Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme l’on pouvait s’y attendre, la commission mixte paritaire réunie pour examiner le projet de loi de finances pour 2012 n’a pu parvenir à un accord sur un texte acceptable par les deux assemblées.
Ce désaccord ne nous inquiète pas, bien au contraire : il confirme que la majorité du Sénat a changé le 25 septembre dernier. Il est rassurant de constater que gauche et droite ne retiennent pas les mêmes options et que, dans le contexte actuel, l’orientation politique différente des deux assemblées ne peut que se traduire par des approches divergentes sur les questions des finances publiques et des choix budgétaires.
Les appels répétés à l’union nationale face à la crise sont un leurre, et votre politique constitue bien l’expression de choix clairs et partisans, madame la ministre.
Dans la logique qui anime le Gouvernement et les parlementaires de l’opposition sénatoriale, le projet de loi de finances pouvait fort bien se concevoir sur une ligne de partage entre réduction ou, pour le moins, maîtrise de la dépense publique, réduction du poids relatif des dépenses fiscales dans le produit de l’impôt et mise à contribution des collectivités locales, au travers d’un gel des dotations et de la création d’un dispositif de péréquation horizontale venant compléter la péréquation verticale des dotations de solidarité – on peut en effet se douter que ces dernières ne sont pas promises à la plus forte des évolutions dans les années qui viennent !
Ces orientations budgétaires visaient fondamentalement à prolonger l’effort de réduction des déficits, que la non-reconduction d’un certain nombre de dispositions mises en œuvre pour les seules années 2010 et 2011 rendait également plus aisée, de manière strictement comptable.
Dans son équilibre initial, le projet de loi de finances pour 2012 retenait la prévision d’un déficit approximatif de 80 milliards d’euros, somme largement corrigée par une hypothèse de croissance résolument optimiste que les plus récentes études de l’INSEE rendent désormais caduque, puisque nous devrions, d’ici à l’élection présidentielle, entrer dans une période de récession, s’il faut en croire ce que l’on nous annonce.
Il est fort probable d’ailleurs que cette récession a déjà commencé, et que le ralentissement de l’activité entraînera à son tour une contraction de l’emploi, en commençant par réduire le nombre de contrats de courte durée et l’emploi intérimaire, avant de provoquer une stagnation, sinon une baisse des recettes fiscales, laquelle ne sera bien entendu pas sans effets sur l’exécution du budget.
D’une certaine manière, cette récession annoncée et palpable constitue le point d’orgue d’un quinquennat présidentiel où nous aurons toujours couru après la croissance et l’activité, sans jamais rencontrer autre chose qu’une crise économique d’un tour nouveau.
Nous avons, pour notre part, toujours nié que la crise se serait déclenchée en 2008. La surchauffe financière de l’été 2008 et sa réplique actuelle, cette crise de la dette obligataire des États européens venus au secours de leurs secteurs financier et bancaire, ne sont pas le fait isolé d’une simple économie financiarisée qui se serait développée « hors sol », dans une espèce de quatrième dimension.
Elles ne constituent que la queue de la comète, mes chers collègues, la comète de la dérégulation des marchés financiers, que nous avons largement favorisée, en France, depuis les années quatre-vingt. Je pense en particulier à la loi bancaire de 1984, qui ne faisait que prolonger les ruptures de l’été soixante-neuf, quand Richard Nixon, président des États-Unis, suspendait la parité de l’or et du dollar pour financer, notamment, l’aventure vietnamienne.
Vous le voyez, mes chers collègues, nos maux ont des causes structurelles, mais aussi historiques. Souvenez-vous : en 1973, à quelques jours de distance, le ministre de l’économie et des finances d’alors, un certain Valéry Giscard d’Estaing, mettait un terme au droit du Trésor public de solliciter la « planche à billets » pour se refinancer, puis inventait l’un des plus remarquables produits financiers qui aient jamais été proposés à l’épargne publique, le fameux « 7 % » de janvier 1973 ! À l’époque, l’État émit pour 6, 5 milliards de francs, valeur 1973. Dans quel but ? Tout simplement pour compenser une moins-value de recettes fiscales liée à une certaine latence dans l’application et la généralisation de la TVA…
Souvenons-nous aussi qu’une bonne partie de l’emprunt Balladur de 1993 fut consacrée au financement de la suppression du fameux décalage d’un mois de la TVA !
L’avantage de ces petits rappels, c’est qu’ils nous montrent à l’envi que ce qui creuse les déficits publics réside fondamentalement dans la réduction des recettes fiscales, une réduction qui est devenue en quelque sorte la marque principale des politiques publiques depuis quelques années.
La majorité de gauche du Sénat a, dans sa grande sagesse, contrairement à ce que vous pouvez prétendre, madame la ministre, mis en évidence que la mobilisation de recettes fiscales nouvelles était l’une des conditions de la réduction des déficits et, surtout de l’engagement d’une nouvelle politique dans l’intérêt de notre pays et de nos concitoyens.
Oui, nous réaffirmons ici haut et clair qu’il existe bel et bien une autre politique.
Rendre toute son efficacité à l’impôt de solidarité sur la fortune, améliorer la qualité de notre impôt sur le revenu, supprimer une bonne part des dispositifs incitatifs qui polluent et pervertissent l’impôt sur les sociétés, tout cela était contenu dans le projet de loi de finances pour 2012 tel qu’il avait été voté par la majorité sénatoriale.
Que ces apports déterminants du travail sénatorial ne figurent aucunement dans le texte adopté par l’Assemblée nationale est sans doute regrettable, mais il ne doit pas nous faire oublier deux choses.
D’abord, il est finalement plutôt cocasse que ceux qui n’ont pas de mots assez forts pour vouloir réduire les déficits – comprenez le plus souvent en réduisant les dépenses publiques sans préciser forcément lesquelles, bien entendu – ont dû se remettre à l’ouvrage pour l’accroître de nouveau...
Ensuite, que deux conceptions des finances publiques aient finalement été exposées et validées par les deux assemblées constitue somme toute un élément clé du débat public.
Le vrai vote sur le projet de loi de finances pour 2012 n’a pas forcément lieu aujourd’hui, mes chers collègues. Il est même probable qu’il n’aura lieu dans le pays qu’entre avril et juin prochains, entre le premier tour de l’élection présidentielle et le second tour des élections législatives, c’est-à-dire que nous voterons aujourd’hui la motion tendant à opposer la question préalable déposée par la commission des finances sur le texte revenant de l’Assemblée nationale, en l’attente du jugement citoyen qui nous amènera à un travail de réécriture du texte aujourd’hui rejeté par le Sénat.
Et, comme le veut l’usage, je dis mille mercis aux fonctionnaires du Sénat, collaborateurs du groupe et assistants parlementaires, pour leur concours à la qualité de cette discussion enfin menée à son terme !