Intervention de Christophe Béchu

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 17 novembre 2011 : 1ère réunion
Sécurité nucléaire et avenir de la filière nucléaire

Photo de Christophe BéchuChristophe Béchu :

J'ai souhaité organiser mon exposé en trois points. Le premier sera un rappel rapide sur la raison pour laquelle la France souhaite développer une technologie liée aux neutrons rapides. La deuxième porte sur la stratégie française concernant la quatrième génération. Il a été décidé de travailler sur deux filières de réacteurs à neutrons rapides, ceux refroidis au sodium, mais aussi au gaz. J'expliquerai pourquoi n'ont pas été retenues dans les travaux menés au sein du CEA les études sur les réacteurs à neutrons rapides refroidis au plomb ou à fluide supercritique. Nous menons à bien des études et des développements qui sont pour certains en rupture complète, ce que j'illustrerai par deux exemples relatifs aux réacteurs à neutrons rapides qui ont été déployés ou qui en sont en déploiement, par exemple en Russie. Ma troisième partie portera sur les partenariats et les marchés. Nos partenariats montrent à l'évidence que nous ne sommes pas seuls à mener à bien des actions de R&D au niveau mondial, en particulier sur les réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium. Je vous ferai ainsi part des accords de coopération que nous développons en matière de R&D, et du travail que nous menons à bien avec des industriels français, mais aussi étrangers, pour le développement du réacteur à neutrons rapide prototype ASTRID.

Premièrement, pourquoi un réacteur à neutrons rapides (RNR) ? C'est d'abord la possibilité de consommer le plutonium produit par le parc avec recyclage total des matières énergétiques contenues dans les combustibles. C'est ensuite une optimisation de la ressource uranium naturel avec une valorisation optimale de l'uranium extrait. C'est enfin la possibilité de réduction de l'inventaire des déchets de très haute activité et à vie longue par recyclage des actinides mineurs dans le cadre de la loi du 28 juin 2006 sur la Gestion durable des déchets et matières radioactives.

Il faut noter que nous avons choisi des RNR et non des technologies de type ADS. Deux raisons nous ont conduits à faire ce choix. La première est que la quantité réelle d'actinide transmuté est assez identique, qu'il s'agisse d'ADS ou de RNR. La deuxième est que nous estimons que le coût des ADS est supérieur à celui des RNR.

Quelle est notre stratégie en matière de développement de réacteurs de quatrième génération ? Le forum international Génération IV, dont j'ai l'honneur d'être un vice-président, a défini voilà très longtemps, quatre filières de RNR, qui sont refroidis soit au gaz, au sodium, au plomb ou au plomb bismuth, et au sel fondu. Pour nous, le dernier type de réacteur, s'il se fait, débouchera sur un prototype très tardivement. Il nous restait donc les trois premières technologies de réacteurs. Nous n'avons pas retenu la technologie des réacteurs refroidis au plomb ou au plomb bismuth pour plusieurs raisons. La première est qu'il est nécessaire de gérer partout très finement la quantité d'oxygène dissoute. A défaut, nous courrons au devant de très grands problèmes de corrosion. La deuxième est que le bismuth sous irradiation s'active très fortement. La troisième est que ce type de caloporteur ne permet pas d'avoir des réacteurs de forte puissance. Enfin, le bismuth n'est pas un matériau si répandu au niveau terrestre.

Nous avons donc décidé de concentrer nos efforts sur deux filières, celle refroidie au gaz, et celle refroidie au sodium. Dans le RNR gaz, qui est pour nous une option à plus long terme, dans la mesure où le réacteur fonctionnera à haute température, nous travaillons sur deux sujets qui sont pour nous des verrous technologiques. D'une part les matériaux, puisque nous devons disposer des matériaux qui tiennent à haute température ; d'autre part, la sûreté. Avec un réacteur à gaz, la problématique de la sûreté est importante.

Si ce réacteur voit le jour, il sera construit sous forme d'un prototype de l'ordre de 80 à 100 mégawatts thermiques à l'est de l'Europe. Trois pays se sont déclarés candidats pour voir un tel type de réacteur à l'horizon 2025, plus vraisemblablement 2030.

Le RNR sodium est pour nous une filière de référence, avec un prototype ASTRID dont je vais préciser le planning. Nous avons un point de rendez-vous avec l'État en 2012, où nous allons présenter pour les deux filières un dossier d'orientation, qui comprendra trois éléments : les aspects techniques, de coût et de planning. Le dossier d'orientation relatif au RNR gaz sera moins précis pour des raisons évidentes, dans la mesure où nous sommes toujours sur des études amont, que celui du RNR sodium. Nous ne prenons en compte que des options techniques, en rupture forte. Je l'illustrerai avec la problématique du tertiaire en matière d'échangeurs, mon objectif étant de supprimer à terme les problématiques d'interactions sodium-eau, mais aussi avec la question de la sûreté du coeur du réacteur. Même si nous devons encore poursuivre des expérimentations, je vous dirai pourquoi nous avons développé un coeur plus sûr.

J'en viens au planning d'ASTRID. L'année 2012 sera celle du dossier d'orientation et de la décision de poursuite des études. Un premier axe est lié au développement du réacteur lui-même, le deuxième au cycle associé au réacteur. M. Duplessy a souligné qu'il était nécessaire de développer simultanément le cycle du combustible associé - ce que nous faisons. Les études doivent se poursuivre jusqu'en 2017, où la décision de construction doit être prise, pour un réacteur divergent aux alentours de 2025.

Simultanément, nous travaillons sur le cycle du combustible associé à ce réacteur, au travers de deux installations importantes : d'abord un atelier de fabrication des coeurs, le coeur utilisé, mélange d'uranium appauvri et de plutonium, étant spécifique, d'autre part, un pilote de traitement pour démontrer le multirecyclage du plutonium et la possibilité de transmuter à plus grande échelle du combustible chargé en actinides mineurs.

J'en viens aux axes de R&D. De quelle manière les avons-nous définis ? L'approche a été très simple. Nous avons utilisé à plein le retour d'expérience dont nous disposions, en France, mais aussi à l'étranger, dans des constructions passées ou dans des réacteurs opérationnels, comme le BN600 russe. De ce retour d'expérience, nous avons examiné quelles étaient les points durs que nous pouvions retenir. Je citerais la réactivité des coeurs de RNR, la réaction sodium-eau et la problématique des accidents graves. Nous avons bien entendu d'autres axes de R&D, en particulier sur les problématiques de réparabilité, d'inspection en service, problématiques déjà citées par M. Dujardin.

Ces axes de R&D étant définis, je souhaite traiter, avant de les approfondir, quelques points particuliers, et d'abord la question de la sûreté dans les réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium. En cas de problème de type Fukushima, que se passerait-il, me demande-t-on souvent ? Ces réacteurs ont une très grande inertie thermique. A Fukushima, on s'en souvient, les barres de contrôle sont tombées. Le réacteur s'est très bien comporté sous l'aspect sismique. Le problème rencontré à été celui de l'évacuation de la puissance résiduelle. Dans les RNR refroidis au sodium, la puissance résiduelle ne peut commencer à poser problème qu'au bout d'un temps beaucoup plus long que pour les réacteurs à neutrons lents refroidis à eau. Et cela, pour deux raisons. D'abord, parce que nous avons une quantité de sodium dans le coeur qui est plus importante que celle de l'eau, mais surtout, que la différence entre la température de fonctionnement du sodium et sa température d'ébullition est très importante. Pour porter cette masse de sodium et les internes qui constituent le réacteur à la température d'ébullition, comme ce qu'on a vu à Fukushima, on dispose donc d'un temps beaucoup plus long.

La deuxième raison, au moins aussi importante, est qu'il est possible d'avoir dans ce type de réacteurs des mouvements de convection naturelle. Le sodium se met en mouvement naturellement pour évacuer la puissance résiduelle du coeur. Il va évacuer cette puissance vers un système complètement passif, qui permet par circulation de sodium et par effet thermo siphon, d'évacuer cette puissance résiduelle vers une cheminée à l'air, sans aucun ventilateur. Ce type de système a été testé dans les constructions que nous avons réalisées en France. Nous savons qu'il fonctionne.

J'en viens à deux axes de R&D spécifiques. Un de nos problèmes a été de savoir comment traiter l'interaction sodium-eau. Pour traiter cette problématique, nous avons retenu trois voies. La première consiste à faire en sorte que la quantité de sodium qui pourrait interagir avec l'eau soit limitée, voie qui nous conduit à mettre en place des échangeurs segmentés. Il ne s'agit pas d'évacuer toute la puissance par un seul échangeur, mais de l'évacuer par plusieurs échangeurs séparés les uns des autres. Du coup, l'éventuelle interaction entre le sodium et l'eau sera fortement diminuée, les masses en présence de l'un et de l'autre étant faibles. Cette solution sera probablement utilisée au démarrage d'ASTRID.

La deuxième solution est plus lointaine, et illustre bien que nous sommes en situation de rupture de R&D. Ces idées, nous pensons les tester aux alentours de 2020, sur ce réacteur ou à côté, dans des conditions représentatives, la mise en oeuvre opérationnelle devant avoir lieu en 2040. Il s'agit donc de remplacer l'eau par un gaz, l'azote. Cela suppose de travailler sur un échangeur sodium-azote, d'autre part sur une turbine qui pourra prendre l'azote chaud, et transformer son énergie en électricité. Une telle solution supposera une collaboration très forte avec Alstom.

La troisième solution consiste à conserver un réacteur à sodium, utiliser du plomb bismuth, de l'eau, puis une turbine.

Voilà un premier type de travail de rupture par rapport à ce qui prévalait antérieurement, et un domaine où nous avons conservé des marges de progrès très importantes, en suivant des axes de R&D.

J'en viens au sujet de la sûreté dans les RNR et de la problématique liée à la question suivante : que se passe-t-il si l'on enregistrait dans un coeur de RNR refroidi au sodium une augmentation de température ? Dans les coeurs classiques, il pourrait y avoir une croissance de la population de neutrons, liée à l'effet de vidange, donc une croissance de la puissance nucléaire engendrée. Dans le coeur que nous avons développé, et sur lequel nous avons commencé à faire de la validation expérimentale, après avoir réalisé beaucoup de calculs, nous avons traité cette problématique de coefficient de vidange et d'emballement de la réaction nucléaire suite à une augmentation de la température par au moins deux effets. Le premier est un effet de topologie, le coeur innovant disposant d'une couche de sodium au dessus de la matière fissile, et un absorbant neutronique au-dessus. Le deuxième est la mise en place d'un plenum sodium, c'est-à-dire la présence d'un grand volume de sodium en sortie. C'est un deuxième exemple d'avancée significative et d'innovation dans le domaine des RNR sodium.

J'en viens à la question des collaborations internationales, en matière de R&D, mais aussi industrielles. S'ajoutent aux collaborations que nous développons au sein du forum international Génération IV sur la filière sodium, les collaborations bilatérales ou trilatérales avec le Kit, Rosatom et la Japan Atomic Energy Agency. Nous avons des collaborations limitées avec l'Inde, qui n'a pas ratifié le traité de non prolifération. Nous travaillons avec ce pays dans le domaine de la sûreté, mais aussi des études fondamentales sur les RNR sodium. Nous avons des collaborations bilatérales avec la Chine et les Etats-Unis. Dans le domaine industriel, nous avons des collaborations avec un ensemble d'entreprises françaises, Edf, Arera, la Comex et Alstom. Nous avons avec nous des industriels européens, comme Rolls Royce, des collaborations industrielles avec Toshiba. Nous constatons qu'un ensemble d'industriels nous rejoignent pour travailler sur ce prototype ASTRID.

Je terminerai par quelques remarques de bon sens. Pour les RNR, les gros marchés sont en Chine et en Inde, dans une moindre mesure en Russie. Certes, les aspects économiques sont importants. Mais la dimension d'autonomie énergétique va peser très lourd dans ces pays. Nous possédons une avance concurrentielle extrêmement importante, que nous sommes en train de capitaliser au travers des études que nous menons sur ASTRID. Il est essentiel de ne pas perdre cette avance que l'ensemble du monde nous reconnaît.

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