Intervention de Bariza Khiari

Réunion du 13 février 2012 à 15h00
Exploitation numérique des livres indisponibles du xxe siècle — Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire

Photo de Bariza KhiariBariza Khiari, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons plusieurs raisons d’être fiers du texte que nous proposons aujourd’hui au Sénat d’adopter. Cette proposition de loi vise, je le rappelle, à permettre d’exploiter sous format numérique en toute sécurité et légalité un vaste pan de notre patrimoine écrit du XXe siècle.

Un nombre considérable d’œuvres, encore sous droits, ne sont plus disponibles sur papier. En théorie, il faudrait revoir les contrats d’édition de chacune d’entre elles pour obtenir le droit de les exploiter numériquement. Les acteurs de la filière se sont longuement concertés pour aboutir à une solution respectueuse des droits des auteurs et permettant de relever le défi de la société de l’information dont nous appelons de nos vœux l’émergence. Dès lors, il appartenait au législateur d’élaborer et d’autoriser un nouveau dispositif de gestion collective.

Au terme d’une procédure législative d’urgence – pour une fois, monsieur le ministre, déclarer l’urgence était légitime eu égard aux enjeux –, nous sommes parvenus à un accord satisfaisant.

Permettez-moi de revenir sur les motifs qui justifient le sentiment de fierté de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.

D’abord, ce texte est d’origine sénatoriale. À cet égard, je tiens à féliciter son auteur, M. Jacques Legendre, de son initiative.

Cette proposition de loi règle une question qui ne pouvait être résolue autrement que par la voie législative : la solution contractuelle, qui impliquait une renégociation de tous les contrats d’édition antérieurs à 2001, était matériellement inenvisageable pour les éditeurs. La loi permettra donc de remédier à un problème réel, celui de l’impossibilité, pour les acteurs, de donner au public accès à une offre culturelle très vaste, mais indisponible dans le commerce sous forme imprimée.

Ce texte est très novateur sur le fond : grâce à lui, la France est le premier pays susceptible de rendre publique une version numérique des livres du XXe siècle qui ne sont pas tombés dans le domaine public. Cela constitue une alternative au projet Google Books de numérisation de l’ensemble du patrimoine écrit.

Il est essentiel, aux yeux du législateur, de garantir et de préserver efficacement le droit d’auteur. Le dispositif ainsi créé permet de concilier deux impératifs, parfois antagonistes : protéger le droit d’auteur et rendre les œuvres de l’esprit accessibles au plus grand nombre.

Enfin, ce texte est consensuel : il fait en effet suite à une large concertation entre l’ensemble des acteurs, qui ont signé un accord-cadre, lequel a fait l’objet d’une discussion parlementaire approfondie et constructive ayant permis de répondre à la question de la titularité des droits des œuvres indisponibles.

Bref, je suis heureuse de vous présenter une proposition de loi d’origine sénatoriale nécessaire, innovante, rassembleuse et aujourd’hui aboutie.

Après la première lecture du texte au Sénat, qui avait abouti à des transformations assez substantielles de la rédaction, l’Assemblée nationale avait encore apporté des modifications sur plusieurs points.

Ainsi, à l’article 1er, la disposition prévoyant que les auteurs devaient percevoir davantage de droits que les éditeurs avait disparu.

La mention de recherches « avérées et sérieuses » des titulaires de droits par la société de gestion avait été supprimée, au motif que le débat sur la directive européenne relative aux œuvres orphelines risquait de se trouver préempté.

L’idée de prévoir la présence d’un commissaire du Gouvernement aux assemblées délibérantes des sociétés agréées n’avait pas été retenue.

Enfin, le nouvel article L. 134-8 du code de la propriété industrielle introduit par le Sénat avait été supprimé. Il visait à traiter le cas spécifique des livres indisponibles pour lesquels aucun ayant droit n’a été trouvé après dix ans de recherches et à permettre de faciliter la mise à disposition gratuite de ces livres auprès du public, notamment par les bibliothèques.

Par ailleurs, l’article 1er bis, définissant les œuvres orphelines, avait lui aussi été supprimé par l’Assemblée nationale.

Je crois que nous pouvons aujourd’hui adopter ce texte sans peur ni doute : il ressemble très fortement à celui que le Sénat a voté il y a quelques semaines.

En effet, la disposition protégeant la rémunération des auteurs a été réinsérée par la commission mixte paritaire. Un compromis sur la mise en place de moyens probants afin de rechercher les ayants droit a été trouvé. Un renforcement pertinent des missions de la commission permanente de contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits a été substitué à la présence d’un commissaire du Gouvernement aux assemblées de la Société de perception et de répartition des droits, la SPRD. L’article L. 134-8 est réapparu dans une nouvelle version, sans doute moins maximaliste que celle d’origine, afin que les bibliothèques puissent mettre librement à disposition du public une version numérique des livres orphelins qu’elles détiennent, cette mise à disposition étant à la fois in situ et hors les murs, par abonnement et grâce aux nouvelles technologies. Mme Dominique Gillot, ardente avocate des bibliothèques, a soutenu avec beaucoup d’enthousiasme et de persévérance cette extension de « l’exception bibliothèque ».

Ce dispositif permet d’aligner la question de l’exploitation des œuvres orphelines sur celle des œuvres relevant du domaine public. Ce basculement ne pourra se faire qu’au terme de dix ans de gestion collective, durée pendant laquelle la SPRD aura effectué des recherches probantes pour retrouver les ayants droit. Si un ayant droit s’est déclaré au terme des dix ans, l’œuvre perdra de facto son statut d’œuvre orpheline. Ce mécanisme ne figure pas dans l’accord-cadre signé par le ministère, le Commissariat général à l’investissement, le Syndicat national de l’édition, la Société des gens de lettres et la Bibliothèque nationale de France : il résulte clairement d’une volonté législative propre. Le Parlement n’est pas une chambre d’enregistrement ; il est une institution souveraine à l’écoute d’aspirations parfois contradictoires, portées par des acteurs aux intérêts différents. Nous sommes pleinement conscients que ce dispositif est sans précédent, mais il ne s’agit en aucun cas d’une remise en cause du droit d’auteur. Je rappelle que, désormais, l’œuvre orpheline est justement, par définition, une œuvre dont on ne retrouve pas les ayants droit.

Par ailleurs, un compromis a été trouvé pour que les « irrépartissables » soient davantage fléchés vers la promotion de la lecture publique.

Enfin, et c’est un dernier motif de satisfaction pour le Sénat, la définition des œuvres orphelines a été réintroduite. Cette définition, présentée l’an passé par Marie-Christine Blandin dans le cadre de la discussion d’une proposition de loi relative aux œuvres visuelles orphelines et modifiant le code de la propriété intellectuelle, avait été adoptée à l’unanimité tant par la commission que par le Sénat. L’introduction de cette définition ne relève pas seulement d’une question d’opportunité. Il était utile, au regard du mécanisme prévu par le dispositif de l’article L. 134-8, d’établir une telle définition, tout en ayant bien conscience que celle-ci pourra évoluer ultérieurement, en fonction de la teneur d’une prochaine directive européenne portant sur cette question.

Le texte issu des travaux de la CMP conforte les positions défendues par le Sénat. Il représente avant tout une victoire pour la culture. Il mettra à portée de « clic » les livres indisponibles du XXe siècle. Il concilie les deux objectifs, parfois contradictoires, qui avaient été initialement fixés : la protection des auteurs et la promotion de l’accès de tous à toutes les œuvres.

Je ne doute pas un instant de votre adhésion à ces principes, mes chers collègues ; je ne doute pas un instant que vous adopterez le texte élaboré par la commission mixte paritaire.

Alors que nous arrivons au terme de la navette parlementaire, je tiens à remercier l’ensemble de mes collègues de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Nous avons su, durant les débats en commission et au sein de l’hémicycle, faire preuve de respect pour les opinions divergentes, mais aussi écouter l’ensemble des acteurs intervenant dans ce domaine, tout en conservant un esprit d’initiative, pour proposer des solutions originales et innovantes sur nombre de sujets.

Je tiens aussi à remercier M. Hervé Gaymard, rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, ainsi que nos collègues députés qui ont eu à cœur de faire avancer l’élaboration de ce texte et de conserver une attitude conciliante lors des débats. Nous avons ainsi pu aboutir sans encombre à une rédaction commune.

Notre objectif commun était de rendre la culture plus accessible et de favoriser l’enrichissement intellectuel de nos concitoyens. Nous y sommes parvenus à travers ce texte.

C’est donc au nom de l’intérêt général et de l’ambition que l’on peut avoir en matière de culture pour tous que la commission vous invite vivement à adopter le texte issu des travaux de la CMP. §

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