Intervention de André Gattolin

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 14 décembre 2011 : 1ère réunion
Rémunération pour copie privée — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de André GattolinAndré Gattolin, rapporteur :

Je remercie la commission de m'avoir confié ce dossier passionnant, qui nous donne l'occasion de nous pencher, même si l'objet du texte reste très circonscrit, sur l'importante question du droit de propriété intellectuelle.

Le texte qui nous est soumis poursuit un double objectif : mieux encadrer les modalités de détermination de la rémunération pour copie privée et sécuriser un dispositif ébranlé par la rapidité des évolutions technologiques et par la jurisprudence. L'Assemblée nationale, sur le bureau de laquelle il avait été déposé le 26 octobre, l'a adopté le 29 novembre. Pour éviter un risque d'interruption ou de remise en cause du dispositif existant à compter du 22 décembre, le Gouvernement a déclaré l'urgence sur ce texte qui ne se donne pas pour objet, par conséquent, de remettre à plat l'ensemble du système, remise à plat qui sera d'autant plus nécessaire que la Commission européenne travaille à l'élaboration d'un cadre politique commun. Au regard de ce nécessaire travail de longue haleine, l'ambition de ce texte reste très circonscrite, mais c'est là l'occasion de se pencher sur cet important problème.

Le code de la propriété intellectuelle réserve aux auteurs d'oeuvres protégées la faculté d'autoriser la reproduction pour copie à usage privé et non collectif, dite « exception de copie privée ». En contrepartie, le titulaire des droits perçoit une rémunération forfaitaire destinée à compenser le manque à gagner croissant dû au développement des technologies permettant la multiplication des copies. La société Copie France est habilitée à effectuer la perception et le contrôle des sommes déclarées par les distributeurs de supports d'enregistrement très variés, allant du CD jusqu'aux tablettes tactiles, en passant par les équipements télévisuels, les baladeurs, les téléphones mobiles.

Les barèmes forfaitaires sont déterminés, support par support, par la commission de la copie privée, présidée par M. Hadas-Lebel, et placée sous la double tutelle des ministères de la culture et de l'économie. Cette commission non paritaire de vingt-quatre membres est composée de trois collèges, douze sièges allant aux sociétés de perception et de répartition des droits (SPRD), qui représentent les ayants droit, six aux fabricants et importateurs, regroupés en six syndicats professionnels, six, enfin, aux associations de consommateurs.

L'audition de quelque 45 personnes que j'ai entendues, représentant une quinzaine de groupements, m'a fait comprendre que le processus décisionnel a cessé d'être consensuel, comme le voulait la loi Lang de 1985. Les affrontements sont fréquents et posent la question de la gouvernance - certes éloignée de l'objet de ce texte mais non sans lien avec lui.

Les sommes collectées sont réparties entre les SPRD, qui, après déduction de frais de gestion, très variables et qui peuvent, dans certains cas, atteindre des montants très élevés, ainsi que le relève la Cour des comptes, en consacrent 75 % aux ayants droit - auteurs, éditeurs, producteurs et interprètes d'oeuvres sonores et audiovisuelles, auxquels s'ajoutent, depuis la loi du 17 juillet 2001, les auteurs de l'écrit et des arts visuels - les 25 % restants allant à l'aide à la création, à la diffusion du spectacle vivant et à la formation des artistes.

En 2010, la rémunération pour copie privée représentait, hors taxes, 189 millions d'euros : entre 2002 et cette date, les recettes ont augmenté de moitié, du fait de l'intégration de nouveaux supports pour la copie sonore et de la prise en compte de l'écrit et des arts visuels.

Qu'en est-il dans les autres pays européens, sachant que l'exception de copie privée est inscrite dans la directive du 22 mai 2001 sur l'harmonisation des droits d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information ? Fin 2011, seuls le Royaume-Uni et l'Irlande avaient choisi de ne pas appliquer l'exception de copie privée et seuls quatre pays n'avaient pas encore mis en oeuvre le système de compensation obligatoirement associé - Luxembourg, Bulgarie, Chypre et Malte. Les vingt-et-un autres pays ont tous opté pour la gestion collective des droits, les taux retenus en France étant cependant quatre fois supérieurs à la moyenne. Dans de nombreux pays, les SPRD consacrent également une part de la collecte à la création artistique : 33 % au Danemark, 20 % au Portugal et en Espagne.

La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) impose une obligation de résultat mais non de moyens quant à la compensation : la transposition varie donc d'un pays à l'autre. La Commission européenne a néanmoins exprimé le souhait d'aboutir à un cadre commun, via un projet de protocole d'accord négocié en 2009. Les discussions, qui s'inscrivent dans la stratégie numérique de l'Union européenne telle qu'exposée dans la communication de la Commission du 24 mai 2011, et qui vise à développer un marché unique du droit de propriété intellectuelle, devraient être relancées par la nomination récente d'un médiateur européen, M. Antonio Vitorino, que j'ai rencontré hier, et dont je propose que la commission, dans le cadre de sa mission sur l'Internet et la propriété intellectuelle, le rencontre tant ces sujets sont complexes et évolutifs. La multiplication des usages privés, liée à l'explosion des capacités de stockage numérique, pose un défi, y compris juridique : complexité croissante du dispositif, nécessité de l'adapter aux évolutions technologiques et d'assurer la balance entre les intérêts en présence, dans la ligne du droit communautaire. Le contentieux enfle entre distributeurs et producteurs, sociétés d'auteur et commission de la copie privée. Les décisions de la commission de la copie privée sont bien souvent annulées par le juge administratif. C'est ainsi que le Gouvernement a demandé au législateur de replâtrer, en urgence, l'édifice. Tous les interlocuteurs que j'ai rencontrés ont d'ailleurs qualifié ce texte de « rustine ».

Quelle est, en effet, la situation ?

Dans une décision Simavelec du 11 juillet 2008, le Conseil d'État a annulé une décision de la commission de la copie privée au motif qu'elle avait tenu compte, pour chaque support, du préjudice subi, non seulement du fait des copies licites, mais aussi du fait des copies illicites de vidéogrammes ou de phonogrammes.

Par ailleurs, dans un arrêt Canal+ Distribution du 17 juin 2011, le Conseil d'État a annulé la décision n° 11 de la commission de la copie privée, qui fixait les barèmes de rémunération pour une dizaine de supports. Il a tiré ainsi les conséquences de l'arrêt Padawan de la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) du 21 octobre 2010, limitant le champ de la redevance pour copie privée aux supports mis à la disposition d'utilisateurs privés et manifestement réservés à des usages de copies à usage privé, en vue de se conformer à la directive de 2001 relative au droit d'auteur.

Le Conseil d'État a estimé qu'il convenait, par conséquent, d'exonérer de la rémunération pour copie privée les supports acquis, notamment à des fins professionnelles, dont les conditions d'utilisation ne permettent pas de présumer un usage à fins de copie privée. Il n'a cependant annulé cette décision que pour l'avenir, sous réserve des instances en cours, l'annulation de la décision n°11 de la commission ne prenant effet qu'au 22 décembre 2011. Il a en outre considéré que la commission de la copie privée devait, pour fonder ses barèmes, « apprécier, sur la base des capacités techniques des matériels et de leurs évolutions, le type d'usage qui en est fait par les différents utilisateurs, en recourant à des enquêtes et sondages qu'il lui appartient d'actualiser régulièrement. » Or, si la commission a pu recueillir les résultats des enquêtes lancées suite à cette décision, le délai imparti ne lui permet pas de procéder à l'ensemble des calculs nécessaires à la détermination et à l'adoption des nouveaux barèmes.

Ce projet de loi, motivé par un souci compréhensible de préservation et de légitimation du dispositif, tire donc les conséquences de cette jurisprudence. Il vise, en premier lieu, à mettre le code de la propriété intellectuelle en conformité avec la directive telle qu'interprétée par la CJUE et le Conseil d'État : les personnes acquérant des supports d'enregistrement dont les conditions d'utilisation ne permettent pas de présumer un usage à des fins de copie privée, notamment des supports acquis à des fins professionnelles, pourront avoir recours à un mécanisme soit d'exonération, soit de remboursement de la redevance pour copie privée indûment payée ; il tend, en deuxième lieu, à intégrer au code d'autres principes arrêtés par le Conseil d'État : non assujettissement des copies réalisées à partir de sources illicites et obligation de fonder l'établissement des barèmes de rémunération sur des études d'usage ; il prévoit, en troisième lieu, de renforcer l'information de l'acquéreur de supports sur le principe et le montant de la rémunération pour copie privée acquittée, conformément aux recommandations du plan France numérique 2012.

Compte tenu de l'urgence évoquée précédemment, la validité du barème résultant de la décision n° 11 de la commission est prolongée pour une durée maximum que l'Assemblée nationale a ramenée de 24 à 12 mois, sous réserve d'appliquer les nouvelles règles introduites, et les rémunérations perçues sur le fondement de cette décision et ayant fait l'objet de réclamations en cours sont validée par la loi.

Outre quelques améliorations rédactionnelles, l'Assemblée nationale a adopté quelques modifications de fond au projet de loi initial. A l'article premier, à l'initiative de notre collègue député, Lionel Tardy, elle a modifié les articles L. 122-5 et L. 211-3 du code de la propriété intellectuelle en vue de préciser que l'exception de copie privée ne sera exigible que sur les copies « réalisées à partir d'une source licite ». Mais en visant ces articles, qui définissent les exceptions de copie privée au droit d'auteur et aux droits voisins, le texte modifierait la définition du périmètre même de l'exception de copie privée, ce qui dépasse l'objet du projet de loi, dédié à la redevance pour copie privée.

En outre, le fait de donner valeur législative à cette extension du périmètre de la copie privée pourrait se retourner contre le consommateur et figer un régime juridique qui devra faire l'objet d'une réflexion globale approfondie, pour mieux s'adapter aux technologies numériques. Nous serons très vite confrontés au cloud computing, en d'autres termes l'« info nuage », qui, ajouté à la télévision connectée, rend une remise à plat incontournable et urgente. Bientôt, c'est par Internet que nous accèderons à nos données, stockées sur des serveurs distants hébergés par un prestataire de services. Comment appréhender, juridiquement ce stockage « dans les nuages » ? Question complexe et délicate sur laquelle Mme Sylvie Hubac, présidente du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), m'a indiqué qu'un groupe de travail était lancé.

Je vous proposerai donc un amendement tendant à supprimer les modifications introduites par l'Assemblée nationale à l'article premier.

A l'article 3, relatif à l'information de l'acquéreur d'un support d'enregistrement, l'Assemblée nationale a précisé que la notice explicative sur la rémunération pour copie privée devant être portée à la connaissance du consommateur pourra être intégrée sur le support numérique concerné. Objectif louable, mais la rédaction retenue, très circonstanciée, présente des risques. Pour éviter une trop forte contrainte sur les fabricants ou importateurs de matériels, il serait préférable de leur permettre de déterminer les meilleurs moyens de répondre à ce but, y compris par voie d'affichette, en magasin, ou de bandeau, sur les sites de vente en ligne. La production de la quasi-totalité des produits concernés par la redevance pour copie privée étant européenne, voire internationale, les produits arrivent en France sous emballage et il est difficile d'y intégrer un élément nouveau, qu'il soit physique ou dématérialisé. J'ajoute que le comportement des utilisateurs ainsi alertés sur la redevance pourrait les inciter à se tourner davantage vers le « marché gris » hors redevance, qui se développe dans des pays comme le Luxembourg ou sur Internet, ce qui représenterait un manque à gagner et sur la redevance, au détriment des ayants droit et sur la TVA, au détriment de l'État. Pour avoir longtemps étudié les comportements socio-économiques, enfin, je crains que la redevance ainsi mise en avant ne soit comprise comme un droit de tirage ouvert aux utilisateurs, poussés à multiplier les copies.

Je vous proposerai donc une rédaction plus claire et plus simple de cet article. Il s'agit de fixer les objectifs de la nécessaire information du public quant au montant, principe et finalités de la rémunération pour copie privée, ainsi qu'à la possibilité de conclure des conventions d'exonération ou d'obtenir le remboursement de cette rémunération, sans pour autant en imposer les modalités.

A l'initiative de M. Lionel Tardy, l'Assemblée nationale a inséré un article 4 bis, bienvenu, prévoyant que le rapport remis au ministre de la Culture sur l'utilisation des sommes venant de la rémunération pour copie privée pour le soutien à la création soit également remis aux commissions de la culture de l'Assemblée et du Sénat, manière « d'ouvrir en douceur le débat sur les 25 % de la rémunération pour copie privée qui doivent être dédiés à la création culturelle », à l'heure où ce dispositif fait l'objet de fortes contestations à Bruxelles, au motif qu'il ne viendrait pas compenser le préjudice subi au titre de la copie privée. L'Assemblée nationale a enfin, à l'article 5, réduit de 24 à 12 mois la durée maximale de la prorogation des effets de la décision n° 11 de la commission de la copie privée. Je vous propose de suivre nos collègues députés sur ces deux derniers points.

Ce texte, sans lequel les barèmes perdraient toute validité juridique à compter du 22 décembre, est urgent. La redevance, qui représente une part non négligeable des perceptions pour les sociétés de gestion collective, ne pourrait plus être perçue. Cela représenterait, par jour, un manque à gagner de 500 000 euros. Je vous propose donc d'adopter ce projet de loi, sous réserve des deux amendements que je vous ai présentés, car la « rustine » ne doit pas, collant au code comme le sparadrap du capitaine Haddock, nous empêcher d'imaginer l'avenir.

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