La commission entend une communication de Mme Michelle Demessine, M. André Dulait, Mme Josette Durrieu et M. Yves Pozzo di Borgo, sur l'évolution du contexte stratégique depuis 2008 : conséquences des printemps arabes.
Notre collègue aurait souhaité être parmi nous. Elle a un empêchement de dernière minute. C'est pourquoi je me permettrai de lire le texte qu'elle aurait souhaité vous présenter : « Apprécier aujourd'hui les conséquences des printemps arabes sur l'environnement géostratégique de la France relève de la gageure.
Je ne parle pas des délais qui nous ont été imposés par le calendrier fixé par le Président de la République. Le Secrétaire général du SGDSN vient nous présenter sa copie demain et la rendra au Président dans quelques jours. Nous avons donc eu trois semaines, en plein débat budgétaire, pour auditionner et réfléchir à ce qui apparaît comme un événement historique majeur. Il faut espérer que la consultation du Parlement sur la deuxième partie du Livre blanc sera plus conforme à l'idée que nous nous faisons de notre rôle.
C'est une gageure parce que ces révolutions sont en cours, au milieu du gué, sans que l'on sache précisément à quoi ressemble l'autre rive. Imaginez qu'on ait porté une appréciation sur les conséquences de la Révolution française en décembre 1789. Comme l'a souligné Hubert Védrine devant la Commission « Nous ne sommes qu'au début d'un processus incertain et aléatoire ». Tout ce que nous pouvons dire aujourd'hui pourra être contredit demain. La tentation est forte de penser qu'il y a un sens à l'Histoire. C'était finalement cela la théorie de Francis Fukuyama après la chute du mur de Berlin : le chemin est celui de la victoire progressive, continue, inéluctable de la démocratie. Il est sans doute prudent de résister à cette tentation. Je ne sais pas s'il y a un sens à l'Histoire, je doute que nous vivions une « fin de l'Histoire », ces révolutions témoignent du contraire, mais je crois qu'il n'y a ni un seul chemin, ni un seul modèle.
Dans le temps qui nous a été donné, nous avons procédé, en plus des auditions en commission, à deux auditions de spécialistes de la région. Eux-mêmes soulignent le caractère très précaire des conclusions que l'on peut tirer des mutations en cours.
Cela étant dit, avant d'aborder les conséquences de ces changements sur le diagnostic posé par le livre blanc, quelques mots sur les Printemps arabes eux-mêmes.
Je serai brève, car vous avez tous en tête la chronologie des faits. Il y a un an, nous avions, d'un bout à l'autre du monde arabe, des sociétés bloquées, travaillées par les islamistes et souffrant des mêmes maux : des régimes établis depuis des décennies devenus des prédateurs économiques ; des régimes reposant sur la prééminence des appareils sécuritaires, générant injustice et corruption ; des populations jeunes composées à 65 % de moins de 30 ans, un chômage important malgré des économies dynamiques. En face, les pays occidentaux, la France au premier chef avait l'impression qu'un choix cynique et binaire s'imposait aux populations arabes : la dictature ou le fondamentalisme. Nous aurions préféré la démocratie, mais nous nous accommodions bien de dictatures, qui nous assuraient la stabilité de la rive droite de la Méditerranée.
Dans ce contexte, l'immolation de Mohamed Bouazizi, le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid, a été, si je puis m'exprimer ainsi, l'événement qui a mis le feu aux poudres. Si, contrairement à ce qui a été dit, nos ambassades avaient établi des diagnostics pertinents sur le caractère sclérosé de ces régimes, personne n'aurait pu penser qu'un tel événement déclencherait une révolution. À cet effet de surprise, s'est ajouté un effet tache d'huile. Le vent de contestation qui s'est levé en Tunisie a soufflé partout dans le monde arabe, même si les situations diffèrent très nettement d'un pays à l'autre. Ils portaient partout une forte aspiration à la justice sociale, une forte aspiration à la liberté.
En Tunisie et en Egypte, un processus relativement pacifique a débouché sur des élections libres. En Libye, il a fallu l'intervention armée que l'on sait et que, par ailleurs, avec mon groupe, j'avais désapprouvée. Au Maroc et en Jordanie, des réformes parfois profondes ont été entreprises. En Syrie et en Iran, dans un contexte il est vrai différent, la répression se poursuit. Au Yémen, on est en suspens ; une solution est proposée, mais elle ne vient pas. Au Bahreïn, des troubles ont débuté sur fond de tensions entre chiites et sunnites. Un soutien financier massif, l'intervention des forces armées des dynasties du Golfe et des promesses de réformes ont mis fin aux émeutes, dans un contexte qui reste tendu. Ailleurs, on ignore le printemps arabe, mais il est dans tous les esprits. Je veux parler de l'Algérie, de l'Arabie saoudite et de l'ensemble des monarchies du Golfe. Au total, 16 des 22 États membres de la Ligue arabe ont été confrontés, au cours de l'année 2011, à divers types d'instabilité politique. Partout, le facteur principal est l'écart considérable qui s'est creusé entre des élites dirigeantes corrompues et une population jeune. »
Les « Printemps arabes » sont un mouvement profond et marquent une « rupture ». Ils n'avaient pas été prévus dans le « Livre blanc » de 2008.
« L'Arc de crise » est en pleine évolution. Et ces mouvements sont sûrement appelés à durer. Les révolutions ont renversé des régimes, installés après la période coloniale et avérés être des gestionnaires prédateurs. Pendant des décennies, au nom de la stabilité, nous avons accepté et soutenu ces régimes considérés comme des remparts contre l'islamisme. En échange de la protection de nos intérêts politiques ou économiques, nous n'avons pas été très regardants en matière de démocratie et de droits de l'Homme, même si, notamment, le Conseil de l'Europe avait attiré l'attention sur la situation en Tunisie, au Maroc, en Algérie et ailleurs. A l'évidence les peuples de ces pays ne se reconnaissaient pas dans ces logiques. La rébellion est clairement jeune, laïque, démocratique et économique. Elle est imprégnée de nos civilisations et de nos valeurs. Cet esprit initial et cette force devraient prévaloir dans la durée.
Cette complaisance à l'égard des dictatures a imposé à la France une révision brutale de sa politique étrangère. On l'a noté en Tunisie et illustré par l'intervention contre les forces du Colonel Kadhafi, qui avait pourtant été reçu à Paris avec tous les honneurs, il y a moins de 5 ans.
Comme l'a souligné M. Miraillet, directeur des affaires stratégiques au ministère de la défense, lors de son audition : « Les printemps arabes constituent l'une des principales ruptures stratégiques à laquelle a été confrontée la France depuis 2008 ».
Quelles en sont les conséquences pour notre diplomatie et notre politique de défense ?
Sur le long terme, les incertitudes sont trop importantes pour qu'on puisse y voir clair. L'évolution de la Tunisie et de l'Egypte, celle de la Libye et, encore plus, de la Syrie est encore très incertaine. L'avenir de cette dynamique de révolte va dépendre des réponses apportées à la question des inégalités socio-économiques et aux modalités de la transition politique. Le facteur économique est essentiel. Il était l'une des causes du soulèvement. Il le reste d'autant plus que les économies de la région se sont effondrées (tourisme en Tunisie et en Egypte) laissant sans emplois des millions de jeunes et de familles.
Là où la démocratie semble s'imposer, les incertitudes politiques restent et portent sur deux points essentiels : la place du religieux par rapport au politique et le poids des militaires dans les systèmes politiques futurs.
Pour ce qui concerne la place de la religion dans l'État, les rapports entre la loi démocratique et la loi divine, la charia, sont des questions essentielles qui s'inscrivent dans l'histoire multiséculaire des pays arabes. Il faut admettre que nous allons sûrement vers l'installation d'un « Islam politique » et légitimé par les urnes. Ce ne doit pas être un problème, selon M. Jean-Pierre Cousseran, (secrétaire général de l'Académie diplomatique internationale), mais une « réalité politique ». Ces peuples reconnus pour ce qu'ils sont et ce que sont leurs civilisations construiront « autre chose » qui s'inspirera de leur proximité et de leur identité. Cet « autre chose » qui les représentera mieux.
L'armée, on connaît son rôle dans le régime Kémaliste en Turquie, pour la mise en place et le suivi de la laïcité ; en Algérie contre le FIS dans les années 90 ; et aujourd'hui peut-être en Égypte.
Comment politique, religion, armée trouveront-ils leur place et leur équilibre ?
Pour la France, on peut essayer d'apprécier les conséquences de ce processus à travers deux prismes : celui de la sécurité et celui de notre influence.
Au regard des impératifs de sécurité et de stabilité, l'instauration, sur la rive sud de la Méditerranée, de régimes politiques démocratiques et peut-être pluralistes, pourrait constituer un facteur de stabilité, voire de prospérité.
Un Maghreb sur la voie de la démocratie et du développement serait une formidable opportunité pour l'Europe, au moment où, le centre de gravité bascule vers l'Asie. Par ailleurs, des régimes dictatoriaux et corrompus comme celui du Président Kadhafi constituaient une menace et une source d'instabilité.
À court terme, cependant, le sentiment qui prévaut est l'incertitude.
La fragilité des régimes, momentanément, issus des printemps arabes crée l'instabilité à nos frontières et, d'une certaine façon, il y a un rapprochement géographique des risques. Nous avons désormais un « voisinage », un « étranger proche », une rive sud de la Méditerranée, en situation de « grande instabilité ». L'Islam s'installe. Faut-il se protéger de l'Islam et des régimes islamistes ?
Trois menaces sont particulièrement perceptibles :
- la mise en place de gouvernements islamistes rigoureux et militants, avec les répercussions que cela pourrait avoir en termes de confrontation idéologique et géopolitique. Nous pensons au conflit israélo-arabe mais aussi aux flux migratoires que cela pourrait engendrer.
Mais il ne faut pas qu'après le vent d'euphorie suscité par ces printemps, nous sombrions à l'automne, dans un excès de pessimisme. La possibilité de formation d'un « front vert », prenant le contre-pied des anciens régimes politiques alliés de l'occident, existe. Ce « choc des civilisations » est-il pour autant le scénario le plus probable ? Les intervenants que nous avons entendus ont souligné que l'exercice du pouvoir conduira, naturellement, les partis islamistes à modérer leur programme. Comme l'a indiqué le directeur de la prospective du Quai d'Orsay, le vote islamiste exprime tout autant le rejet de l'occident et d'une modernité arrogante que la promotion par la petite bourgeoisie de valeurs d'ordre et de justice, de valeurs authentiques et « indigènes » qui expriment une identité et une voie arabo-musulmane.
Beaucoup font le pari d'une intégration possible des partis islamistes dans le jeu politique avec l'apprentissage du compromis et d'une culture de gouvernement, à l'image d'AKP en Turquie. Même si le modèle turc est en vérité très spécifique, cette hypothèse est, sans doute probable.
La question qui se pose, selon M. Cousseran, est celle de la « représentation ». Les peuples ne se reconnaissaient pas dans la logique des régimes renversés.
Mais aujourd'hui : où est le pouvoir maintenant ? Qui est souverain ? Quelle est la place et le contenu de la loi ? Et la place de Dieu ?
C'est au Maroc que la situation est la plus éclairée avec un Roi assez habile qui est aussi le « commandeur des croyants ». Il est dans l'identité nationale.
En Egypte, les Frères musulmans, créés en 1928, représentent un système ordonné et social, la « cité islamique » la Libye, clanique et médiévale reste très instable.
D'autres intervenants soulignent la division des mouvements islamistes eux-mêmes et l'existence d'une frange islamiste extrémiste, salafiste ou autre, plus ou moins financée par les pays du Golfe qui auront une influence importante et déstabilisante sur le reste de l'échiquier politique. Comme l'a affirmé devant nous M. Joseph Maïla, directeur de la prospective du ministère des affaires étrangères, la question centrale sera celle du respect du pluralisme.
L'enjeu n'est pas seulement le premier scrutin, mais bien la possibilité qu'il y en ait un deuxième dans quelques années. Quoiqu'il en soit, il faut s'attendre à avoir, dans la prochaine décennie, des interlocuteurs différents, plus difficiles, plus exigeants et moins dociles qu'auparavant ;
- la deuxième menace concerne le Moyen-Orient et les risques de déstabilisation d'équilibres déjà précaires dans cette région, avec la perspective d'une guerre civile en Syrie. L'audition de l'ambassadeur de France en Syrie a confirmé que l'avenir de ce pays constituait l'incertitude majeure. La Syrie est un élément stratégique important dans cette zone. Une guerre civile et l'effondrement du régime se répercutera sur l'ensemble de la région tant les imbrications politiques, religieuses et stratégiques sont nombreuses. Se pose la question du Liban, d'Israël, des Kurdes, de l'Iran, voire du Hamas et du Hezbollah. Aujourd'hui ce risque géostratégique est majeur ;
- la troisième menace concerne le Sahel et le développement des trafics d'armes et du terrorisme. Cette situation préexistait aux printemps arabes. Elle prend une autre dimension avec la dissémination de nombreux armements lors de la guerre en Libye et la restructuration en cours des appareils d'État et des forces de sécurité dans l'ensemble des pays du Maghreb, sans doute moins policiers et moins structurés. Cette zone devient incertaine et à hauts risques. Raison de plus pour considérer que le Sahel doit être une zone d'investissement majeur. La solution ne saurait être uniquement militaire, mais passe par un effort renforcé en faveur du développement.
« L'Arc de crise » s'inscrit dans une évolution et même une recomposition du monde, marquée aussi par la réémergence de la Chine, l'Inde, la Turquie... et de la Russie. Et peut-être par une crise du modèle institutionnel. Les faits nous obligent à prendre en considération une « ère arabo-mulsumane » nouvelle et une crise structurelle qui sera longue et imprévisible.
Il y a une obligation urgente d'organisation de tous les partenaires et de toutes les politiques : méditerranéenne, européenne, bilatérale et mondiale, bien-sûr.
Si on considère la question en termes d'influence, la France avait naturellement, du fait de son histoire et de sa géographie, une proximité forte avec l'ensemble des pays concernés et une importante diaspora maghrébine. C'est particulièrement vrai de la Tunisie et du Maroc avec lesquels la France a une véritable intimité. Les résultats des élections dans ces deux pays, l'émergence d'une majorité politique fondée sur les partis se réclamant de l'islam devraient conduire à une certaine émancipation à l'égard de l'Occident, en général, et de l'ancienne puissance coloniale qu'est la France, en particulier, ne serait-ce que pour prendre le contre-pied des régimes précédents.
Le retournement de la diplomatie française et l'intervention en Libye ont sans doute permis de préserver une partie de la position de la France dans cette région. Comme l'a dit le géographe Michel Foucher devant la commission : « Le clivage Europe/monde musulman a été brisé par l'intervention en Libye ».
On observe, néanmoins, dans l'ensemble des pays concernés, une montée en puissance de nouveaux partenaires tels que les pays du Golfe qui sont extrêmement actifs financièrement, la Turquie, qui fait figure de modèle, ou la Chine qui apparaît comme un allié stratégique nouveau. Il faut sans doute intégrer l'idée que nos positions dans ces pays sont fragilisées et adapter notre politique étrangère pour maintenir notre influence.
J'en viens au diagnostic du Livre blanc, mais avant quelques mots sur les conséquences des printemps arabes sur les équilibres régionaux.
Au-delà des incertitudes, quelques tendances peuvent être relevées.
On observe, d'une part, un renforcement du Conseil de coopération du Golfe, qui a fait preuve d'un interventionnisme inhabituel. Il s'est agi, tout à la fois, d'assurer la sauvegarde des régimes dynastiques du Golfe et de renforcer leur influence sur les pays du Maghreb. Le Conseil de coopération du Golfe a ainsi proposé de s'élargir aux monarchies jordanienne et marocaine. Nous savons, par ailleurs, que le Qatar, très présent en Libye, finance différentes forces islamistes. De leur côté, les Saoudiens semblent soutenir plus exclusivement les Frères musulmans. Les dynasties du Golfe cherchent ainsi à préserver leur influence et leur régime dans ce qui ressemble à un donnant-donnant : on vous finance, mais vous ne vous attaquez pas à nos régimes.
Cet activisme des pays du Golfe, la présence de l'Aqmi au Sahel, la résurgence d'identités régionales ou tribales dans la zone sahélienne pourraient, par ailleurs, conduire à un renforcement des liens entre les pays du Maghreb, qui étaient jusqu'alors assez divisés. La grande inconnue reste l'attitude et l'évolution de l'Algérie. On connaît l'antagonisme avec le Maroc. Mais on ne peut pas exclure qu'un Maghreb plus uni sorte des révolutions arabes.
Le printemps arabe devrait enfin se traduire par un affaiblissement du Moyen-Orient et une crispation croissante entre les Sunnites et les Chiites. Cette crispation est revenue au centre de la vie politique en Irak et au Liban. Elle devient un élément majeur de la situation en Syrie. Au Moyen-Orient, le clivage entre les acteurs chiites, l'Iran, l'Irak, le Hezbollah, le régime syrien alaouite et les acteurs sunnites tels que les pays du Golfe, la Turquie et la Palestine, devient de plus en plus structurant et constitue un facteur de risque stratégique majeur.
On observe par ailleurs un isolement croissant des Israéliens dont les relations privilégiées avec la Turquie et l'Égypte sont remises en cause. Israël n'est plus la seule démocratie de la région, elle a perdu, dans ce processus, en Égypte comme en Syrie, des interlocuteurs dont les objectifs étaient connus et les réactions prévisibles. Reste à savoir si cet isolement conduira les Israéliens à poursuivre dans le refus de tout compromis, ou si la situation est de nature à changer la donne.
Il y a, enfin, une problématique particulière du Golfe en raison des enjeux géostratégiques et de la question iranienne. Il faut avoir à l'esprit la situation stratégique de l'Arabie Saoudite, première réserve de pétrole du Monde, confrontée à la question de la succession du roi Abdallah, mais aussi à une course aux armements avec l'Iran, je vous rappelle que le roi d'Arabie saoudite a affirmé à deux reprises que son pays se doterait d'armes nucléaires si l'Iran en possédait.
Quand on parle des printemps arabes, il faut donc bien avoir le réflexe de distinguer ces trois zones : Maghreb, Moyen-Orient, pays du Golfe.
Dans ce contexte, en quoi ces événements modifient-ils le diagnostic établi par le Livre blanc en 2008 ?
Inutile de dire que le Livre blanc n'avait pas prévu les printemps arabes. Il y avait un diagnostic sur les tensions socio-économiques qui traversaient ces pays qui n'a pas perdu de sa pertinence. On pouvait lire dans l'encart sur le Maghreb : « Les scénarios fondés sur la poursuite des tendances négatives actuelles conduiraient en 2025 à des situations de tensions et d'instabilités préoccupantes pour l'Europe et la France ».
D'un point de vue stratégique, d'autres analyses établies à l'époque se trouvent confirmées. Je voudrais en citer quelques-unes.
Le Livre blanc de 2008 a souligné que l'incertitude et les ruptures stratégiques constituaient des éléments structurants du contexte géopolitique actuel. Les révoltes arabes ne peuvent que confirmer ce diagnostic puisqu'il constitue un parfait exemple de ce que peut être une surprise stratégique. Le Livre blanc soulignait la généralisation des interactions et des interdépendances. Au prisme des événements du printemps arabe, l'effet tache d'huile est incontestable. Le Livre blanc mettait en valeur le rôle croissant des acteurs non étatiques et, en particulier, des médias : le rôle de la chaîne satellitaire Al Jazeera en est une illustration. Dans le même esprit, le Livre blanc soulignait le rôle croissant d'Internet. On l'a vu, les réseaux sociaux ont joué un rôle essentiel dans la mobilisation, à tel point qu'on a pu parler de révolution 2.0.
Le Livre blanc prévoyait également le développement de sociétés militaires privées et la privatisation de la violence armée. Le rôle des mercenaires en Libye et les risques liés à la dissémination des armements au Sahel en constituent une illustration.
Plus fondamentalement, le Livre blanc décrivait un déplacement du centre de gravité géostratégique vers l'Asie. À l'aune des révoltes arabes, le lâchage du président Moubarak par l'allié américain, comme le lâchage de Kadhafi par la France, et le doute stratégique que cela a instillé pourraient conduire les pays arabes modérés à se tourner davantage vers l'Asie, et en particulier vers d'autres puissances régionales : la Turquie qui propose un modèle politique qui conjugue l'islamisme et la laïcité ou la Chine, puissance mondiale émergente.
Si ces éléments de diagnostic se trouvent confirmés, d'autres éléments peuvent susciter des interrogations.
La première interrogation porte sur l'opportunité de continuer à parler d'un arc de crise.
Je vous rappelle que le Livre blanc établissait un arc de crise de l'Afrique du Nord à l'Afghanistan, qui constituait une zone de menace et de risque stratégique par rapport à laquelle l'effort de défense et de sécurité devait se positionner. Alors même qu'une portion de l'arc est désormais engagée sur la voie de la transition démocratique, doit-on maintenir le Maghreb dans l'arc de crise ? La zone demeure une zone d'incertitude, mais il faut avoir à l'esprit que le Livre blanc n'expose pas seulement notre stratégie nationale de sécurité, il constitue également un exercice de diplomatie publique. Certains partenaires du Golfe ont été émus de découvrir qu'à nos yeux ils étaient considérés comme les éléments d'un arc de crise, qui peut apparaître comme une version polie de l'axe du mal américain. M. Foucher a également indiqué que « les démocrates tunisiens demandent que l'on arrête de parler de péril vert ». Il a rappelé à la commission que « l'arc de crise a été assimilé au monde arabo-musulman ». M. Joseph Maïla, directeur de la prospective du ministère des affaires étrangères, nous a dit qu'il faudrait plutôt parler « d'ère d'investissements stratégiques majeurs ». Peut-on à la fois considérer, dans le cadre du partenariat de Deauville, que le printemps arabe est « la seule bonne nouvelle de ce début du XXIè siècle », comme l'a affirmé le Président de la République, et continuer d'utiliser une rhétorique qui désigne ces pays comme une menace ? Ce qui est sûr c'est que cette zone doit être une priorité. De notre point de vue, il conviendrait mieux de parler d'une zone en mutation et cesser d'utiliser un concept aussi englobant que celui d'arc de crise, qui met sur le même plan des zones -Maghreb, Moyen-Orient, Sahel, Corne de l'Afrique, Golfe persique et Afghanistan- dont les problématiques sont très différentes. Il faut sans doute mieux rendre compte de la complexité du monde.
La deuxième interrogation porte sur le réexamen préconisé par le Livre blanc de 2008 du dispositif prépositionné sur le continent africain et dans le Golfe. Le moins qu'on puisse dire c'est que l'intensité des risques n'a pas diminué. La persistance de l'impasse au Proche-Orient, les inquiétudes suscitées dans le golfe persique et en Arabie Saoudite par la montée en puissance iranienne, la crise syrienne, la fragilité de la zone tchado-soudanaise, le développement de la piraterie et des trafics dans l'océan Indien et le golfe de Guinée continuent de justifier la disponibilité de nos principaux points d'appui dans la région. Les nouvelles priorités asiatiques de la politique américaine imposent, en outre, une plus grande implication des Européens en général et des Français en particulier. Reste à savoir quel est le bon calibrage. Rester à Djibouti, sûrement, au Tchad, sans doute, intensifier notre coopération militaire avec les organisations régionales assurément, renforcer nos efforts en Afrique : la question se pose ? Nous allons rester en Côte d'Ivoire et il nous faudra maintenir une capacité d'action dans le Sahel qui a toujours été une zone de contrebande, mais qui est aujourd'hui une zone de non-droit absolue. Cette zone doit faire l'objet d'un investissement qui ne peut pas être uniquement militaire, mais doit être économique et politique. De ce point de vue, il manque à la France un véritable partenariat avec l'Algérie et cela dépasse évidemment la question du Sahel.
La troisième interrogation porte sur le terrorisme. Par comparaison à 2001, Al Qaïda offre aujourd'hui le visage d'une nébuleuse éclatée. Les idées djihadistes continuent de prospérer, mais la menace d'un Djihad global mené à l'échelle planétaire contre l'Occident semble avoir perdu de sa pertinence. Le printemps arabe et le renversement pacifique des régimes arabes corrompus ont pris Al Qaïda au dépourvu. Ils ont invalidé un certain nombre de ses leviers et une part de sa doctrine en faveur de la lutte armée. La mutation des mouvements salafistes en parti politique intégré aux jeux politiques nationaux constitue également un défi pour la mouvance. Il reste que ce constat mérite cependant d'être nuancé par deux facteurs : d'une part, l'instabilité engendrée par les printemps arabes offre la possibilité à Al Qaïda de s'implanter dans des pays où elle était quasi absente et, d'autre part, la dissémination de nouveaux armements dans la bande sahélienne pourrait renforcer son arsenal. Il n'en reste pas moins que l'on peut s'interroger, comme l'a fait devant la commission M. Miraillet, directeur des affaires stratégiques du ministère de la défense, sur le caractère central, dans le Livre Blanc, du terrorisme comme menace de niveau stratégique.
La quatrième interrogation porte sur l'attitude qu'il convient d'adopter à l'égard des pays arabes en transition, au regard des résultats des élections en cours et à venir qui semblent conduire à des majorités islamistes plus ou moins modérées. Il est clair qu'il est dans notre intérêt que ces transitions réussissent. Notre devoir, nos intérêts nous commandent d'accompagner les sociétés arabes dans la voie de la modernité politique, sans arrogance, ni ingérence, mais en les assurant de notre disponibilité et de notre soutien.
Plus que jamais, une approche globale s'impose, avec une dimension économique, politique et militaire. Le partenariat de Deauville, qui résulte de l'inscription par la France du printemps arabe à l'agenda du G8, constitue un élément stratégique afin de favoriser la croissance économique et la création d'emplois dans ces pays. D'après le FMI, compte tenu de la croissance démographique dans la région, les pays du printemps arabes doivent créer d'ici 2020, 50 millions d'emplois nouveaux, ne serait-ce que pour absorber les nouveaux entrants sur le marché du travail, c'est-à-dire sans pour autant diminuer le chômage actuel qui est en moyenne de 25 % pour les jeunes. La question de la transition économique constitue donc un défi majeur. L'effort financier annoncé à Deauville est conséquent : 40 Milliards de dollars. Il faut savoir à titre de comparaison que l'Arabie Saoudite a dépensé, cette année, pour assurer la paix sociale dans son royaume 145 milliards de dollars. Nous n'en avons pas les moyens. Mais ce partenariat devra être suivi d'effets et s'inscrire dans une stratégie globale articulant une coopération multilatérale et européenne avec une aide bilatérale notamment française.
Au-delà des aspects économiques, il nous faudra trouver un instrument diplomatique qui puisse, autant faire que se peut, favoriser l'instauration de régimes réellement pluralistes, respectueux des droits de l'Homme et notamment de l'égalité entre les hommes et les femmes. Nous n'avons rien à dicter à des pays qui ont pris leur destin en main, tracé leur histoire et fait leur révolution. Comme l'a dit M. Foucher, directeur de la formation, des études et de la recherche de l'Institut des hautes études de défense nationale, devant notre commission, il faut laisser ces pays inventer leur loi de 1905 et les aider à la transformation des islamistes en parti de gouvernement. Il faut d'ailleurs, sur ce point comme sur d'autres, ne pas présumer de notre influence. Quels sont les mécanismes et les enceintes diplomatiques qui peuvent renforcer les liens régionaux et favoriser une évolution continue vers des régimes pluralistes ? Peut-on imaginer l'équivalent de ce que le Conseil de l'Europe a été pour les pays européens issus du bloc soviétique ? Est-ce que l'Union pour la Méditerranée, le processus de Barcelone ou le dialogue 5+5 sont les instruments pertinents ? Ce n'est pas lieu de choisir, mais il nous semble qu'il y a une opportunité pour une organisation intergouvernementale régionale avec une valorisation d'un volet parlementaire qui puisse accompagner l'enracinement de la démocratie, l'unité du Maghreb et le dialogue euro-méditerranéen.
En conclusion, je voudrais simplement souligner l'extrême volatilité de la situation et la nécessité d'accroître nos moyens de connaissance et d'anticipation de l'évolution de la situation dans cette zone. Nous avons une intimité profonde avec ces pays, nous avons des instituts de recherche, des coopérations bilatérales, des universitaires, des administrations chargés de la prospective et du renseignement. Il faut que l'ensemble de ces moyens soient mis à contribution d'une meilleure compréhension des processus en cours et servent une politique qui a ici véritablement rendez-vous avec l'Histoire.
Je vous remercie de ce rapport très complet. Je partage le sentiment de M. Dulait sur l'arc de crise qui lors de l'élaboration du Livre blanc de 2008, nous dérangeait déjà beaucoup. Les enjeux géopolitiques le long de cet arc de crise qui va de l'Atlantique à Peshawar n'ont pas grand-chose en commun. Il faudrait peut-être mieux évoquer des arcs de crise de nature différente. Dans le contexte financier actuel, il faut par ailleurs se rendre à l'évidence que la France ne peut plus intervenir sur tous ces théâtres d'opérations. Il nous faut faire des choix en fonction des priorités stratégiques de la France. De ce point de vue, l'Afrique constitue une priorité. On observe une multiplication des foyers de tension de la Mauritanie à l'Ethiopie et une montée particulièrement préoccupante du terrorisme dans le Sahel.
Je crois effectivement qu'on ne peut pas réduire l'ensemble des problématiques qui se posent de l'Atlantique à l'Afghanistan à travers le seul concept de l'arc de crise. Je crois, par ailleurs, qu'il ne faut pas réduire le Sahel à une question militaire. Il ne faut pas considérer le Sahel comme notre prochain théâtre d'opérations, cela serait un piège. Cette question mérite un traitement à la fois sécuritaire mais également économique et politique. Il existe, par ailleurs, d'autres priorités qui doivent retenir notre attention.
C'est tout à fait vrai mais, en même temps, je voudrais souligner que nombre de responsables d'Al-Qaïda ont quitté le Pakistan pour rejoindre le Sahel afin de structurer les mouvements terroristes liés à l'Aqmi. Cela constitue donc une menace importante pour notre sécurité.
Je crois qu'il serait utile de substituer à la notion d'arc de crise celle d'« aire d'investissement stratégique majeure ».
Est-ce que vous pourriez m'indiquer dans quels contextes et pour quels objectifs ce Livre blanc est rédigé ? Par ailleurs vous avez évoqué la notion d'islam politique. J'ai l'impression qu'il y a là un pléonasme tant les questions de religion et de politique sont liées dans l'esprit du Coran.
Le Livre blanc a pour fonction de décrire l'environnement géostratégique de la France, les menaces auxquelles nous devrons faire face et de définir les moyens à mettre en oeuvre pour assurer la défense et la sécurité de notre pays et de ses intérêts dans le monde. La description de ce contexte et de nos objectifs permet ainsi de préparer les lois de programmation.
Le dernier Livre blanc a été voulu par le Président de la République, M. Nicolas Sarkozy, dès son élection, afin d'établir une analyse géostratégique d'où découlerait la définition de nos objectifs et des moyens nécessaires pour les atteindre. La mise à jour du Livre blanc en 2012 nous permettra de faire le point sur l'évolution du contexte géopolitique et de mesurer si nos moyens sont encore adaptés aux menaces auxquelles nous devons faire face. Le dernier Livre blanc avait par exemple mis en lumière la nécessité d'accroître notre capacité d'anticipation et de renseignement. Des moyens importants y ont été consacrés. Au-delà de la description d'évolution du contexte géostratégique, cette mise à jour nous permettra de mesurer si les efforts dans ce domaine ont porté leurs fruits et s'ils sont suffisants.
Pour préparer la mise à jour de ce Livre blanc et la loi de programmation qui s'ensuivra, la commission s'est dotée de plusieurs groupes de travail dont celui sur les printemps arabes ou celui sur l'évolution de la crise financière, deux événements qui constituent des ruptures stratégiques par rapport à 2008.
La notion d'islam politique constitue effectivement, pour une majorité de musulmans, un pléonasme. L'un des enjeux de la situation actuelle dans les pays arabes sera bien de définir la place de la loi civile par rapport à la loi divine. On a souvent sous-estimé le rôle social de l'islam dans ces pays sans bien comprendre que les mouvements islamistes ont été parfois les seules structures à offrir des services sociaux à des populations qui avaient été largement délaissées par les Etats en place.
Les relations entre la religion et l'Etat sont variables, même en Occident. Ainsi, le Président des Etats-Unis prête serment sur la Bible.
Je partage le constat et les observations qui ont été faites et je mesure combien il est difficile d'anticiper sur ce que deviendront les régimes politiques naissants issus du printemps arabe. Je n'ai pas entendu en revanche de commentaire sur la façon dont nos démocraties ont parfois joué avec le feu en soutenant, quand ça les arrangeait, l'essor de mouvements extrémistes islamistes.
Je voudrais souligner le rôle important de la situation en Algérie par rapport aux printemps arabes. Ce pays a des atouts considérables et maîtrise une partie de ce qui se passe dans la zone sahélienne. Est-ce que la situation actuelle ne devrait pas nous conduire à reconsidérer notre relation avec l'Algérie et à essayer de renforcer notre partenariat ?
Vous avez tout à fait raison, l'Algérie est une pièce essentielle de l'équilibre des pays du Maghreb. C'est un grand pays de 55 millions d'habitants disposant de ressources d'hydrocarbures nécessaires à l'approvisionnement de l'Europe. L'importance de ce pays et des liens qui nous lient à lui m'a conduit à présider l'association France-Algérie fondée il y a 50 ans à l'Indépendance. Cette association organise d'ailleurs samedi 17 décembre un colloque intitulé « l'Algérie et la France au 21ème siècle ». Il faut se rappeler que l'Algérie a tenté une expérience démocratique en 1988, dans un contexte économique très défavorable qui a conduit à une guerre civile traumatisante pour la population algérienne avec 100 à 200 000 morts. Le régime algérien est aujourd'hui un régime complexe avec de nombreux pouvoirs concurrents au sein même de l'armée, un véritable pluralisme politique et de très nombreux partis, une véritable liberté de la presse dont l'impertinence est connue de tous. L'Algérie n'a cependant pas envie de sombrer de nouveau dans une guerre civile. Vous avez raison de souligner qu'il nous faut accroître notre partenariat avec ce pays avec lequel nous avons de très nombreux accords de coopération notamment universitaires et qui constitue notre 3ème client hors pays de l'OCDE. C'est sans doute un objectif ambitieux mais essentiel.
S'agissant du Sahel, vous avez raison de souligner que la coopération avec l'Algérie est essentielle pour stabiliser la situation au Sahel. Mais il faut avoir conscience du comportement ambigu des autorités algériennes dans ce domaine. La coopération de nos services avec les organismes chargés de la sécurité nationale est très satisfaisante mais nous savons tous que d'autres services ont instrumentalisé les mouvements terroristes qui sévissent dans le Sahel. Si bien que le problème est moins technique que politique. Il nous faut obtenir des autorités algériennes une action concertée pour traiter le sujet de la sécurité au Sahel.
Je veux dire à M. Gilbert Roger que certains auteurs et notamment M. Chouet dans son livre : « Au coeur des services spéciaux » avaient évoqué, il y a longtemps, l'utilisation des djihadistes par les services secrets occidentaux pour lutter contre les Russes en Afghanistan. Madame, Messieurs les rapporteurs, je vous remercie pour cet excellent rapport qui éclaire notre réflexion sur la mise à jour du Livre blanc.
La commission entend une communication de MM. Jeanny Lorgeoux, Philippe Paul et Daniel Reiner sur l'évolution du contexte stratégique depuis 2008 : risques et menaces transverses.
Avec mes collègues Jeanny Lorgeoux et Daniel Reiner, nous avons été chargés de porter une appréciation sur les évolutions constatées depuis 2008 sur les risques et menaces transverses.
Il me revient, en premier lieu, de rappeler l'analyse stratégique du Livre blanc. Puis mon collègue Jeanny Lorgeoux présentera les principales évolutions des menaces et des risques et, enfin, mon collègue Daniel Reiner présentera, en conclusion, la révision des concepts et surtout ce qui pourrait être une nouvelle carte des risques et menaces.
Le Livre blanc énumérait huit menaces et risques transverses et tentait de les mettre en relation à travers quatre concepts novateurs dénommés « nouveaux paramètres de la sécurité », qui permettent de tracer une carte des menaces.
S'agissant des menaces et des risques, le terrorisme était placé en tête de la liste comme étant « l'une des principales menaces physiques dirigées contre l'Europe et ses ressortissants dans le monde ». Les actions terroristes d'origine étatique étaient placées au même niveau que celles des groupes d'inspiration djihadiste.
Venait ensuite la menace balistique. Le Livre blanc considérait que, d'ici 2025, la France et plusieurs pays européens se trouveront à portée de nouvelles capacités balistiques. Cette exposition directe, quelles que soient les intentions des gouvernements qui se dotent de ces capacités, constitue une donnée nouvelle à laquelle la France et l'Europe doivent être préparées.
Les attaques majeures contre les systèmes d'information étaient identifiées comme devant faire l'objet d'une attention nouvelle, aussi bien pour le renforcement des défenses que pour les capacités de rétorsion.
Etaient également identifiés :
- l'espionnage et les stratégies d'influence,
- les grands trafics criminels,
- les nouveaux risques naturels et sanitaires,
- les risques technologiques,
- l'exposition des ressortissants à l'étranger.
Par ailleurs, le Livre blanc mettait en exergue quatre concepts novateurs :
1. L'interconnexion croissante des menaces et des risques ;
2. La continuité entre sécurité intérieure et sécurité extérieure ;
3. La possibilité de ruptures stratégiques brutales ;
4. Les modifications qui affectent les opérations militaires.
La commission du Livre blanc a hiérarchisé les risques et les menaces en fonction de deux paramètres : la probabilité, qui peut être « faible », « moyenne » ou « forte » et l'ampleur qui peut être « faible », « moyenne », « forte » ou « sévère ».
Sur ces bases, la carte des risques et menaces dessinée en 2008 était la suivante : venait en tête la menace d'attentats terroristes : simultanés et/ou majeurs dont la probabilité était estimée forte et l'ampleur moyenne à sévère ; le risque NRBC lié à de tels attentats était estimé réel. Venait, en seconde position, les attaques informatiques dont la probabilité était estimée forte et l'intensité faible à forte.
La probabilité d'occurrence de la menace balistique émanant des nouvelles puissances dotées était estimée faible à moyenne, alors que l'intensité était estimée potentiellement sévère, c'est-à-dire au plus haut niveau de risque.
Les pandémies se voyaient affectées d'une probabilité d'occurrences moyenne et d'une intensité moyenne à sévère.
Les catastrophes naturelles, notamment les inondations en métropole, étaient considérées d'une probabilité moyenne à forte et d'une intensité susceptible de varier de moyenne à sévère.
La criminalité organisée, qu'il s'agisse des trafics de drogue, des contrefaçons, du trafic d'armes, du blanchiment, était considérée comme affectée d'une probabilité élevée.
Enfin, des risques spécifiques étaient identifiés, pour les DOM-COM, essentiellement des séismes et cyclones, avec une probabilité forte dans la zone Caraïbes et faible en Guyane et dans la zone Océanie.
Je passe maintenant la parole à mon collègue Jeanny Lorgeoux qui va vous dire si et dans quelle mesure nous estimons qu'il y a lieu de réviser l'évaluation de ces risques et menaces.
Le plus simple est de considérer successivement les risques et menaces qui se confirment, ceux qui méritent d'être nuancés, et ceux qui n'ont pas été suffisamment, voire pas du tout pris en compte.
La première menace confirmée est celle des attaques majeures contre les systèmes d'information. Il ne se passe pas une semaine sans que l'on signale, en France ou ailleurs, des attaques ciblées, émanant de cyber-pirates ou de services étatiques, contre les réseaux de gouvernements ou de grands organismes publics ou privés et d'entreprises. Notre commission entend examiner cette question dans le détail puisque, dans le prolongement des travaux de notre ancien collègue, Roger Romani, le président de notre commission a confié une mission d'information au sénateur Jean-Marie Bockel.
Deuxième menace confirmée : l'espionnage et les stratégies d'influence. La Russie et la Chine ont des services d'espionnage particulièrement actifs en Occident. Leurs objectifs sont essentiellement économiques et ces services mènent des opérations qualifiées par les experts de MOOTW (Military Operations Other Than War).
Troisième menace : les risques sanitaires et naturels -inondations, grippe H1N1, tremblements de terre. Le risque le plus important est sans doute celui du réchauffement climatique qui engendre des bouleversements météorologiques considérables et la fonte des sols arctiques. Dans notre pays, les inondations sont l'aléa climatique le plus probable.
Ont également été confirmés les risques technologiques et l'exposition des ressortissants français à l'étranger. Nous avons en permanence une dizaine de Français otages de groupes criminels ou terroristes dans le monde. Même s'il s'agit, la plupart du temps, d'actes de banditismes qui se drapent abusivement dans des revendications politiques, ces enlèvements contraignent l'action diplomatique de l'Etat et l'obligent à déployer des moyens militaires significatifs. Enfin, les grands trafics criminels se sont très probablement développés. Tout le monde connaît l'histoire des Etats-Unis, de l'Italie, l'importance des sociétés mafieuses dans ces deux pays. A New York, les cinq grandes familles de Cosa Nostra ont la main sur toute une série d'activités économiques. Au Mexique, dans tous les Etats, l'importance des gangs mafieux menace l'Etat central. En Afrique, la Guinée-Bissau est devenue la plaque tournante de tous les trafics. Il n'y a plus d'Etat. L'ancien Président de la République a été férocement massacré. A Dakar, les trafics en tous genres se sont développés. En Turquie, heureusement, le Premier ministre a mis de l'ordre et stoppé le développement des mafias. Je ne parle même pas de la Birmanie. On a tendance aujourd'hui, du fait du terrorisme, à minimiser l'importance des corporations mafieuses et leur action de déstabilisation des Etats. On parle également d'immenses sommes d'argent qui se baladent d'un continent à l'autre et qui déstabilisent les Etats.
Au total, six menaces sur huit sont confirmées, ce qui, par déduction, implique que deux menaces méritent, selon nous, d'être nuancées.
La première est la menace terroriste. Certes, il semble prématuré d'affirmer que la mort d'Oussama Ben Laden marquera la fin de la Qaïda. En revanche, la distance historique qui nous sépare des événements du 11 septembre 2001 permet de penser que l'importance d'une organisation djihadiste mondialisée en guerre avec l'Occident a été surestimée, alors que l'implication de Saoudiens dans le financement des réseaux terroristes a été sous-estimée. L'analyse d'Alain Chouet, ancien responsable du renseignement de sécurité de la DGSE, mérite d'être prise en compte. Son livre est lumineux et a du reste éclairé nos travaux. Si « complot » il y a, c'est moins du côté de la Qaïda qu'il faut le chercher, dont le potentiel terroriste s'est consommé quasi intégralement dans les attentats du 11 septembre, que du côté des Frères musulmans. Or, cette organisation vise moins « l'ennemi lointain » -les puissances occidentales- que « l'ennemi proche », les régimes « corrompus » et « vassalisés », qui sont ou étaient leurs alliés -Moubarak, Ben Ali, Mohamed Ali Saleh etc. Les changements de régimes, intervenus dans le cadre des différents printemps arabes pourraient marquer l'arrivée au pouvoir de cette mouvance islamiste.
Dans ce contexte, le terrorisme de type djihadiste semble avoir atteint un étiage et il nous semblerait excessif de maintenir cette menace en tête de liste. Certes, des répliques sont possibles et même probables en Afrique du Nord et au Maghreb. Certaines ont déjà eu lieu telles que l'attentat de Marrakech en avril 2011. On ne peut exclure que ce soit les dernières.
Si la menace terroriste reste encore importante, c'est peut-être davantage du côté étatique qu'il faut la redouter. Deux Etats ont, par le passé, mené des actions terroristes contre notre pays : la Syrie et l'Iran. On ne peut exclure que les gouvernements de ces Etats, confrontés à de grandes difficultés intérieures, considèrent à nouveau l'action terroriste comme un « mode de communication » avec l'Occident. L'Ambassade britannique à Bahreïn vient de faire l'objet d'un attentat et l'Ambassade de ce même pays à Téhéran a été mise à sac.
La menace balistique : de façon curieuse, le Livre blanc dissociait la capacité - le fait d'avoir des missiles balistiques -avec des charges nucléaires- de l'intention -le fait de vouloir s'en servir contre nous- pour caractériser la menace balistique, dont tout laissait accroire qu'il s'agissait de l'Iran, même si ce pays n'était pas nommément cité à l'époque. Or, sans intention, une capacité ne constitue pas une menace. La Russie, les Etats-Unis ont la capacité de frapper notre territoire national avec des missiles balistiques. Le fait de savoir si cela constitue une menace dépend de l'intention qu'on leur prête à notre égard. A supposer que l'Iran ait l'arme nucléaire, il semble peu probable qu'il envisage d'utiliser cette arme de façon offensive contre un pays européen, a fortiori la France, puissance nucléaire, capable de lui infliger des représailles massives. La menace balistique, réelle pour certains pays du Moyen-Orient ou de l'Asie, est faible pour notre pays.
Enfin, dernière catégorie, les menaces qui n'ont pas été suffisamment prises en compte.
Les risques de déstabilisation monétaire et financière : les crises monétaires et financières n'ont pas été assimilées à des menaces par la commission du Livre blanc. Pourtant, ces crises déstabilisent les Etats aussi sûrement que des séismes naturels et remettent en cause leur souveraineté en favorisant l'entrée dans le capital de grandes entreprises, voire de grandes infrastructures stratégiques d'investisseurs extra-européens. On peut donner comme exemple l'achat du port du Pirée par des investisseurs chinois. Moi qui ait habité l'Afrique noire pendant longtemps, j'ai vu progresser la sinisation.
La « guerre monétaire » entre le dollar, le yuan et l'euro est une réalité. Seul le dollar bénéficie du privilège d'être une monnaie de réserve internationale, ce qui autorise le Trésor américain à s'endetter sans limites. La fin de l'euro serait la plus grande surprise stratégique de ce début de décennie et assurément la plus grande source de déstabilisation de l'Europe entière. Entreprises de marchés financiers, fonds spéculatifs, agences de notations, médias financiers constituent dans ce domaine autant de leviers dont notre pays, et, plus généralement l'Europe continentale, sont cruellement dépourvus.
En second lieu, il nous semble important d'évoquer les menaces stratégiques. Ce sont celles qui résultent d'actions d'influences ou d'évolutions combinées - par exemple le désarmement européen et le réarmement des émergents - qui peuvent aboutir à placer nos décideurs politiques dans des situations de non-choix, à déclasser nos outils militaires ou à affaiblir notre base de défense et de technologie.
Le financement du chasseur bombardier américain JSF (joint strike fighter) constitue un bon exemple d'assèchement des budgets de recherche européens dans l'aéronautique de combat. La défense anti-missile balistique mise en place par les Etats-Unis constitue également un défi stratégique pour l'Europe en général, et notre pays en particulier. Son déploiement remet en cause notre autonomie stratégique, c'est-à-dire notre capacité à apprécier de façon autonome une situation, par exemple un départ de missile balistique de l'Iran, et à décider d'une riposte incluse dans une chaîne de décision dans laquelle nous n'aurons pas notre mot à dire.
Plus généralement, le fait que l'ensemble des puissances et en particulier les BRICS s'arment ou se réarment alors que l'Europe désarme constitue une menace stratégique pour nous. Cette modification des rapports de force a été abondamment mise en évidence dans l'analyse de MM. Camille Grand (FRS) et Etienne de Durand. Elle est également prise en compte par l'ambassadeur Benoît d'Aboville, ancien membre de la Commission du Livre blanc pour qui : « l'élément le plus déterminant demeure le nombre grandissant de pays susceptibles d'accéder à des technologies militaires de pointe et donc de dénier ou de rendre plus difficiles et dangereuses des interventions militaires occidentales. Il en découle des risques croissants de contestation de la liberté de circulation sur les grandes routes maritimes essentielles à l'économie mondialisée. (...) Cette évolution s'accompagne de la désanctuarisation d'espaces internationaux considérés jusqu'ici comme communs : l'Espace, l'Arctique, le cyberespace ».
D'autres exemples d'affrontement stratégiques peuvent être donnés avec les problèmes de « classement » des universités - la lutte pour la définition des « normes comptables et financières », les médias d'influence (CNN - Al-Jazeera - France 24), l'importance des centres complexes de recherche (Iter à Cadarache - LHC à Genève) des programmes stratégiques communs (Lanceurs Ariane - constellation Galileo) et des centres de mutualisation des capacités de calcul intensif. D'où l'importance de structures telles que le Genci - groupement national pour le calcul intensif, dont nous avons auditionné avec profit la présidente, Mme Catherine Rivière accompagné d'une poignée de scientifiques de haut niveau.
La piraterie n'a pas suffisamment été prise en compte. Elle affecte aujourd'hui la Corne de l'Afrique, mais pourrait demain affecter d'autres zones critiques où transitent les flux commerciaux.
Les conflits armés de haute intensité n'avaient pas été pris en compte dans le Livre blanc. Pour autant, le cas de la Libye a montré que des guerres non plus « asymétriques » - c'est-à-dire face à un ennemi ne disposant pas d'un arsenal militaire significatif - mais « dissymétriques » avec un ennemi disposant d'un potentiel militaire non nul - défense anti-missile - avions de combat, hélicoptères, chars de combat - étaient possibles.
Enfin, l'action de certaines ONG peut être déstabilisatrice pour l'Etat. Par exemple, l'action de Greenpeace d'intrusion dans les centrales nucléaires afin de prouver la faible sécurité des centrales nucléaires françaises. Les intérêts véritables de ces ONG, leurs financements et leurs structurations mériteraient davantage d'études et de prise en considération par nos services.
Au total, cela fait cinq risques et menaces supplémentaires qui méritent à notre avis d'être pris en compte et intégrés dans l'analyse stratégique.
Je passe la parole à mon collègue Daniel Reiner.
J'en viens donc maintenant au questionnement que nous sommes en droit de porter sur les concepts utilisés dans l'analyse du Livre blanc et qui, appliqués à la liste des risques et des menaces, permettent de dessiner une carte un peu hiérarchisée et, à partir de cette carte, de dessiner le format d'armées nécessaire à la protection de la sécurité nationale ainsi que les contrats opérationnels.
S'agissant donc, tout d'abord, des concepts, le premier d'entre eux était l'interconnexion croissante des menaces et des risques. Ce concept demeure pertinent. Dans le printemps arabe, par exemple, où sont les causes ? Il y a les tensions sociales et politiques bien sûr. Mais il y a aussi les nouveaux moyens de communication. Et c'est ce mélange explosif qui conduit à la révolution. On peut également trouver une application de ce concept dans la catastrophe de Fukushima, exemple d'interconnexion entre un risque technologique -la centrale nucléaire- et un risque naturel - tsunami. Dans ces cas, ce qui est intéressant, c'est de voir que c'est la combinaison de risques et de menaces qui, seuls, n'auraient pas prospéré, qui a abouti à une modification spectaculaire de l'environnement, une « surprise stratégique ».
Le deuxième concept, celui de continuité entre sécurité intérieure et sécurité extérieure, avait fait débat lors de l'élaboration du Livre blanc et, rappelons-le, occasionné le départ des parlementaires socialistes de la commission. La crainte de ces parlementaires était qu'au nom d'une analyse intellectuelle, très inspirée des analyses américaines républicaines, on mette dans le même sac, la lutte intérieure et extérieure et on porte atteinte aux libertés publiques. Objectivement, ce risque nous semble moins latent aujourd'hui, même si nous sommes toujours en désaccord avec la politique sécuritaire menée par ce gouvernement. Sur le plan du concept, ce continuum intérieur-extérieur n'est peut-être qu'une des manifestations du passage de ce que l'on pourrait appeler un monde « plat », celui des cartes, où les Etats, acteurs exclusifs des relations internationales, occupaient des territoires définis par des frontières à un monde « en relief » formé de flux, de lignes : population - marchandises - informations - produits monétaires et financiers - ressources énergétiques, reliant entre eux les différents archipels du village planétaire en faisant fi des frontières.
L'explosion des flux matériels et immatériels est un des faits marquants de la mondialisation qui structure le nouveau contexte stratégique. Dans ce nouveau contexte, la maîtrise des espaces continue à compter, mais moins que celle des flux. D'autant que de nombreux territoires deviennent des « trous noirs stratégiques » où l'extrême faiblesse, voire l'absence de structure étatique, permet le développement de tous les trafics : zones nord du Pakistan, Yémen, corne de l'Afrique etc...
Troisième concept, la possibilité de ruptures stratégiques brutales : la chute du mur de Berlin, l'effondrement du bloc soviétique, le printemps arabe, la crise monétaire, ont en commun de ne pas avoir été anticipés. Ces événements constituent des « surprises stratégiques ». A vrai dire, de telles « surprises » ont toujours existé dans l'histoire de l'humanité, même si le nom que l'on donne à la réalité qu'elles recouvrent a varié. La question est de savoir si notre époque serait plus propice aux surprises stratégiques que les précédentes et si oui comment s'y préparer ?
On ne peut certes pas tout prévoir. Néanmoins, on peut se donner les instruments permettant de prévoir. Il peut s'agir de concepts intellectuels - comme la théorie du « chaos » en mathématique - mais aussi de capacités de calcul. Il n'est pas impossible d'essayer de modéliser la stratégie, comme on le fait de la météorologie ou de l'évolution des marchés financiers. Longtemps on a pensé qu'on ne pouvait pas prévoir le temps qu'il ferait demain. Aujourd'hui on le fait, avec de plus en plus de précision, grâce à des outils sophistiqués et des moyens de calcul intensif. C'est pourquoi il est important d'avoir des chercheurs de haut niveau et des infrastructures de calcul appropriées. C'est ce que nous avons retenu de notre audition de la présidente du GENCI, Mme Catherine Rivière, accompagnée d'une poignée de chercheurs de haut niveau, de son conseil scientifique, du CEA, de Météo France et nous avons été confondus par le travail extraordinaire qu'ils peuvent faire avec les faibles moyens dont ils disposent.
Il leur manquera du reste cinq millions d'euros pour l'année prochaine.
On y songera. Le fait est qu'ils travaillent avec très peu d'argent -une trentaine de millions d'euros- et que ces dépenses sont pourtant hautement stratégiques. D'autant qu'ils doivent se tenir à jour constamment et que la puissance des machines est multipliée par dix tous les deux ans ou tous les trois ans et soit on suit, soit on laisse faire les autres : les Américains, les Chinois. Ces machines font des millions de milliards d'opérations à la seconde. Ces méthodes de calcul permettent de dresser des cartes potentielles de risques et de menaces. On utilise du reste ces calculateurs dans la simulation nucléaire.
Enfin, dernier concept, l'importance accordée aux opérations civilo-militaires. Sans doute inspirée par l'échec relatif des forces de la coalition en Afghanistan, la Commission du Livre blanc semblait souligner la faiblesse intrinsèque des interventions militaires. Cette considération trouvait ses fondements idéologiques dans la théorie du « soft power » de Joseph Nye, prônant la nécessité de combiner dans une même action, les différentes dimensions militaires, diplomatiques, commerciales, civiles etc... L'intervention en Libye a montré, au contraire, l'importance d'un outil militaire qualitativement cohérent et quantitativement significatif.
La puissance militaire croissante de la Chine, ses interventions militaires de plus en plus fréquentes au large de ses côtes, le retour d'une Russie autoritaire, n'hésitant pas à recourir à l'usage de la force, montrent que la probabilité de conflits de haute intensité n'est pas nulle. C'est la raison pour laquelle on ne pourra pas baisser la garde en matière d'équipements militaires conventionnels. Même si les menaces paraissent distantes, nous pourrions être impliqués dans ce type de conflits, en raison de nos alliances, en particulier celles au Moyen-Orient et il nous faudra tenir notre parole.
Par ailleurs, d'autres concepts mériteraient sans doute d'être pris en considération. C'est le cas, en particulier, de celui de « guerre hors-limites ». Ce concept développé par des généraux chinois peut être résumé en deux nouvelles : la bonne nouvelle est que les prochaines guerres feront peu de morts ; la mauvaise est que les guerres seront permanentes.
Dans cette approche, la guerre n'est plus « l'usage de la force armée pour obliger un ennemi à se plier à sa propre volonté », mais « l'utilisation de tous les moyens, dont la force armée, militaire ou non militaire et des moyens létaux ou non létaux pour obliger l'ennemi à se soumettre à ses propres intérêts ». Contrôler l'opinion publique est par exemple un outil de première importance.
Toute la difficulté des guerres nouvelles est de savoir combiner armes classiques et armes nouvelles. Les auteurs appellent les états-majors à ne pas surestimer le pouvoir des armes militaires traditionnelles. Ainsi, la recherche de la prouesse technologique peut être un moyen ruineux dont ils estiment qu'elle a entraîné l'URSS dans des dépenses militaires incontrôlées. Les raisons économiques ne sont pas les seules à orienter vers des guerres moins sanglantes. Ils orientent la réflexion vers l'emploi d'armes « adoucies » dont le but n'est pas d'infliger un maximum de pertes, mais d'obtenir les pertes suffisantes dans les limites tolérables par l'opinion. Enfin, après le coût des armes classiques et la crainte de la guerre ultime, les auteurs chinois insistent sur l'apparition de nouveaux concepts d'armes. « Il n'est rien aujourd'hui qui ne puisse devenir une arme. (...) des objets aimables et pacifiques ont acquis des propriétés offensives et meurtrières. ». L'innovation stratégique est du côté des Chinois.
On le voit, les nuances apportées à la menace terroriste et à la menace balistique, ainsi que la prise en compte de nouvelles menaces, contribuent à dessiner une carte des menaces sensiblement différentes de celle de 2008. D'autant qu'au-delà du couple probabilité d'occurrence/intensité, un troisième paramètre : la proximité de la menace devrait être prise en compte à notre avis.
Voilà, au final, les réflexions que nous voulions livrer à votre sagacité, afin de préparer l'audition du secrétaire général à la défense nationale, M. Francis Delon, qui aura lieu demain et d'avoir une base conceptuelle, un peu préparée. Nous vous remercions.
J'ai une interrogation en termes de risques concernant les enlèvements humains, j'ai le sentiment que ce qui se passe actuellement peut avoir des effets qui sont des véritables risques, déclencher des psychoses sur le personnel de nos propres ONG qui refusent de partir pour les pays pauvres. Cela peut avoir des effets pervers pour les pays concernés. Je pense en particulier au Mali, qui a perdu ses touristes, et ses ONG et voit sa population en grande difficulté. Est-ce que ce sujet ne mériterait pas d'être traité en tant que tel ?
Comment le secrétaire général à la défense et à la sécurité nationale va-t-il intégrer nos réflexions ?
C'est une excellente question. Nous allons vous faire parvenir une synthèse de nos travaux et l'on transmettra cette synthèse au secrétaire général afin de le nourrir de nos réflexions.
Est-ce que des parlementaires seront associés à la rédaction du nouveau Livre blanc ?
Il faut lui poser cette question. Si nous travaillons, nous pourrons être entendus. Si nous voulons peser, nous devons rendre des documents dignes d'intérêt. Gardons ces quatre ateliers et continuons à travailler.
sur la question des enlèvements, nous sommes exactement sur l'exemple d'interconnexion entre les risques et les menaces : le terrorisme, le banditisme, les trafics et, en même temps, la volonté d'influencer les opinions publiques. C'est vraiment un exemple concret, sur lequel on n'a pas de certitude mathématique. Mais il faut travailler sur l'information, le renseignement.
Par ailleurs, il y a un aspect que nous n'avons pas évoqué. Il ne faudrait pas que le Livre blanc soit un objet concocté par quelques experts. Nous en faisons un peu partie. Une étape de popularisation serait nécessaire. Bien entendu, on ne va pas faire un débat public pour écrire le Livre blanc. Mais il serait intéressant de publier des éléments de réflexion, dans des rapports d'information, de telle manière que l'opinion publique elle-même mesure les risques, les menaces et la nécessité d'avoir un outil qui permet d'y faire face. Nous avons été très satisfaits de voir que les Français étaient attachés à l'armée. Mais sur quoi repose ce lien armées-nations ? N'a-t-il pas disparu ? Ce ne serait donc pas inutile de populariser ces réflexions.
La commission désigne les membres de la mission de suivi A400M.
J'ai été saisi par notre collègue Bertrand Auban d'une demande de constitution d'une mission d'information sur le programme militaire A400M.
Vous vous rappelez sans doute, pour les anciens membres de la commission, qu'il y avait eu une mission conjointe de la commission des finances et de notre commission sur ce programme - qui avait débouché sur un rapport - en février 2009, de nos collègues Jean-Pierre Masseret et Jacques Gautier. Ce rapport était intitulé « l'A400M sur le chemin critique de l'Europe de la croissance ».
Aujourd'hui, et comme le demande notre collègue Bertrand Auban, je serais d'avis que nous lancions une mission de suivi afin de faire un point de situation, c'est-à-dire, où nous en sommes et où nous allons.
Les points à traiter pourraient être, si vous en êtes d'accord, les suivants :
1. le respect du calendrier des livraisons. En particulier je souhaite qu'on lève les doutes pesant sur la mise au point des moteurs ;
2. le futur contrat de maintien en conditions opérationnelles (MCO). La négociation de ce contrat entre EADS et la DGA semble difficile. Il reviendra aux rapporteurs d'en éclairer les raisons et de voir dans quelle mesure une mise en commun du MCO avec les Britanniques, les Allemands ou d'autres pays clients de cet avion est envisageable ;
3. l'état de préparation de l'armée de l'air à la réception de cet avion et la modernisation des bases. L'A400M ayant une empreinte logistique supérieure à celle du Transall, il sera nécessaire de revoir les aéroports militaires français susceptibles de l'accueillir et au premier rang desquels la base d'Orléans. La commission doit être éclairée sur l'état de préparation de l'armée de l'air sur ces aménagements ainsi que sur les programmes d'entraînement des pilotes.
4. Enfin, la mise en place d'une flotte européenne de projection. La création de l'EATC (European Air Transport Command), dont le siège se situe à Eindhoven aux Pays-Bas, constitue l'une des rares bonnes nouvelles pour les partisans d'une défense européenne. Je voudrais que vous en traciez le contour exact et les attentes possibles.
Le rapport devrait être présenté à la commission, au plus tard le 6 juin 2012. Les investigations conduiront nécessairement les rapporteurs à rencontrer les responsables des sociétés françaises concernées en particulier EADS, SAFRAN, ROLLS ROYCE, MTU et à visiter leurs établissements. Vous aurez également à vous rendre sur place en Allemagne, en Angleterre et aux Pays-Bas pour rencontrer les responsables des autorités et les dirigeants des sociétés concernées par ce projet.
Je propose que soient désignés par notre commission, comme rapporteurs : M. Bertrand Auban, en qualité d'auteur de la demande ; M. Jacques Gautier, qui reste le meilleur spécialiste parmi nous de ce programme et bien sûr M. Daniel Reiner en sa qualité de rapporteur du programme 146 - équipement des forces.
La proposition de lancer une mission de suivi est adoptée et la nomination des rapporteurs est approuvée.