Intervention de Daniel Reiner

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 13 décembre 2011 : 1ère réunion
Evolution du contexte stratégique depuis 2008 : risques et menaces transverses — Communication

Photo de Daniel ReinerDaniel Reiner :

On y songera. Le fait est qu'ils travaillent avec très peu d'argent -une trentaine de millions d'euros- et que ces dépenses sont pourtant hautement stratégiques. D'autant qu'ils doivent se tenir à jour constamment et que la puissance des machines est multipliée par dix tous les deux ans ou tous les trois ans et soit on suit, soit on laisse faire les autres : les Américains, les Chinois. Ces machines font des millions de milliards d'opérations à la seconde. Ces méthodes de calcul permettent de dresser des cartes potentielles de risques et de menaces. On utilise du reste ces calculateurs dans la simulation nucléaire.

Enfin, dernier concept, l'importance accordée aux opérations civilo-militaires. Sans doute inspirée par l'échec relatif des forces de la coalition en Afghanistan, la Commission du Livre blanc semblait souligner la faiblesse intrinsèque des interventions militaires. Cette considération trouvait ses fondements idéologiques dans la théorie du « soft power » de Joseph Nye, prônant la nécessité de combiner dans une même action, les différentes dimensions militaires, diplomatiques, commerciales, civiles etc... L'intervention en Libye a montré, au contraire, l'importance d'un outil militaire qualitativement cohérent et quantitativement significatif.

La puissance militaire croissante de la Chine, ses interventions militaires de plus en plus fréquentes au large de ses côtes, le retour d'une Russie autoritaire, n'hésitant pas à recourir à l'usage de la force, montrent que la probabilité de conflits de haute intensité n'est pas nulle. C'est la raison pour laquelle on ne pourra pas baisser la garde en matière d'équipements militaires conventionnels. Même si les menaces paraissent distantes, nous pourrions être impliqués dans ce type de conflits, en raison de nos alliances, en particulier celles au Moyen-Orient et il nous faudra tenir notre parole.

Par ailleurs, d'autres concepts mériteraient sans doute d'être pris en considération. C'est le cas, en particulier, de celui de « guerre hors-limites ». Ce concept développé par des généraux chinois peut être résumé en deux nouvelles : la bonne nouvelle est que les prochaines guerres feront peu de morts ; la mauvaise est que les guerres seront permanentes.

Dans cette approche, la guerre n'est plus « l'usage de la force armée pour obliger un ennemi à se plier à sa propre volonté », mais « l'utilisation de tous les moyens, dont la force armée, militaire ou non militaire et des moyens létaux ou non létaux pour obliger l'ennemi à se soumettre à ses propres intérêts ». Contrôler l'opinion publique est par exemple un outil de première importance.

Toute la difficulté des guerres nouvelles est de savoir combiner armes classiques et armes nouvelles. Les auteurs appellent les états-majors à ne pas surestimer le pouvoir des armes militaires traditionnelles. Ainsi, la recherche de la prouesse technologique peut être un moyen ruineux dont ils estiment qu'elle a entraîné l'URSS dans des dépenses militaires incontrôlées. Les raisons économiques ne sont pas les seules à orienter vers des guerres moins sanglantes. Ils orientent la réflexion vers l'emploi d'armes « adoucies » dont le but n'est pas d'infliger un maximum de pertes, mais d'obtenir les pertes suffisantes dans les limites tolérables par l'opinion. Enfin, après le coût des armes classiques et la crainte de la guerre ultime, les auteurs chinois insistent sur l'apparition de nouveaux concepts d'armes. « Il n'est rien aujourd'hui qui ne puisse devenir une arme. (...) des objets aimables et pacifiques ont acquis des propriétés offensives et meurtrières. ». L'innovation stratégique est du côté des Chinois.

On le voit, les nuances apportées à la menace terroriste et à la menace balistique, ainsi que la prise en compte de nouvelles menaces, contribuent à dessiner une carte des menaces sensiblement différentes de celle de 2008. D'autant qu'au-delà du couple probabilité d'occurrence/intensité, un troisième paramètre : la proximité de la menace devrait être prise en compte à notre avis.

Voilà, au final, les réflexions que nous voulions livrer à votre sagacité, afin de préparer l'audition du secrétaire général à la défense nationale, M. Francis Delon, qui aura lieu demain et d'avoir une base conceptuelle, un peu préparée. Nous vous remercions.

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