Intervention de Esther Benbassa

Réunion du 23 janvier 2012 à 15h00
Répression de la contestation de l'existence des génocides — Adoption définitive d'une proposition de loi

Photo de Esther BenbassaEsther Benbassa :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est en pensant à la préceptrice arménienne qui m’apprit le français à Istanbul et à la famille Papazian, avec laquelle j’ai grandi dans le même immeuble, que j’ai rédigé cette intervention.

J’ai ressenti tôt, enfant, cette atmosphère lourde des maisons arméniennes, effet diffus et continu d’une souffrance intime, sans remède, méconnue.

Les Arméniens, contrairement aux Juifs, n’ont pas eu leur Nuremberg. Par la loi du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915, la France a un peu comblé ce manque. Mais c’est seulement lorsque la Turquie franchira elle-même ce pas que justice sera faite. §Cela, nul ne peut le faire à la place de la Turquie, lieu du crime !

L’utilisation des mots prête parfois à des débats, tantôt vains, tantôt indignes. Construit sur le grec genos, qui signifie « race », et le latin caedes, qui signifie « meurtre, massacre », le mot « génocide » a été créé en 1944 par Richard Lemkin, un avocat juif ayant perdu toute sa famille dans les années noires. C’est sa connaissance du génocide arménien de 1915 et des persécutions antijuives qui l’a conduit à définir le génocide comme « tout plan méthodiquement coordonné pour détruire la vie et la culture d’un peuple et menacer son unité biologique et spirituelle ».

Un génocide a bien été perpétré par les Jeunes-Turcs, aidés par des Kurdes dans l’exécution des massacres, même si certains de ces derniers refusèrent de collaborer et abritèrent des survivants. Aucun historien sérieux ayant travaillé sur les minorités pendant la période ottomane ne peut nier ce fait.

Si la Turquie tarde tant à reconnaître le génocide, c’est parce qu’elle n’a jamais été dans la position de l’Allemagne vaincue de 1945, qui ne put qu’admettre ses crimes. C’est aussi parce que la nation turque moderne s’est de fait construite sur l’éradication de la présence non musulmane en Anatolie, où bat son cœur.

Certes, l’histoire des relations de l’Empire ottoman et de la Turquie avec ses minorités non musulmanes ne se résume pas à ce génocide, ni aux pogroms et déportations de la République nationaliste. Elle est tout autant l’histoire de l’accueil de ces minorités et d’une pluriséculaire tolérance à leur endroit. Reste que la Turquie se doit d’écrire aussi les pages noires de son passé.

Or la société civile turque bouge dans ce sens depuis un moment, en contournant l’État.

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