Nous sommes saisis pour avis du projet de contrat d'objectifs et de moyens entre l'État et l'Institut Français.
Je formulerai une première observation sur la procédure. Le document a été transmis en deux temps, le contrat d'abord, les indicateurs, ensuite, le 28 novembre, ce qui a limité le délai d'examen dont nous disposons, alors que la loi avait prévu six semaines, pour produire un avis au conseil d'administration convoqué le 15 décembre.
Ma deuxième observation porte sur l'esprit de la démarche et la méthodologie observée pour la préparation de la convention.
Le choix de donner à l'Institut français un statut d'établissement public industriel et commercial, plutôt que de confier l'exercice de ses missions à une direction du ministère des affaires étrangères, procède d'une logique de recherche d'efficacité, reposant sur la volonté de laisser une plus grande autonomie à l'opérateur dans l'exécution de ses missions, d'une part, et à lui permettre, notamment par la conclusion de partenariats, de compléter les ressources mobilisables, d'autre part.
En règle générale, les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens poursuivent un double objectif :
- moderniser les relations entre l'opérateur et l'État, notamment en matière budgétaire ;
- définir les orientations stratégiques des opérateurs en associant des objectifs à des indicateurs quantitatifs et qualitatifs de performance, d'activité ou de suivi. L'examen de ces indicateurs doit permettre aux administrations de tutelle et au Parlement d'évaluer la pertinence de l'utilisation des ressources publiques.
En contrepartie de leurs engagements sur des objectifs de résultat et de maîtrise de leurs moyens, les opérateurs bénéficient d'une visibilité quant à l'évolution pluriannuelle de leurs ressources.
Les contrats d'objectifs et de moyens entrent donc bien dans une logique de responsabilisation et d'engagement mutuels des parties.
En règle générale, le projet de contrat est préparé par l'opérateur qui le soumet aux autorités de tutelle. Après une phase de négociation, les parties s'accordent sur sa rédaction. La Convention de l'Institut français ne reprend qu'imparfaitement cette démarche :
1. Selon la procédure définie par le décret du 30 décembre 2010, la première rédaction émane du ministère des affaires étrangères, ce qui n'est pas dans l'esprit de l'exercice de responsabilisation de l'opérateur mais s'apparente plutôt à une relation administrative de nature hiérarchique entre une administration centrale et un service extérieur ou déconcentré. Cette impression est corroborée par la multiplication des formules qui figurent dans le texte lui-même, qui conditionnent les objectifs à des accords des autorités de tutelle. Cette situation est sans doute justifiée, par la nouveauté de l'établissement, l'expérience insatisfaisante de Cultures France, la définition encore incertaine de sa relation avec les postes diplomatiques et les acteurs du réseau culturel français à l'étranger et bien entendu le domaine de la diplomatie culturelle lui-même. Néanmoins, elle conduit à s'interroger sur la réelle marge d'autonomie attendue de l'opérateur et sur sa capacité à moderniser le management des missions qui lui sont confiées.
2. La lecture du document foisonnant de 18 pages laisse également perplexe sur le sens de la démarche. Si sa présentation sous quatre grands objectifs regroupant 14 sous-objectifs de nature stratégique est conforme à l'exercice, en revanche, le texte est en réalité un catalogue d'objectifs secondaires d'importances variables. Était-il opportun par exemple, d'indiquer à l'Institut français que pour animer et soutenir les médiathèques du réseau, il devait « créer des outils de gestion et d'analyse du réseau » ? Fallait-il dans les actions de promotion de la langue française préciser qu'il devra conduire des actions au salon Expolangues ou au salon de l'Éducation, accueillir des élèves, des étudiants et des enseignants dans le cadre des programmes de mobilité « Rencontres internationales de jeunes », « Allons en France » ou « Profs en France » qui ne concernent en réalité que quelques centaines de personnes chaque année ? Et ce ne sont que des exemples. Les objectifs sont hétérogènes, ils ne sont plus hiérarchisés. Le contrat perd sa vocation d'outil de pilotage et de management.
3. Dès lors la règle, « un objectif = un indicateur » ne peut pas, fort heureusement d'ailleurs, être respectée. Et c'est à l'énoncé des 12 indicateurs que je me suis efforcé d'entrevoir quelles pouvaient être les priorités réelles assignées à l'opérateur. Là encore, le contraste entre le « trop » du contrat et le « trop peu » des indicateurs laisse place au doute. D'abord parce que ces indicateurs ne sont que des indicateurs de performance au sens de la mise en oeuvre de la LOLF et qu'aucun indicateur d'activité ou de suivi n'est présenté au regard du contrat. Ensuite, parce que nombre d'entre eux ne sont guère pertinents par rapport aux objectifs qu'ils sont censés évaluer. En quoi, le nombre de villes desservies rapporté au nombre de projets culturels soutenus par l'Institut, indicateur pertinent pour mesurer sa capacité à faire tourner un spectacle ou une exposition dans le réseau, est-il pertinent pour évaluer sa capacité d'adaptation en fonction des zones géographiques et des publics ? Enfin, parce ce qu'un certain nombre d'entre eux ne sont reliés à aucun objectif explicite dans le contrat, même si l'on perçoit à travers la description de nombreuses actions un objectif implicite sous-jacent comme l'utilisation des outils numériques. A tout le moins, eut-il été important de l'affirmer comme un sous-objectif dans le soutien du réseau ou dans l'amélioration du pilotage et de l'efficience dans la gestion des ressources.
4. Enfin, les engagements financiers sont présentés avec un tel luxe de réserves qu'ils perdent toute signification. L'essence d'un contrat d'objectifs et de moyens, c'est qu'en contrepartie des engagements d'un opérateur, l'État lui garantit pour plusieurs années un niveau de ressources réalistes pour remplir les objectifs. Chacun comprendra que la loi de finances s'impose, mais chacun comprendra également que l'opérateur ne pourra à défaut des ressources annoncées tenir ses objectifs. Or, on lui demande d'accepter les réserves sur le financement et en contrepartie d'atteindre les objectifs définis dans le contrat ! Tout cela dans le contexte où les efforts imposés aux opérateurs en loi de finances pour 2012 vont amputer leurs ressources de 10 %. A la signature (et on comprend mieux les réserves), ce ne sont pas 37 millions d'euros mais 34 millions d'euros dont disposera l'Institut français au titre du programme 185 pour exécuter ses missions...toutes ses missions ?
J'en viens maintenant au contenu de la convention pour relever les points positifs et les points négatifs à mes yeux.
Au titre des points positifs, je relève tout d'abord l'effort engagé pour orienter l'action de l'Institut en fonction de zones géographiques définies par le ministre des affaires étrangères et de lister les types d'actions prioritaires en fonction de chaque zone. Cette cartographie sera actualisée chaque année en fonction de l'évolution de nos priorités. Il est dommage qu'un indicateur du type « part des dépenses de l'Institut français pour le financement d'actions dans les zones prioritaires » n'ait pas été mis en place. Il aurait constitué un instrument utile de pilotage et d'évaluation.
Autre point positif, la réaffirmation de la mission de soutien à l'enseignement de la langue française en développant une expertise pour la formation des enseignants des systèmes éducatifs et en encadrant l'activité de cours de langue au niveau du réseau. Cet objectif est assorti d'un indicateur de performance, le nombre de personnels ayant bénéficié d'actions de formation soutenues par l'Institut : indicateur un peu sommaire qui ne tient pas compte de la durée de formation.
J'ai été étonné de constater l'importance attachée à l'opération « Afrique et Caraïbes en création », qui fait l'objet à elle seule d'un indicateur, mais il s'agit de la plus importante (plus de 2 millions d'euros engagés) dans le cadre de l'objectif de renforcement de la dimension culturelle de notre politique de solidarité. L'indicateur me paraît pertinent en ce qu'il engage l'Institut à travailler davantage avec des opérateurs locaux.
L'importance consacrée au soutien et au développement du réseau culturel m'a paru conforme à la mission de l'opérateur qui est d'être au service et à l'écoute de celui-ci pour mieux en fédérer les initiatives et lui apporter des services.
La convention et les indicateurs mettent à juste titre l'accent sur l'affectation croissante des crédits d'intervention au réseau et sur les actions de formation particulièrement structurantes à mes yeux.
Je regrette toutefois qu'aucun objectif transversal n'ai été explicitement fixé pour ce qui concerne la mutualisation des actions au service du réseau et notamment la stratégie numérique qui font pourtant l'objet de deux indicateurs de performance, l'un sur les crédits consacrés et l'autre sur le nombre de visiteurs, ce qui n'a pas grande signification, certains outils étant réservés aux seuls acteurs du réseau, d'autres étant ouverts au public.
Je regrette également que n'ait pas été affichée de façon explicite la relation entre l'Institut et les Alliances françaises. L'un des enjeux pour l'Institut est d'acquérir une légitimité auprès des deux composantes, publique et associative, du réseau. C'est un objectif stratégique, il est dommage qu'il n'apparaisse pas de façon plus marquée et qu'il ne soit pas assorti d'indicateurs de performance ou d'activité.
N'ayant pu prendre connaissance ni du questionnaire, ni de la procédure de recueil, j'exprime également des doutes quant à la pertinence de l'indicateur « taux de satisfaction des postes à l'égard de l'Institut français ». L'appréciation ne risque-t-elle pas d'être très subjective ? En outre, il est indiqué que pour les postes en expérimentation, il reviendra à l'Institut français de collecter l'information, ne sera-t-il pas juge et partie ?
S'agissant d'ailleurs de l'expérimentation du rattachement direct des instituts français locaux à l'Institut conduite dans 12 pays, il est satisfaisant qu'elle figure au titre des objectifs, mais je suis réservé quant à la décision de ne retenir pour seul indicateur que la capacité des bureaux locaux rattachés à mieux autofinancer leurs actions qu'un panel de postes non expérimentateurs d'un niveau d'activité comparable.
Je note enfin que le contrat prévoit la consultation de l'Institut pour la nomination et l'évaluation des agents du réseau, les créations et suppressions de postes, la répartition des crédits de coopération et d'actions culturelles attribués à chaque poste diplomatique ainsi que sur leur répartition et leur utilisation, l'évolution de la carte et du format des implantations. Il est dommage qu'un indicateur de suivi ne soit pas prévu à ce titre.
J'en viens maintenant aux insuffisances et aux aspects négatifs.
Ma première observation concerne l'absence d'indicateurs de performance, d'activité ou de suivi pour mesurer la réalisation de l'objectif d'« action au service de l'influence et du rayonnement de la France dans le monde ». J'ai relevé à ce titre pas moins de 35 catégories d'actions et aucun indicateur. Je comprends qu'il soit difficile de mesurer de façon synthétique l'action culturelle extérieure et son impact sur les populations auxquelles elle est destinée, mais au moins aurait-on pu sélectionner quelques objectifs prioritaires, à la réalisation desquels on attend de l'Institut un investissement important en moyens et en ressources et prévoir quelques indicateurs d'activité. Je pense en particulier à la promotion de l'image scientifique et technologique de la France, qui me paraît être le parent pauvre de notre diplomatie culturelle. Compte tenu du niveau de détail, de l'absence de hiérarchie et d'indicateurs, le contrat risque d'être un carcan administratif contraignant ou au contraire un catalogue d'exemples au sein desquels l'Institut agira selon ses appétences et plus probablement selon ses moyens.
Ma deuxième observation porte sur l'objectif 3 : « Développer des partenariats au profit d'une action plus cohérente et efficace ». Nul n'ignore que le financement de l'action culturelle extérieure repose largement et de façon croissante sur des financements extérieurs. Il s'agit donc d'un objectif stratégique. Il comporte à juste titre deux indicateurs, le premier concerne le nombre d'actions mises en oeuvre dans le cadre des conventions de partenariats signées, le second, qui est attaché à l'objectif 4, est le taux de réalisation des cofinancements et du mécénat « hors saisons » prévu au budget prévisionnel. S'agissant du premier, je regrette que les conventions passées avec les collectivités territoriales en soient exclues sauf à disposer d'un indicateur équivalent. Vous avez été nombreux à l'occasion de l'audition de M. Darcos, président de l'Institut français, à faire valoir l'action des collectivités territoriales et exprimer le souhait qu'elles travaillent de façon plus intense avec l'Institut.
Enfin, le quatrième objectif relatif à l'amélioration du pilotage et de l'efficience dans la gestion des ressources met l'accent sur la réduction des dépenses de fonctionnement en incitant l'Institut, par un indicateur de performance, à consacrer davantage de moyens aux activités. Il suppose toutefois pour sa réalisation que les ressources de l'Institut soient à la hauteur des prévisions, ce qui est loin d'être le cas pour 2012. En effet, certains coûts de fonctionnement et de personnel sont aussi fonction du niveau d'activité et indispensables à la modernisation de la gestion surtout en phase de mise en place d'un établissement public. L'Institut est une petite structure, qui sans doute peut participer à l'effort collectif, mais qui doit aussi, s'il veut être efficace, s'entourer de personnels qualifiés. Figurent également la modernisation de la gestion des ressources humaines, l'amélioration du dialogue de gestion, comme le développement d'une stratégie de communication, fonctions importantes qui ne sont assorties d'aucun indicateur.
En conclusion, tout en mesurant la difficulté de construire un contrat d'objectifs et de moyens pour un établissement récemment constitué, dont le positionnement au sein de l'ensemble diplomatique (administration centrale et postes), d'une part, et l'articulation avec le réseau culturel dans ces deux composantes, publique et associative (Alliances françaises), d'autre part, sont nouveaux, et dont les ressources publiques sont incertaines, il me semble que, pour les raisons que je viens de développer, notre commission pourrait transmettre au conseil d'administration un avis demandant certaines adaptations :
1. Assortir l'objectif « 1.1. adapter nos actions en fonction des zones géographiques et des publics » d'un indicateur pertinent ;
2. Alléger la rédaction, hiérarchiser les sous-objectifs du « 1.2.1 promouvoir la création, les idées, l'ingénierie et les industries culturelles françaises à l'étranger » et « 1.4 favoriser le dialogue des cultures et encourager la diversité culturelle » et les assortir d'indicateurs de performance ou d'activité ;
3. Alléger la rédaction et améliorer les indicateurs de l'objectif « 1.2.2. promouvoir, diffuser et soutenir la langue française et son enseignement à l'étranger »
4. Au sein de l'objectif « 2. soutenir et développer l'action du réseau culturel dans le monde » :
- définir de façon plus explicite les axes de la stratégie de mutualisation des actions au service des différentes composantes du réseau et notamment la stratégie numérique, en améliorer les indicateurs,
- définir un indicateur d'activité et de suivi de l'action de renforcement du partenariat avec l'Alliance française,
- préciser les indicateurs relatifs à la formation des personnels et à l'appréciation de l'action de l'Institut par les postes,
- renvoyer les éléments d'appréciation de l'expérimentation du rattachement du réseau à l'Institut, aux rapports d'évaluation et mettre en place un indicateur de suivi,
- mettre en place un indicateur de suivi de la consultation de l'Institut au titre du dernier alinéa de l'article 3 du décret du 30 novembre 2010.
5. Mettre en place un indicateur pour les partenariats avec les collectivités territoriales.
6. Mettre en place des indicateurs de performance et/ou de suivi pour la modernisation de gestion des ressources humaines, l'amélioration du dialogue de gestion et la stratégie de communication.
Je profite de l'occasion pour indiquer qu'en matière de promotion de la recherche scientifique et technologique, l'Institut français aurait intérêt à se rapprocher de l'Institut de recherche pour le développement, qu'il serait utile d'engager une réflexion pour savoir comment accompagner les grands évènements mondiaux et qu'au titre de sa stratégie de communication, l'Institut se déploie sur les réseaux sociaux. Enfin, je souligne l'importance de l'effort d'apprentissage du français comme langue professionnelle, car il y a un lien fort entre la formation et l'ouverture des marchés économiques.