Intervention de Bernard Piras

Réunion du 23 janvier 2012 à 15h00
Répression de la contestation de l'existence des génocides — Adoption définitive d'une proposition de loi

Photo de Bernard PirasBernard Piras :

Ce texte irait à l’encontre des relations franco-turques ? Au contraire, les relations fortes qui lient nos deux pays ne peuvent s’établir sur des tabous, sur des non-dits... La franchise est une preuve de confiance. Je regrette sincèrement que l’évocation du génocide arménien constitue aujourd’hui une infraction pénale en Turquie. Le gouvernement turc n’a donc même pas une position neutre sur cette question. C’est bien la particularité de ce génocide.

Il faudrait laisser travailler les historiens ? Ces derniers ont eu un siècle pour se pencher sur ces événements. Ils ont peut-être rencontré des difficultés pour accéder à toutes les archives ; cependant, les travaux reconnus par tous et publiés concordent s'agissant de la portée de ces événements. En outre, lorsqu’un grand historien turc – Taner Aksham –confirme par écrit la réalité et l’importance de ce génocide, il est poursuivi par la justice turque... Le rôle des historiens est d’établir la réalité des faits. Or, d’après tout ce que j’ai pu lire comme d’après tout ce que j’ai entendu aujourd'hui dans cet hémicycle, ce qui s’est passé en 1915 est désormais bien établi...

La France serait le seul pays à agir ainsi ? C’est inexact, puisque près de trente États et institutions ont également reconnu le génocide arménien ; certains ont même adopté des dispositions pénales sanctionnant la négation de ce génocide. En outre, la sensibilité de notre pays à l’égard des droits de l’homme est tout à son honneur.

Il n’existerait pas actuellement en France de trouble à l’ordre public en lien avec cette question ? C’est faux, comme en témoignent les diverses exactions, certes peu médiatiques mais bien réelles, qui ont été commises sur notre territoire ; je ne mentionnerai entre autres que quelques cas survenus dans les régions lyonnaise et valentinoise. N’oublions pas en outre le rôle avant tout préventif de la sanction pénale.

En revanche, les arguments plaidant pour l’adoption de cette proposition de loi me paraissent particulièrement pertinents.

Notre droit souffre d’un vide juridique ; reconnaître l’existence d’un génocide sans permettre de sanctionner sa négation n’aurait pas de sens. C’est pourtant ce que souhaitent les opposants à ce texte.

De même, pourquoi sanctionner en France la négation de la Shoah et non celle du génocide arménien ? C’est une question de logique et de justice. Je ne vois pas qui pourrait se satisfaire de la situation actuelle. Le peuple arménien ne saurait pâtir de ce que, à l’époque des faits incriminés, aucune juridiction internationale n’existait pour condamner les auteurs de ce génocide. Ajouter de l’injustice à une injustice ne peut guider notre action politique ! Je m’insurge contre l’établissement de toute comparaison ou hiérarchie entre les génocides. Il est donc évident que notre engagement ne peut se limiter à certains génocides et que nous devons rester vigilants.

Le génocide arménien est une réalité ; les actes perpétrés répondent à la définition internationale du génocide : extermination physique, intentionnelle, systématique et programmée d’un groupe ou d’une partie d’un groupe en raison de ses origines ethniques, religieuses ou sociales. Je n’ai d’ailleurs pas le souvenir d’avoir entendu ou lu, dans le cadre des débats qui se sont déroulés depuis une dizaine d’années au Parlement, que la réalité des faits est contestée.

La Turquie elle-même n’a pas toujours contesté la réalité de ce génocide : le gouvernement démocratique de Ferid Pacha a ainsi reconnu son existence, la cour martiale de Constantinople ayant, en 1919, condamné à mort ses auteurs. Cette position me paraît d’autant plus forte que, d’une part, elle émane des autorités de l’État concerné, et que, d'autre part, elle a été prise juste après les événements incriminés. La portée de ces jugements, qui bénéficient de l’autorité de la chose jugée, est systématiquement oubliée alors qu’elle me paraît plus importante que l’absence de juridiction internationale à l’époque.

Sanctionner la négation d’un génocide est bien une action politique. En votant cette proposition de loi, nous jouons pleinement notre rôle de parlementaire, nous ne nous égarons pas, mes chers collègues. Dans quelques années, nous serons fiers d’avoir contribué à cet acte politique empli de justesse et d’humanité.

Au regard de ces éléments, le refus de voter la présente proposition de loi me semble incohérent. Ceux qui se figent dans cette position n’en tirent pas les conclusions qui s’imposent. La loi du 29 janvier 2001 se veut uniquement déclarative ; il lui manque un aspect normatif. Autrement dit, l’absence d’outils juridiques dans l’arsenal législatif français empêche le juge de sanctionner la méconnaissance des termes de cette loi, en vertu du principe de légalité des incriminations et des peines. Le juge se trouve ainsi démuni, puisqu’il ne peut faire respecter une loi. Cette proposition de loi vise à mettre un terme à cette situation.

À partir du moment où nous partageons tous le même sentiment, à savoir que les évènements de 1915 constituent bien un génocide, aucune raison objective ne peut légitimer le refus de voter la présente proposition de loi. J’ai donc la certitude que, en votant ce texte, nous ferons œuvre de conviction, de courage et de cohérence dans l’action politique. J’espère sincèrement que la majorité des sénateurs partageront ce sentiment. Je compte sur vous, mes chers collègues ! §

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion