Intervention de Philippe Esnol

Réunion du 18 janvier 2012 à 14h30
Conséquences environnementales des essais nucléaires français en polynésie française — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Philippe EsnolPhilippe Esnol :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons un texte de portée historique et chargé de grandes attentes de la part de nos concitoyens de Polynésie française.

C’est un texte historique, parce qu’il nous oblige à regarder en face notre passé, nos choix stratégiques de défense nationale et les implications, quelquefois tragiques, qu’ils ont eues pour des populations qui ne nous sont pas éloignées, car françaises.

Ce texte est aussi chargé d’une force symbolique évidente pour nos concitoyens et amis de Polynésie française, à qui je pense avec émotion et amitié en cet instant. Ils sont nombreux à avoir vécu dans leur histoire personnelle, dans leur chair parfois et au prix de leur santé, les conséquences des choix stratégiques de notre pays.

Cette proposition de loi n’a évidemment pas pour vocation – elle n’en a pas non plus la prétention – de répondre, en si peu de temps, à l’ensemble des attentes, mais elle va nous obliger, mes chers collègues, à regarder en face notre histoire et à avancer sur le chemin qui nous amènera à mieux l’assumer et à mieux la réparer.

Le texte que nous vous présentons, avec notre collègue Richard Tuheiava, dont je salue le travail précieux et l’engagement exemplaire, vise ainsi d’abord à réparer les dégâts environnementaux causés par les essais nucléaires français en Polynésie française. Or, pour réparer les dégâts, monsieur le ministre, faut-il encore les reconnaître… Nous souhaiterions que ce soit le cas.

En 2010, la loi relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, dite loi « Morin », avait constitué un premier pas, bien timide mais nécessaire, vers la reconnaissance par la France d’une évidence : les conséquences néfastes pour les populations et territoires de Polynésie française des quelque 210 essais nucléaires, atmosphériques ou souterrains, qu’elle a menés entre 1960 et 1996 sur les atolls de Moruroa et de Fangataufa.

Cette loi prévoit un régime d’indemnisation des victimes si restrictif que nous n’avions pu à l’époque nous y associer et la voter, comme le Gouvernement nous invitait à le faire ; la corriger est, je le souhaite, une étape à venir, qui dépendra sans doute de l’initiative d’un gouvernement lui-même à venir.

Pour notre part, nous nous situons plus simplement dans la réparation d’un oubli – ou d’une impasse – de la loi Morin : nous entendons reconnaître et réparer les dégâts causés, non plus directement sur la santé de la population, mais sur l’environnement de celle-ci.

Il est évident que, du point de vue sanitaire également, l’évaluation et la réparation des dégâts environnementaux prennent tout leur sens. Or, à ce jour, la situation sur les atolls de Moruroa et de Fangataufa est très préoccupante. Le récit des visites sur place effectuées par notre collègue Richard Tuheiava est à ce titre édifiant.

On peut encore trouver au sol des résidus de plutonium radioactif et les anciens puits de tirs en ont été recouverts. Le lagon lui-même serait, selon diverses estimations, recouvert en surface de deux tonnes de plutonium.

Enfin, il existe un risque géomécanique majeur d’affaissement des platiers, identifiés notamment par le rapport Fairhurst.

Il appartient à la représentation nationale de reconnaître ces risques et de mettre en œuvre une stratégie pour les prévenir. Tel est l’objet de notre proposition de loi. Telle est aussi notre responsabilité morale à l’égard des populations des atolls voisins, qui sont pour la plupart habités.

C’est pourquoi nous proposons des dispositifs concrets, visant à une évaluation précise de la situation, mais aussi à la transparence de l’information.

Aujourd’hui, les populations voisines des atolls – y compris leurs élus – sont moins bien informées que ne le sont certains militaires de métropole ; ce n’est pas acceptable. Il faut « libérer » le travail des experts et en diffuser les résultats.

C’est dans cet esprit que nous proposons, à l’article 5 de notre proposition de loi, la création, à nos yeux indispensable, d’une commission nationale de suivi des essais nucléaires, placée auprès du Premier ministre. C’est en ce sens aussi que notre rapporteur a introduit en commission, avec beaucoup de justesse et de bon sens, la possibilité pour l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire de prendre des mesures sur place et de les rendre publiques.

Mais, bien sûr, notre texte va au-delà et revêt une valeur symbolique cruciale de réconciliation des Polynésiens avec leur territoire. Nous voulons que nos concitoyens de Polynésie française puissent se réapproprier leur propre histoire et leur propre territoire.

Voilà pourquoi l’article 1er de cette proposition de loi constitue un enjeu majeur : restituer enfin, seize ans après les dernières expérimentations nucléaires conduites par la France sur ces atolls, ces territoires à la Polynésie française.

L’Assemblée territoriale de Polynésie française a d’ailleurs pris une délibération en ce sens, et notre décision est extrêmement attendue. Il s’agit bel et bien de tourner une page, ouverte en 1960, et de la tourner ensemble, entre Français de métropole et Français de Polynésie, mais aussi et surtout entre Français d’aujourd’hui, modernes, conscients des conséquences environnementales désastreuses de ce que nous avons nous-mêmes fait, et respectueux du devoir sacré que nous partageons à l’égard de ces atolls, dont nous ne pouvons accepter le sacrifice définitif.

Rendre les atolls à la Polynésie française, c’est aussi, au passage, rendre à l’un d’eux son véritable nom, de manière que Mururoa, qui fut une erreur de prononciation, redevienne Moruroa, le « grand îlot », si je ne m’abuse, en langue polynésienne.

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