Intervention de Roland Courteau

Réunion du 18 janvier 2012 à 14h30
Conséquences environnementales des essais nucléaires français en polynésie française — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Roland CourteauRoland Courteau, rapporteur :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pendant trente ans, de 1966 à 1996, la France a conduit des essais nucléaires sur les atolls de Moruroa et de Fangataufa, cent quatre-vingt-treize essais au total, avant de cesser définitivement les essais nucléaires et de démanteler les installations au sol.

Nous nous souvenons tous des tensions internationales qui ont accompagné ces campagnes d’essais, notamment dans les derniers temps.

La présente proposition de loi, dont Richard Tuheiava a pris l’initiative, met l’accent sur un point qui, en revanche, n’a guère été soumis à la représentation nationale : les conséquences environnementales de ces essais.

Elle nous invite également à mettre en place les conditions d’une meilleure coopération entre les autorités nationales et les collectivités et populations de Polynésie française.

Seize ans après la fin des essais nucléaires, en effet, il est temps de reconnaître que la question des atolls de Moruroa et de Fangataufa est l’affaire des Polynésiens. Ces deux atolls ne sont distants que d’une centaine de kilomètres de l’atoll habité le plus proche, celui de Tureia. Les autres communes mentionnées dans la proposition de loi, à savoir les Gambier, Nukutuvake, Hao, sont situées un peu plus loin. Certaines retombées des essais aériens ont même atteint Tahiti, à 1 250 kilomètres environ.

Un retour en arrière sur les conditions d’implantation du centre d’expérimentation du Pacifique, l’organisme qui a réalisé les essais, permettra de mieux comprendre cette proposition de loi.

Les travaux d’installation de ce centre d’expérimentation ont en effet commencé avant même la cession des atolls. La délibération de l’assemblée territoriale de Polynésie française qui a autorisé cette cession, le 6 février 1964, mérite aussi d’être citée. Elle a autorisé la cession sans demander de contrepartie, tout en prévoyant que, lorsque les activités du centre d’expérimentation auraient pris fin, les deux atolls retourneraient au domaine public de la Polynésie française « dans l’état où ils se trouveront à cette époque, sans dédommagement ni réparation d’aucune sorte de la part de l’État ». Surprenant !

Ces termes permettent de comprendre à quel point les Polynésiens étaient peu informés des conséquences environnementales des essais nucléaires, car, près de deux cents essais nucléaires plus tard, il est bien évident que l’État conserve une responsabilité particulière à l’égard de ces sites.

Entre 1966 et 1974, quarante-six essais aériens ont entraîné la diffusion de particules radioactives dans les différentes couches de l’atmosphère ; certains ont entraîné des contaminations locales au sol par des matières radioactives. Par ailleurs, cinq kilogrammes – c’est du moins le chiffre qui m’a été communiqué – de plutonium reposeraient aujourd’hui dans les sédiments des lagons, ainsi que sur un banc immergé près de la couronne de l’atoll de Moruroa. Les autorités ont choisi de ne pas y toucher, une éventuelle décontamination paraissant trop complexe et trop risquée.

Puis, en raison du caractère trop polluant des essais atmosphériques, cent quarante-sept essais souterrains ont été réalisés entre 1975 et 1996, au fond de puits creusés pour l’occasion. Ces puits contiennent toujours des produits de fission engendrés par l’explosion, ainsi que des déchets nucléaires divers, stockés dans des fûts enfouis et recouverts de béton. Deux puits ont d’ailleurs été creusés spécifiquement pour contenir ces déchets.

Je ne crois pas que l’on puisse se satisfaire de cette situation. Les deux atolls sont-ils donc condamnés à servir de lieux de stockage de déchets nucléaires, à être de véritables poubelles nucléaires, sans espoir de parvenir un jour à une réelle réhabilitation ? Voilà une question majeure !

Certes, rapport officiel après rapport officiel, la situation radiologique est, paraît-il, considérée comme satisfaisante. Il convient toutefois de vérifier, par exemple, que le plutonium ne contamine pas des lieux où sa présence n’est pas aujourd’hui repérée.

D’autres inquiétudes importantes portent sur la stabilité géomécanique des atolls.

Un atoll est un milieu fragile : plusieurs centaines de mètres de couche calcaire, d’origine corallienne, reposent sur un socle basaltique. La surface affleure à peine, à quelques mètres au-dessus du niveau de la mer.

Or les essais souterrains ont gravement endommagé le sous-sol. Des fissures, des affaissements de surface ont été constatés. En 1979, un tir souterrain effectué à Moruroa a fait basculer dans l’océan un bloc corallien qui a déclenché la formation d’une vague de deux mètres de hauteur, causant des blessures parmi le personnel présent sur place.

Face à ce risque, on ne peut certes pas accuser les autorités militaires d’avoir été inactives jusqu’à présent, je le reconnais, monsieur le ministre. Un double système d’urgence est prévu. En cas d’effondrement limité, comme celui de 1979, une alerte à 90 secondes donne aux personnels présents sur l’atoll de Moruroa le temps de se réfugier sur des plateformes conçues à cet effet. En cas d’effondrement plus important, des signes avant-coureurs devraient en principe survenir – j’emploie le conditionnel à dessein – quelques jours à l’avance, peut-être quelques heures, ce qui permettrait de prendre les mesures appropriées.

Mais ces mesures sont-elles suffisantes ? Personnellement, je n’en suis pas du tout convaincu. En tout cas, une étude publiée il y a un an a suscité une vive émotion en Polynésie : elle indiquait qu’un effondrement de terrain à Moruroa pourrait, dans certaines circonstances, déclencher la formation d’une « vague » qui atteindrait, en dix minutes seulement, l’atoll voisin de Tureia. Les spécialistes qui m’en ont parlé ne veulent pas employer le terme de « tsunami ». Pour ma part, je l’utilise sans hésitation aucune. De toute façon, l’effet serait dévastateur. Du reste, quelques semaines après la publication de cette étude, un tsunami a dévasté la côte est du Japon, montrant à quel point il est dangereux de sous-estimer ce risque…

Cela dit, si les autorités ne sont pas inactives, le fruit de leur activité manque encore de transparence, monsieur le ministre. Des rapports ont été réalisés, des chiffres ont été rendus publics, des rencontres ont été organisées en Polynésie française. Pourtant, les Polynésiens ont toujours le sentiment de ne pas être entendus et de ne pas avoir accès à toutes les données. En un mot, ils sentent qu’ils sont maintenus à l’écart, alors que le temps passe et que le secret est de moins en moins justifié. Y aurait-il d’autres choses à cacher ? C’est une question !

Il est temps, je le crois, de restaurer la confiance en améliorant la diffusion d’informations concernant la situation exacte des deux atolls sur les plans radiologique et géomécanique, mais aussi en s’assurant de la participation des autorités locales et des populations.

Mes chers collègues, c’est tout ce qui fait, à mon sens, la valeur de cette proposition de loi.

Son contexte est, il est vrai, particulier puisque le Sénat se prononce dans le respect du statut d’autonomie de la Polynésie française, inscrit dans la Constitution et précisé par la loi organique du 27 février 2004. Les autorités de la Polynésie française disposent en effet d’une compétence générale, celle de l’État étant limitée aux matières mentionnées dans cette loi organique.

Ainsi l’assemblée de la Polynésie française a-t-elle été saisie de ce texte, conformément à l’article 9 de la loi organique. Elle a rendu son avis ce lundi, approuvant à une nette majorité la proposition de loi de Richard Tuheiava telle qu’elle ressort des travaux de la commission de l’économie.

Un débat prolongé a eu lieu, au cours duquel a été notamment évoquée l’application de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français.

Je note que l’assemblée de la Polynésie française a finalement renoncé à inclure dans son avis une demande de modification de la loi du 5 janvier 2010, consciente que le présent texte porte sur un sujet distinct, à savoir les conséquences environnementales des essais nucléaires. Telle a également été mon analyse au cours des travaux que j’ai menés sur ce texte.

Cela dit, au vu des conséquences sur l’environnement des essais nucléaires, il faudra bien revenir sur l’application de la loi du 5 janvier 2010. En effet, sur 632 dossiers, deux seulement ont abouti à une indemnisation.

Monsieur le ministre, vous avez présidé, le 20 octobre dernier, la première réunion de la Commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires. La loi du 5 janvier 2010 ne donne-t-elle pas des marges de manœuvre au niveau réglementaire, par exemple sur la définition des zones géographiques permettant aux habitants de soumettre des dossiers ? Il me paraît nécessaire et urgent que des initiatives soient prises en ce sens, en attendant d’éventuelles modifications plus substantielles.

J’en viens à présent au contenu même de la proposition de loi. Notre commission l’a approuvé dans l’ensemble, tout en apportant quelques adaptations ponctuelles.

Je commencerai par un point de toponymie. La plupart d’entre nous ont toujours entendu parler des essais nucléaires de « Mururoa », en omettant d’ailleurs les essais de Fangataufa. En fait, le nom véritable de l’atoll est « Moruroa ». C’est l’appellation employée de manière constante en Polynésie française pour désigner cet atoll, mais également, de plus en plus, en dehors de celle-ci. C’est donc avec raison que la présente proposition de loi utilise cette graphie. Afin d’éviter tout risque de confusion, la commission a néanmoins souhaité ajouter à l’article 1er la graphie « Mururoa » entre parenthèses.

Sur le fond, l’article 1er vise à rétrocéder les atolls de Moruroa et de Fangataufa au domaine public de la Polynésie française.

Il faut certes, comme me l’ont expliqué les représentants du ministère de la défense que j’ai auditionnés, garantir la sécurité des matières radioactives encore présentes sur ces sites et éviter la diffusion d’informations confidentielles qu’un examen trop approfondi des puits d’essai pourrait, paraît-il, apporter à des tiers.

Je crois pourtant possible et souhaitable de concilier ces impératifs de sécurité, qui requièrent la présence d’une force de surveillance permanente, et le transfert du droit de propriété à la Polynésie française.

Il faut faire observer que le transfert prévu par l’article 1er n’aurait d’effet, pour le moment, que pour la partie terrestre des atolls, le domaine public maritime étant régi par les dispositions de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française. Ce serait donc un premier pas, mais il serait d’une très grande portée symbolique.

Enfin, l’État devra bien sûr, comme l’indique le second alinéa, conserver les charges de réhabilitation environnementale ainsi que de surveillance radiologique et géomécanique qu’il exerce déjà sous la responsabilité du ministère de la défense, en coopération avec le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives.

L’article 2 prohibe la recherche à des fins militaires sur ces deux atolls. Il répond à une inquiétude du ministère de la défense et vise à éviter l’exercice d’activités potentiellement dangereuses sur les atolls. En tout état de cause, il paraîtrait malvenu d’utiliser les atolls pour des recherches militaires.

L’article 3 complète, lui aussi, l’article 1er. Il prévoit que la surveillance radiologique et géomécanique doit être assurée par l’État, en coopération avec la Polynésie française et les communes environnantes. C’est une disposition de bon sens, qui favoriserait l’acquisition des informations par les populations locales.

Actuellement, les mesures géomécaniques réalisées à Moruroa sont transmises instantanément au laboratoire du CEA en région parisienne, mais un délai de dix-huit mois à deux ans est nécessaire pour la publication des rapports annuels sur la surveillance radiologique et géomécanique qui en sont issus.

Afin de renforcer la transparence et de contribuer à restaurer la confiance des populations, la commission de l’économie a proposé que l’autorité en charge des installations fasse appel, pour des interventions ponctuelles, à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l’IRSM, organisme qui dispose de toutes les compétences techniques pour effectuer des mesures et des analyses.

L’article 4, dans le même esprit de transparence et de participation des acteurs locaux, renforce la coopération entre l’État et les collectivités territoriales dans la définition des plans de prévention des risques. La commission a modifié l’article afin que soit mieux prise en compte la répartition des compétences entre l’État et la Polynésie française.

Les articles 5 et 6 complètent le dispositif en créant une commission nationale de suivi des conséquences environnementales des essais nucléaires. Cette commission devrait réunir les ministres concernés, mais aussi les représentants des autorités locales, y compris les communes environnantes, ainsi que des représentants de la société civile.

Elle devrait jouer un rôle de réflexion et, me semble-t-il, de diffusion de l’information. C’est dans cet esprit que la commission de l’économie a enrichi la composition de cette instance et prévu une publicité de ses travaux.

L’article 7, enfin, contient un dispositif traditionnel de gage.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France a mis au point dans les années cinquante et soixante un mécanisme de dissuasion nucléaire dont elle a poursuivi le développement sous les gouvernements successifs. Ce programme décidé au niveau national, quelle que soit la position de chacun à son sujet, a été rendu possible par l’appartenance à la République des territoires de la Polynésie française : le sens profond de notre vote aujourd’hui, mes chers collègues, c’est une reconnaissance de ce que la République doit aux Polynésiens.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion