Intervention de Cécile Cukierman

Réunion du 13 février 2012 à 15h00
Exploitation numérique des livres indisponibles du xxe siècle — Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire

Photo de Cécile CukiermanCécile Cukierman :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voter une loi relative à l’exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle est utile, et sans doute même nécessaire. Elle permettra en effet d’éviter que des livres dont la réédition ne serait pas rentable économiquement ne sombrent dans l’oubli faute de moyens juridiques autorisant leur exploitation numérique.

Cependant, alors que le droit d’auteur est particulièrement fragilisé par le développement de nouveaux modes de diffusion numérique, l’exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle doit s’opérer dans le respect des droits moraux et patrimoniaux des auteurs.

À ce titre, la présente proposition de loi constitue une protection souhaitable contre les tentatives de spoliation de grandes entreprises comme Google, davantage intéressées par le potentiel commercial des œuvres que par le respect de leurs créateurs, ce qui les a d’ailleurs conduites à numériser massivement des livres sans recueillir le consentement préalable des ayants droit.

Si cette démarche a été condamnée par le juge américain, il n’en reste pas moins utile de prévoir un cadre légal respectueux tant des intérêts du public que de ceux des auteurs, afin de prévenir toute nouvelle tentative de récupération commerciale bafouant le droit d’auteur.

Nous avions, lors de l’examen en première lecture de cette proposition de loi par le Sénat, voté en faveur de la création d’une société de gestion collective pour les œuvres indisponibles du XXe siècle, dans la continuité de l’accord du 1er février 2011 signé entre le ministre de la culture, la Société des gens de lettres et le Syndicat national de l’édition.

Nous avions néanmoins alors formulé un certain nombre de critiques d’ordre général ; je n’y reviendrai pas dans le détail, mais je veux néanmoins rappeler les principales d’entre elles, qui peuvent encore s’appliquer à la nouvelle version du texte.

Ainsi, les garanties accordées aux auteurs nous semblent insuffisantes sous bien des aspects. Alors qu’aucun accord préalable de l’auteur ou de l’éditeur n’est requis, ni aucun consentement exprès de leur part avant numérisation, ils ne disposent que de six mois pour signifier leur opposition à celle-ci. Ce délai est d’autant plus court qu’il n’est pas prévu d’instituer d’obligation d’informer les auteurs et les éditeurs de leur inscription dans le registre de la société de gestion collective. Il leur appartient donc de s’informer eux-mêmes de leur éventuelle inscription avant d’exercer, le cas échéant, leur droit d’opposition à la reproduction de l’œuvre par la société de gestion collective. La SGDL affirme qu’elle se chargera d’informer les auteurs, mais il ne s’agira pas d’une obligation et tous les auteurs ne seront pas couverts. C’est à nos yeux une des faiblesses de la proposition de loi.

Nous nous étions par ailleurs interrogés sur la portée réelle de ce texte, car, à la suite des procès engagés contre Google, des accords de numérisation ont finalement été conclus entre de grands éditeurs français et l’entreprise américaine.

J’en viens à la nouvelle version de la proposition de loi, issue du compromis entre l’Assemblée nationale et le Sénat élaboré en commission mixte paritaire.

Tout d’abord, je me félicite du choix qui a été fait d’inscrire dans le texte la définition des œuvres orphelines. Cela anticipe finalement sur la directive européenne prévue depuis deux ans et dont on ne cesse de nous promettre l’adoption prochaine.

Notre pays a souvent agi en précurseur dans le domaine culturel, anticipant ou influençant les décisions européennes. Nous nous inscrivons ainsi dans cette tradition, fidèles en cela au principe de l’exception culturelle, que la France doit toujours défendre.

La discussion s’est cependant concentrée sur un autre point, à juste titre étant donné l’importance de celui-ci : la gratuité de reproduction et de diffusion numériques des œuvres indisponibles pour les bibliothèques publiques.

Le texte issu des travaux de la CMP affirme cette gratuité, mais l’encadre en limitant l’accès à ces œuvres aux seuls abonnés de la bibliothèque, seuls les livres conservés dans son fonds et pour lesquels, dix ans après la première autorisation d’exploitation, aucun titulaire de droits de reproduction n’a été retrouvé étant en outre concernés. De surcroît, la gratuité n’est autorisée que dans la mesure où les bibliothèques ne cherchent à en tirer aucun avantage économique et commercial et où le titulaire des droits de reproduction peut obtenir à tout moment le retrait immédiat de l’autorisation de diffusion gratuite.

Cette disposition, vivement défendue par les bibliothécaires, est en revanche critiquée par la SGDL. Cette dernière considère que la création d’une nouvelle exception au droit d’auteur contribuerait à le fragiliser alors qu’il est déjà remis en cause à l’échelon européen et international.

Ce risque ne nous paraît pas négligeable. Si nous comprenons que les bibliothécaires soient animés par la volonté d’assurer la diffusion la plus large possible, nous ne souhaitons pas voir affaiblir le droit d’auteur. Nous devons donc agir avec prudence, dans le souci de l’intérêt général.

L’examen de cette proposition de loi a surtout fait apparaître la nécessité d’ouvrir un débat exclusivement consacré à la numérisation des livres des bibliothèques et des médiathèques, sujet aussi important que complexe qui exige une réflexion approfondie.

En l’état, la rédaction retenue par la CMP ne nous semble pas ouvrir de brèche dans la garantie des droits des auteurs, car la gratuité ne concernera que les livres indisponibles dont les auteurs et ayants droit n’ont, justement, pas été retrouvés. Le groupe CRC votera donc en faveur de l’adoption de ce texte. §

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