepté, dans des délais très contraints et en pleine période budgétaire, d’examiner ce texte sans tarder. Le ministre chargé des relations avec le Parlement est d’ailleurs au courant de la situation, qui a été évoquée en conférence des présidents voilà quinze jours.

Paraphée le 28 mai 2010, la convention n’a été signée par la France que le 30 juin 2011. Entre-temps, le Forum mondial sur la transparence fiscale avait rendu une évaluation négative.

Les délais ont néanmoins été très serrés : le projet de loi a été déposé le 1er décembre à l’Assemblée nationale, qui l’a adopté hier.

Y a-t-il vraiment urgence à ratifier et appliquer cette convention ? Je ne le pense pas. Ce n’est non la qualité de la convention qui pose problème, mais l’ordre juridique panaméen. Comment ce pays pourrait-il échanger des informations auxquelles il n’a pas accès lui-même ? La capacité normative est, ne l’oublions pas, un préalable à la ratification qui entraînera la suppression de Panama de la liste française des paradis fiscaux – suppression censée intervenir le 31 décembre 2011 – et donc la levée des sanctions. Je le rappelle, la liste noire avait été transformée en liste grise et chaque pays dresse sa propre liste, qui est arrêtée par le pouvoir réglementaire.

La convention elle-même est conforme au modèle de l’OCDE : elle comporte un mécanisme d’échange de renseignements portant sur les informations vraisemblablement pertinentes pour l’établissement et le recouvrement des impôts, ainsi qu’un mécanisme de suppression des doubles impositions, complété de clauses anti-abus.

Le Panama a signé douze accords, ce qui est la règle pour sortir de la liste. Même si cette règle est nécessaire, elle n’est pas forcément suffisante. Ces accords concernent les pays suivants : la Barbade, le Luxembourg, le Qatar, Singapour, la République de Corée, les Pays-Bas, l’Espagne, le Portugal, le Mexique, l’Italie, les États-Unis et la France.

Le Panama s’était engagé à respecter les normes de transparence dès 2002, mais n’a conclu son premier accord que le 24 mars 2010 : certes, il n’est jamais trop tard pour bien faire, mais il est tout de même resté huit années sans agir !

Par ailleurs, il n’a rempli que trois des dix critères imposés par le Forum mondial, qui évalue depuis 2010 les 105 États membres sur leur respect des normes de transparence.

Je rappelle que cette évaluation comporte deux phases.

La première consiste à évaluer la capacité normative de l’État à accéder aux renseignements. Le Forum vérifie notamment que la loi nationale prévoit une comptabilité des sociétés, qu’elle prévoit la tenue de registres et que l’État demandeur peut y accéder sans se voir opposer un quelconque secret professionnel.

Durant cette première phase, le Forum mondial apprécie également si les accords ont été conclus avec de véritables partenaires.

Quant à la seconde phase, elle consiste à dresser un bilan qualitatif et quantitatif des procédures d’échange de renseignements de l’État considéré.

Or le Forum mondial a jugé en septembre 2010 que le Panama satisfaisait à seulement trois critères sur dix : la disponibilité des renseignements bancaires, la compatibilité des mécanismes d’échange avec le respect des droits des contribuables et le respect de la confidentialité des renseignements reçus.

L’incapacité du Panama à coopérer est manifeste, car son réseau conventionnel est trop sélectif. D'ailleurs, relevant qu’un certain nombre d’États intéressés par l’échange de renseignements avec le Panama avaient tenté en vain de conclure un accord avec celui-ci, le Forum mondial recommande au pays de faire un effort en ce sens.

La France avait souhaité conclure un accord d’échange de renseignements, et non une convention de suppression des doubles impositions, laquelle, selon la pratique, intervient dans un second temps. Or ce n’est pas ce qui s’est passé.

À Panama, la disponibilité des renseignements est insuffisante.

Nous constatons notamment l’absence d’un mécanisme d’identification des actionnaires : la société anonyme doit conserver un registre de ceux-ci, mais peut n’y figurer que le nom des mandataires, et non celui du mandant. En outre, les actions au porteur échappent à l’obligation d’enregistrement, et leur transfert donne lieu à une simple remise de certificat, sans enregistrement.

Les sociétés doivent conserver une comptabilité pendant cinq ans, à l’exception notable, sur laquelle j’attire votre attention, des sociétés offshore immatriculées au Panama – fort nombreuses, comme chacun sait – mais n’y réalisant pas d’opérations économiques, ainsi que des trusts et des fondations, dont nous connaissons bien l’opacité.

L’accès aux renseignements est, d’autre part, limité par le secret professionnel. Lors de la constitution des sociétés anonymes, un avocat doit être nommé afin de procéder à l’immatriculation. Or, le secret professionnel panaméen couvrant cette activité, il est possible de faire échec à la coopération par ce biais ; le Forum mondial l’a constaté.

En outre, à la date de l’examen par le Forum, la loi panaméenne exigeait d’avoir un intérêt d’ordre fiscal interne pour échanger les renseignements.

Le Panama ne satisfaisant pas à au moins cinq des dix critères requis – à l’instar de Brunei et des Seychelles –, le Forum a jugé qu’il n’était pas admis à passer en phase 2.

La qualité de son cadre normatif est en cours d’examen et nous ne connaîtrons les résultats de la seconde évaluation qu’à la fin du premier semestre 2012.

En réaction aux conclusions du Forum mondial, le Panama a supprimé de sa législation la possibilité de refuser de coopérer s’il n’a pas d’intérêt fiscal propre à collecter l’information. Il a également, par une loi du 1er février 2011, modifié la portée du secret professionnel : l’avocat doit désormais connaître son client. À cet égard, je remercie le secrétariat de la commission des finances d’avoir pris la peine de lire le contenu – en espagnol – de cette loi, du reste annexée au rapport écrit de la commission.

Toutefois, cette loi laisse de nombreuses questions sans réponse. L’obligation de connaître le client existe au moment de l’immatriculation, mais pas ensuite.

On peut également douter de la capacité de l’avocat à identifier les actionnaires au porteur en l’absence d’une obligation de notifier le transfert des titres.

J’ajoute que l’avocat est autorisé à déroger à la demande d’informations sur un tiers si son client est lui-même un avocat, une banque ou tout organisme professionnel obéissant à des normes éthiques pour la détection des opérations de blanchiment de capitaux.

Surtout, le problème de défaut de comptabilité des sociétés offshore demeure entier.

Nous ne disposons pas d’éléments pour évaluer la capacité normative du Panama à se conformer à ses engagements. Seule la seconde évaluation par le Forum mondial permettra d’apprécier la capacité du pays à fournir les renseignements sur les sociétés offshore et sur les actionnaires au porteur.

Monsieur le secrétaire d’État, je rappelle que la nouvelle annexe au projet de loi de finances sur le réseau conventionnel de la France en matière d'échange de renseignements n’a pas été transmise au Parlement, contrairement à ce que prévoit la loi. Ce nouveau « jaune » budgétaire doit préciser le nombre de demandes d’assistance internationale qui ont été satisfaites, afin que la liste française des paradis fiscaux puisse être actualisée, comme chaque année, au 1er janvier prochain. En l’absence de ce document, je ne peux donc pas apprécier l’efficacité de la politique conventionnelle française.

Il est très désagréable pour le Parlement de constater que les dispositions législatives qu’il vote ne sont pas suivies d’effets, surtout lorsque ces dispositions visent à informer la commission des finances sur la bonne fin des moyens annoncés à grand renfort de publicité par le Gouvernement !

Compte tenu de ces éléments, la ratification de la convention apparaît pour le moins prématurée.

Mes chers collègues, nous ne sommes pas en mesure de garantir que le Panama pourra se conformer à ses engagements : sans cadre juridique adéquat, la convention n’a aucune chance d’être appliquée. Or la ratification entraînerait la radiation du pays de la liste française des paradis fiscaux et la levée des sanctions qui ont été votées – à l’unanimité, je le rappelle – dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2009, à savoir le dispositif anti-évasion des bénéfices et la majoration des taux de retenue à la source pour les flux financiers à destination des territoires non coopératifs. Permettez-moi d’insister sur ce point essentiel.

Je rappelle à cet égard que la conclusion de l’accord franco-panaméen a d’ores et déjà permis au Panama de sortir de la liste grise de l’OCDE.

Je le concède, le Panama s’est engagé, à petits pas, sur la voie de la transparence. Cela n’est toutefois pas suffisant pour autoriser une coopération efficace. Le ministère des affaires étrangères a reconnu que des efforts avaient pris « un tour tangible » ; c’est nécessaire, mais cela ne suffit pas.

La garantie que le Panama dispose du système juridique approprié est une condition préalable à la ratification, sans laquelle cette dernière ne serait qu’un acte formel dépourvu de sens. Nous aurons cette information lors de la publication de la seconde évaluation par le Forum mondial. Mes interrogations ne concernent donc pas la sincérité de l’engagement du Panama, mais sa capacité à s’y conformer.

Du reste, Mme Pécresse, ministre du budget, est convenue, lors de sa conférence de presse du 24 novembre dernier, qu’en matière d’échange de renseignements tout n’était pas « rose ». Et quelle n’a pas été la réaction du Panama aux propos de Mme la ministre !

Or notre administration n’avait reçu au 31 août 2011 qu’un tiers des réponses aux demandes d’information qu’elle avait adressées, au cours des huit premiers mois de l’année, à dix-huit États avec lesquels elle est liée conventionnellement. En outre, la plupart des informations communiquées tendaient à valider des éléments qu’elle possédait déjà.

C’est pourquoi le Sénat débat actuellement du durcissement de l’arsenal répressif, afin d’allonger le délai de reprise à trente ans. La vertu de la sanction est de maintenir la pression pour que ce pays s’engage totalement, et non plus seulement très partiellement, dans la voie de la transparence.

Au demeurant, monsieur le secrétaire d’État, puisque l’on parle de convergence avec l’Allemagne, j’ai relevé que Berlin ne voulait pas signer une telle convention. Dès lors, pourquoi la France se précipiterait-elle ?

En permettant dans un premier temps au Panama de sortir de la liste grise de l’OCDE et en s’apprêtant maintenant à le radier de sa propre liste, la France risque de nuire à la crédibilité de sa politique en matière de lutte contre les paradis fiscaux !

Comment expliquer le revirement brusque de position opéré depuis le récent G20 de Cannes ? Le Président de la République y avait pourtant tenu des propos aussi volontaristes que lors du G20 de Londres d’avril 2009, au cours duquel les États étaient décidés à engager une lutte farouche contre les paradis fiscaux.

En conséquence, et à la lumière du travail qu’elle a accompli, comme à son habitude, sur cette convention fiscale, la commission des finances vous propose, mes chers collègues, de rejeter ce projet de loi et de laisser l’Assemblée nationale légiférer. En procédant de la sorte, nous ne nuirons pas aux intérêts de la France. §

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion