Intervention de Catherine Morin-Desailly

Réunion du 13 février 2012 à 15h00
Exploitation numérique des livres indisponibles du xxe siècle — Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une fois de plus, la Haute Assemblée montre tout son attachement à la culture, en nous proposant d’adopter un texte qui permettra l’exploitation numérique des livres indisponibles. Face au bouleversement que provoque l’arrivée massive du numérique dans le monde de la culture, notamment la numérisation « sauvage » opérée par certains groupes internationaux dans le plus grand mépris du droit d’auteur, il est de notre devoir de législateur d’apporter une réponse qui permettra de sécuriser cette démarche, tant pour la création que pour la diffusion.

Nous nous étions déjà emparés de ce sujet en octobre 2009, lorsque nous avons débattu du « projet » de numérisation des fonds de la BNF par Google. Nous avions tous conclu que si la promesse d’offrir « tous les livres pour chaque lecteur » était certes bien alléchante, sa contrepartie ne pouvait pour autant être le contrôle d’une bibliothèque universelle par des intérêts privés peu scrupuleux.

Alors que le Syndicat national de l’édition estime que 100 000 œuvres sous droits sont actuellement accessibles sur Google Books et que la vente d’ebooks et d’audiobooks progresse doucement, il me semble d’ores et déjà important d’adopter cette proposition de loi, afin d’éviter que le secteur du livre ne connaisse le même retard que celui de la musique.

Cette démarche devrait aussi permettre de mobiliser les éditeurs, afin qu’ils proposent très rapidement une importante offre légale française, laquelle pourra alors, dans un –souhaitable – cadre élargi à l’Europe, rivaliser avec le marché américain.

Je tiens à souligner que le texte que nous examinons aujourd'hui est l’aboutissement d’un travail parlementaire fourni et consensuel.

C’est à Jacques Legendre que nous devons l’initiative de la création d’une société de perception et de répartition des droits pour gérer les droits numériques des œuvres indisponibles, qui va permettre de donner une seconde vie à des œuvres littéraires.

Sa proposition de loi a ensuite été améliorée par le travail approfondi du rapporteur, Mme Khiari, dont je salue l’investissement.

Malgré quelques divergences avec nos collègues députés, nous sommes parvenus, lors de la commission mixte paritaire, à trouver un équilibre entre la protection du droit d’auteur, selon moi imprescriptible, et l’accès du public aux œuvres, selon moi indispensable. Si, comme je l’espère, nous adoptons ce texte, ses dispositions devraient pouvoir satisfaire tous les acteurs de la chaîne du livre.

Mme le rapporteur ayant exposé les mesures techniques, je concentrerai mon propos sur quelques points.

De manière générale, ce texte respecte parfaitement les intérêts de chacun, puisqu’il permet au public d’accéder à des œuvres devenues presque introuvables tout en entourant la numérisation des livres indisponibles des garanties nécessaires en sanctuarisant les droits des auteurs et des éditeurs : ainsi, l’auteur peut refuser l’exploitation collective, il peut retirer son livre s’il considère qu’il fait du tort à sa réputation, et si les ayants droit ne sont pas connus, la SPRD aura dix ans pour les rechercher.

Je suis également satisfaite de l’accord trouvé sur la répartition financière des droits entre auteurs et éditeurs : tout en laissant une marge d’action au sein de la SPRD, elle protège les auteurs.

S’agissant de l’article 1er bis, qui définit les œuvres orphelines, je sais qu’il satisfait la présidente de la commission de la culture. J’étais pour ma part plus réservée, car si le texte fixe une définition, il ne crée pas de statut juridique. La Commission européenne préparant actuellement une directive sur ce sujet, j’estime qu’il aurait peut-être été préférable d’attendre. Cela étant dit, on peut espérer que, comme pour le prix du livre numérique, la France pourra ainsi être en pointe dans ce domaine…

Je tiens ensuite à m’arrêter sur le texte proposé à l’article 1er de la proposition de loi pour l’article L. 134-8 du code de la propriété intellectuelle, point délicat qui a fait l’objet de longs débats en commission mixte paritaire.

Dans la rédaction proposée, il s’agit uniquement d’autoriser les bibliothèques publiques à mettre à disposition de leurs abonnés les ouvrages indisponibles dont les ayants droit n’auront pas été trouvés par la SPRD après dix ans de recherches par des « moyens probants ».

Cette rédaction me semble répondre aux inquiétudes de tous les acteurs, en encadrant les possibilités de consultation. Elle porte également la marque de la réflexion sénatoriale sur l’évolution des pratiques, notamment celles des bibliothèques, bien souvent devenues des médiathèques.

Au-delà de ces considérations, techniques mais importantes, si quelques doutes subsistaient, il conviendrait de remettre les décisions que nous prenons aujourd'hui en perspective.

En effet, nous devons tous avoir à l’esprit, en fixant un délai de recherche des ayants droit de dix ans, qu’il n’est pas possible de savoir à coup sûr ce qu’il se passera à cette échéance. L’univers numérique évolue si rapidement ! Qui peut affirmer que, dans dix ans, les mêmes modèles, notamment économiques, vaudront toujours ? D’ici là, nous ne pourrons faire l’économie d’une réflexion encore plus approfondie sur la place des auteurs, des éditeurs, des libraires et des bibliothécaires à l’heure du numérique.

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