Intervention de Jean-Yves Leconte

Réunion du 19 décembre 2011 à 15h00
Limite d'âge des magistrats de l'ordre judiciaire — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi organique dans le texte de la commission modifié

Photo de Jean-Yves LeconteJean-Yves Leconte, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat est une nouvelle fois saisi, selon la procédure accélérée, d’un projet de loi organique appliquant aux magistrats de l’ordre judiciaire des mesures relatives aux retraites adoptées dans une autre loi. Cela avait déjà été le cas lors de la réforme des retraites.

En effet, à la suite des annonces faites le 7 novembre dernier, le Gouvernement a souhaité accélérer, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, le calendrier de relèvement progressif de 60 ans à 62 ans de l’âge d’ouverture des droits à pension et de 65 ans à 67 ans de l’âge de départ à la retraite sans décote.

L’application aux magistrats de l’ordre judiciaire de l’accélération du calendrier applicable au relèvement de l’âge limite de départ en retraite exige l’adoption d’une loi organique, en vertu de l’article 64 de notre Constitution.

En effet, il s’agit d’un élément du statut des magistrats. Or ce statut est placé sous la protection de la loi organique, ce qui constitue une garantie de l’indépendance de la magistrature.

L’accélération du calendrier de déploiement de la réforme des retraites était, à l’origine, l’objet du présent texte. Toutefois, le Gouvernement a saisi l’occasion de l’examen d’un projet de loi organique pour y ajouter, par voie d’amendements déposés à l’Assemblée nationale à peine une semaine après l’adoption du texte en conseil des ministres, plusieurs dispositions relatives au statut des magistrats. Le projet de loi qui nous est soumis dépasse, ainsi, largement son strict objet initial.

Le nouveau calendrier proposé par le Gouvernement est celui qui résulte de l’adoption d’un amendement gouvernemental en nouvelle lecture à l’Assemblée nationale du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012.

Initialement, la réforme des retraites, qui repoussait de deux ans l’âge d’ouverture des droits à pension et la limite d’âge de départ en retraite, devait, par application du principe de garantie générationnelle, monter en charge progressivement, par paliers de quatre mois par génération, pour les générations nées après 1951.

L’accélération du calendrier voulue par le Gouvernement consistait à ajouter un mois à chaque palier, ce qui, au total, avance d’une année l’achèvement de la réforme. L’objet de l’article 1er était d’appliquer cette accélération aux magistrats.

Les articles 2, 4, 5 et 6 du projet de loi résultent d’amendements déposés par le Gouvernement devant la commission des lois de l’Assemblée nationale et adoptés sans modification par celle-ci.

Ils reproduisent quatre articles parmi les neuf que comptait le projet de loi organique relatif au statut de la magistrature, déposé devant l’Assemblée nationale le 27 juillet 2011, qui n’a pas encore été inscrit à l’ordre du jour du Parlement.

L’article 2 prévoit deux modifications au régime des magistrats « placés », pour revenir sur deux jurisprudences du Conseil d’État qui posent à la Chancellerie des difficultés de gestion.

L’article 3 résulte, quant à lui, d’un amendement du député René Dosière adopté par la commission des lois de l'Assemblée nationale lors de l’examen du projet de loi organique aujourd’hui soumis à notre appréciation. Il tend à interdire aux magistrats judiciaires de recevoir pendant l’exercice de leurs fonctions, ou à raison de ces fonctions, une décoration publique. L’Assemblée nationale a néanmoins voté la suppression de l’article 3 en séance publique.

L’article 4 tend à assouplir la règle actuelle selon laquelle les conseillers ou avocats généraux de la Cour de cassation doivent être recrutés, dans une proportion de un sur quatre, parmi les anciens conseillers ou avocats généraux référendaires de cette même cour. Nous passerions à un sur six.

L’article 5 vise à remédier aux difficultés procédurales qui ont empêché le comité médical national compétent pour les magistrats d’être enfin mis en place.

L’article 6 tend à modifier le dispositif de la mobilité statutaire obligatoire pour l’accès aux fonctions hors hiérarchie, d’une part en portant à deux ans la durée de cette mobilité actuellement d’un an renouvelable, d’autre part en supprimant l’impossibilité actuelle d’accomplir cette mobilité statutaire au sein des juridictions administratives, financières et internationales. En outre, cet article prévoit que les services accomplis au titre de la mobilité statutaire comptent comme services judicaires effectifs. Cette évolution par rapport aux dispositions sur la mobilité s’inspire des recommandations de la commission d’enquête sur les dysfonctionnements de la justice dans l’affaire d’Outreau. Elle nous apparaît comme utile et acceptable.

La commission des lois a considéré que tous ces articles ne posaient pas les mêmes difficultés.

Ainsi, la commission a estimé que l’article 1er posait plusieurs problèmes de fond.

En effet, lors de la réforme des retraites en septembre 2010, la commission s’était inquiétée des effets délétères que le relèvement de l’âge de départ à la retraite aurait sur les perspectives de carrière des magistrats ou sur la situation des polypensionnés, notamment pour les magistrats du troisième concours. Elle avait souhaité qu’il soit remédié à ces difficultés dans un futur projet de loi réformant le statut des magistrats. La question de la pyramide des âges au sein de la magistrature et les besoins de ce corps conduisent également la commission à émettre de fortes réserves sur le relèvement de la limite d’âge des magistrats de l’ordre judiciaire.

Or le Gouvernement, loin de lever les réserves émises par le Sénat précédemment, n’a pas tenu compte de nos observations : le projet de loi organique déposé en juillet dernier reste muet sur la question. Le Gouvernement transpose, ainsi, à tout va les règles générales, sans prendre en considération les spécificités du statut des magistrats.

En outre, la commission a considéré qu’elle devait se poser à l’article 1er la question suivante : peut-on accepter l’accélération du calendrier de déploiement des retraites sans souscrire à la réforme des retraites ?

Certes, l’équité imposerait d’appliquer aux magistrats les mêmes règles que celles prévues pour le régime général, ce qui pourrait justifier l’adoption sans modification de l’article 1er.

Toutefois, la commission des lois a considéré que cette même équité commandait, plus impérieusement encore, de retenir d’autres modalités de réforme des retraites que celles finalement adoptées.

D’ailleurs, le Sénat, sur l’initiative de la commission des affaires sociales, s’est opposé à l’accélération du calendrier de relèvement de l’âge limite de départ en retraite dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Pour l’ensemble de ces raisons, la commission des lois a supprimé l’article 1er.

Par ailleurs, on ne peut que s’étonner de la méthode suivie par le Gouvernement pour ce qui concerne les autres dispositions du projet de loi : une semaine après avoir adopté le texte en conseil des ministres, il a proposé, par voie d’amendements, de l’augmenter de quatre articles sans lien aucun avec la réforme des retraites.

Je rappelle que le Conseil constitutionnel contrôle l’existence de cavaliers législatifs même dans les textes organiques.

Or, qu’il s’agisse de l’obligation de mobilité statutaire pour accéder aux emplois hors hiérarchie, du comité médical national, du régime juridique des magistrats placés ou des nominations à la Cour de cassation, les dispositions en cause ne paraissent pas présenter de lien, même indirect, avec l’objet initial très restreint du projet de loi, à savoir l’accélération du calendrier de déploiement de la réforme des retraites.

Je souligne que ces dispositions sont tirées d’un projet de loi organique déposé en juillet dernier à l’Assemblée nationale et que le Gouvernement n’a toujours pas inscrit à l’ordre du jour du Parlement. Le dépeçage de ce texte relatif au statut de la magistrature ne peut qu’inquiéter, car il éloigne la perspective que soient traitées les questions abordées par les autres parties du même projet et non reprises par le Gouvernement dans le texte que nous examinons aujourd’hui ; je pense, notamment, à la prévention des conflits d’intérêts pour les magistrats.

Par ailleurs, je note que cette accélération du calendrier pour intégrer quelques dispositions du projet de loi organique déposé en juillet dernier et l’intégration de quatre amendements déposés de manière précipitée juste après l’adoption en conseil des ministres du projet de loi relatif à la limite d’âge des magistrats de l’ordre judiciaire, s’est faite sans qu’aucune concertation ait été conduite avec les syndicats de magistrats, à qui nous avons appris les intentions du Gouvernement en la matière.

Assumant le risque d’inconstitutionnalité, le Gouvernement a avancé, afin de justifier ces amendements, que la plupart des dispositions proposées recueillaient l’accord des organisations de magistrats et répondaient à des difficultés avérées.

La commission des lois, tout en maintenant ses fortes réserves sur la méthode, a, de manière pragmatique, accepté d’adopter les dispositions répondant à un véritable besoin, comme celle relative au comité médical national.

Toutefois, elle a modifié le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale sur deux points.

Tout d’abord, la commission s’est inquiétée, à l’article 2, de l’extension à douze ans de la période pendant laquelle un magistrat pourrait être affecté à un emploi de magistrat placé, le terme désignant les magistrats placés auprès d’une cour d’appel qui sont discrétionnairement affectés par le chef de cour aux postes vacants dans le ressort de la cour. La solution des magistrats placés est un expédient nécessaire pour faire face aux vacances entre deux affectations de magistrats, pour pallier les congés maternité ou les arrêts maladie, ou encore pour assurer une charge de travail exceptionnelle. Cependant, elle ne doit pas devenir un instrument de gestion de la pénurie. Il est inutile de prévoir une période si longue dans une carrière de magistrat, d’autant que la durée moyenne d’exercice de ces fonctions est de deux ans et onze mois. La commission a donc supprimé l’article 2.

Ensuite, la commission a rétabli l’article 3, adopté, sur l’initiative de M. Dosière, par la commission des lois de l’Assemblée nationale, puis supprimé par les députés en séance publique.

Cet article vise à interdire que les magistrats puissent recevoir une décoration publique pendant l’exercice de leurs fonctions ou à ce titre.

Une telle interdiction, que les parlementaires connaissent bien, est conforme au principe de la séparation des pouvoirs exécutif, judicaire et législatif. Elle est aussi cohérente avec l’indépendance de l’autorité judiciaire. Ce serait un signe utile adressé en ce sens à l’ensemble de nos concitoyens.

En reprenant cette proposition, nous ne voulons jeter la suspicion sur personne, mais nous souhaitons manifester de manière concrète l’indépendance de la justice et la séparation des autorités judiciaire, exécutive et législative.

Sous le bénéfice de ces observations, la commission des lois du Sénat vous invite, chers collègues, à adopter le texte tel qu’elle l’a établi.

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