Intervention de Roselyne Bachelot-Narquin

Réunion du 16 février 2012 à 15h00
Égalité salariale entre les hommes et les femmes — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Roselyne Bachelot-Narquin, ministre :

Je partagerai volontiers le constat de Michelle Meunier : les partenaires sociaux ne se sont pas vraiment saisis de cette question, pourtant capitale.

Il s’agit du quatrième thème de négociation au niveau de la branche. Nous avons constaté que le nombre d’accords déclaratifs était en diminution et qu’un réel effort était fait dans la programmation d’actions concrètes en matière d’égalité professionnelle et salariale.

Le constat est donc en demi-teinte. Entre 2007 et 2010, la part des accords étendus faisant l’objet d’une réserve de la part de l’administration a diminué de moitié : en 2007, 86 % des accords étaient étendus avec réserve, contre seulement 46 % en 2010. Toutefois, en 2011, la direction générale du travail a refusé l’extension de deux accords de branche qui se contentaient de rappeler les dispositions légales.

N’oublions pas le rôle joué par le réseau des présidents de commissions mixtes paritaires, qui apporte un soutien en fournissant des précisions sur le thème de l’égalité professionnelle et salariale aux branches négociant sur le sujet.

Au niveau de l’entreprise, plus de 2 124 accords ont été signés en 2010 par les délégués syndicaux ou les salariés mandatés, ce qui place l’égalité professionnelle au sixième rang des thèmes de négociation. Le nombre d’accords est assez variable suivant les années, avec 2 522 accords en 2009, 1 723 en 2008 et 1 214 en 2007. Les évolutions se font donc avec une assez grande amplitude selon les années.

La loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites, qui a été évoquée par les trois oratrices précédentes, institue, à compter du 1er janvier 2012, une pénalité financière pour les entreprises d’au moins 50 salariés qui ne sont pas couvertes par un accord collectif - un accord d’entreprise et non de branche -, ou, à défaut d’accord, par un plan d’action relatif à l’égalité professionnelle.

Cette pénalité, qui constitue un mécanisme unique en Europe, peut atteindre jusqu’à 1 % des rémunérations et gains versés aux travailleurs salariés ou assimilés.

Les modalités de contrôle du dispositif prévues par le décret d’application du 28 octobre 2011 ont été précisées dans une circulaire du même jour.

Première étape, l’autorité administrative, c'est-à-dire l’inspecteur ou le contrôleur du travail, vérifie l’existence d’un accord ou, à défaut, d’un plan d’action d’une entreprise entrant dans le champ d’application de la pénalité.

Lors du contrôle de l’entreprise, l’agent doit vérifier que l’accord ou le plan d’action intégré au rapport contient effectivement des objectifs de progression, des actions permettant de les atteindre et des indicateurs chiffrés de suivi. Selon la taille de l’entreprise, cela porte sur deux ou trois des huit domaines d’actions suivants : embauche, formation, promotion professionnelle, qualification, classification, conditions de travail, rémunération effective, articulation entre vie professionnelle et vie familiale.

Deuxième étape, l’entreprise dispose de six mois pour négocier ou compléter son accord collectif sur l’égalité professionnelle ou, à défaut d’accord, pour établir ou améliorer son plan d’action. Ces documents sont transmis à l’inspecteur ou au contrôleur du travail par lettre recommandée avec accusé de réception. Cette période permet de donner le temps à l’entreprise de mettre en place des actions efficaces, opérationnelles et suivies en faveur de l’égalité.

Troisième étape, pour les entreprises qui n’auraient pas régularisé la situation, c’est la DIRECCTE, sur la base des éléments transmis par l’inspecteur du travail, qui fixe le taux de la pénalité. Le taux de 1 % est un maximum et il sera possible de moduler en fonction de la situation objective de l’entreprise.

À ce jour, il est trop tôt pour faire une évaluation du dispositif, qui n’est entré en vigueur, je le rappelle, que le 1er janvier dernier.

En matière d’égalité salariale entre les femmes et les hommes, il y a donc eu des avancées réelles.

Cela étant, je l’ai dit devant la délégation, l’enjeu aujourd’hui n’est pas d’élaborer de nouvelles lois. Nous avons un corpus législatif qui est l’un des plus complets, sinon le plus complet parmi ceux des pays comparables au nôtre.

J’en viens à la proposition de loi, qui est composée d’un article unique comportant quatre alinéas.

Le deuxième alinéa prévoit de sanctionner l’absence d’accord collectif en faveur de l’égalité salariale. Ainsi, toute entreprise qui ne serait pas couverte, à compter du 1er janvier 2013, par un accord visant à définir et programmer les mesures permettant de supprimer les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes se verrait ôter le bénéfice des allégements et exonérations de cotisations sociales prévus par le code de la sécurité sociale, ainsi que des réductions d’impôt prévues par le code général des impôts.

Cet alinéa fixe donc une obligation de conclure un accord, sans possibilité de passer par un plan unilatéral. À défaut d’accord, la totalité des exonérations serait supprimée.

Je tiens à dire qu’une telle sanction serait inconstitutionnelle au regard des principes de liberté conventionnelle et de proportionnalité des sanctions.

Par ailleurs, un tel dispositif est redondant, puisque la proposition de loi ne supprime pas pour autant la pénalité de 1 % de la masse salariale issue de la loi portant réforme des retraites pour les entreprises non couvertes à compter du 1er janvier 2012 par un accord ou un plan d’action.

À la différence du dispositif issu de la loi portant réforme des retraites qui exige – je l’ai rappelé – que les accords aient un contenu précis pour satisfaire à l’obligation légale, la proposition de loi est silencieuse sur ce point. Ainsi, un accord purement déclaratif pourrait exonérer l’entreprise de la suppression des cotisations, ce qui n’est pas le cas pour la pénalité de 1 %.

Le dispositif est également redondant, car le délit d’entrave est toujours dans notre panoplie, qui punit d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende le non-respect de l’obligation annuelle de négocier sur l’égalité entre les femmes et les hommes prévue à l’article L. 2243-2 du code du travail.

En outre, le mécanisme de conditionnalité des allégements de charges prévu par la proposition de loi reposerait en pratique sur la déclaration par l’employeur du non-respect de son obligation de négocier sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, au plus tard lors de la remise du tableau récapitulatif adressé aux URSSAF l’année suivante.

Il ferait reposer sur les inspecteurs des URSSAF la charge du contrôle du respect d’obligations du code du travail et nécessiterait la mise en place d’une procédure complexe d’échanges entre les services des unités territoriales qui enregistrent les accords, les services de l’inspection du travail compétente pour contrôler le respect des obligations légales et les services des URSSAF.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’entre dans les détails techniques, mais il faut bien mesurer, me semble-t-il, le poids des obligations qui seraient imposées aux entreprises.

Enfin, le poids des allégements et exonérations sociales variant fortement selon les secteurs – faible dans l’industrie, élevé dans les services, notamment dans le commerce – et la taille de l’entreprise, la sanction risquerait de se révéler inadaptée par rapport à l’objectif visé et source d’une rupture d’égalité injustifiable.

Le quatrième alinéa de la proposition de loi prévoit la mise en place d’une pénalité financière de 1 % de la masse salariale pour toute entreprise qui n’aurait pas transmis à l’inspecteur du travail le rapport de situation comparée entre les femmes et les hommes accompagné de l’avis des institutions représentatives du personnel.

Aujourd’hui, les entreprises de 300 salariés et plus doivent, conformément aux dispositions de l’article L. 2323-57 du code du travail, soumettre pour avis aux institutions représentatives du personnel un rapport écrit sur la situation comparée des femmes et des hommes. Le fait de ne pas respecter cette obligation est constitutif du délit d’entrave et donc puni, comme je le disais, d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 3 750 euros.

En application de l’article L. 2323-58 du code du travail, les entreprises de 300 salariés et plus doivent transmettre à l’inspection du travail le rapport de situation comparée, modifié, le cas échéant, pour tenir compte de l’avis motivé du comité d’entreprise, dans les quinze jours qui suivent cet avis. Cette absence de transmission par l’entreprise ne fait l’objet d’aucune sanction.

Outre son caractère manifestement disproportionné, la sanction proposée apparaît également redondante par rapport au mécanisme de pénalité issu de la loi portant réforme des retraites, les plans d’actions élaborés par les entreprises devant figurer dans les rapports de situation comparée transmis à l’inspection du travail.

Le Gouvernement ne peut donc souscrire à ce texte, même s’il reconnaît la nécessité d’aller de l’avant, car les inégalités touchant encore les femmes sont une réalité.

Cela a été rappelé, les emplois à temps partiel concernent majoritairement les femmes.

En 2009, alors que 30, 1 % des femmes salariées travaillaient à temps partiel, seuls 6, 7 % des hommes salariés étaient dans cette situation. Depuis 1980, comme je le rappelais hier devant la délégation, la part des femmes parmi les travailleurs à temps partiel est toujours supérieure à 80 %.

Le temps consacré aux tâches domestiques est de 3 heures et 48 minutes pour les femmes et de 1 heure et 59 minutes pour les hommes. En vingt ans, la participation des hommes a augmenté de quelques minutes, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter, car tout progrès est bon à prendre ! Mais, disons-le, messieurs, il y a là d’évidentes marges de progression…

L’accès aux postes à responsabilités demeure difficile pour les femmes. Le rapport de situation comparée ne serait élaboré que dans 45 % des cas.

Les inégalités, donc, ne manquent pas, et elles touchent chaque sphère de la vie.

Pour y remédier, je suis convaincue depuis fort longtemps qu’il faut aborder la question de l’égalité entre les femmes et les hommes de manière globale, afin d’apporter des réponses favorisant l’égalité.

Le Gouvernement s’est mobilisé sur cette question. Nous avons fait voter la loi Copé-Zimmermann de janvier 2011 pour féminiser les conseils d’administration et de surveillance des grandes entreprises. Cette loi ne concerne que peu de femmes, certes, mais sa valeur symbolique est importante et les résultats sont au rendez-vous. S’agissant des entreprises concernées, le taux de féminisation est passé de 10, 5 % en 2009 à 20, 8 % en 2011, et ce alors que les mesures de coercition ne sont pas encore entrées en application ! Voilà un phénomène d’autoréalisation que nous devons à l’exemplarité de ce texte.

Accompagner les entreprises vers l’égalité professionnelle, c’est aussi faire en sorte que les femmes puissent créer leur entreprise. Là encore, l’État s’engage. Dans cette perspective, nous avons créé un fonds de garantie pour la création, la reprise et le développement des entreprises à l’initiative des femmes afin de leur permettre d’accéder aux crédits bancaires.

Ce fonds, doté de 3, 6 millions d’euros en 2011 et de 4, 7 millions d’euros en 2012 – j’ai voulu cette augmentation de 30 % de ses crédits – par le Fonds de cohésion sociale géré par la Caisse des dépôts et consignations, est en pleine croissance.

Alors que, en 2008, ce sont 744 garanties qui avaient été accordées, leur nombre a doublé en 2011 : ces 1 501 garanties représentent 1 961 emplois créés.

C’est précisément pour encourager ce type d’initiatives que je viens de signer avec la Caisse des dépôts et consignations l’accord-cadre en faveur de l’entreprenariat féminin.

Mais si nous voulons que les femmes puissent créer leur entreprise, il faut leur permettre de mieux concilier leur vie professionnelle et leur vie familiale. C’est pourquoi le Président de la République a décidé de lancer un plan de développement de la garde d’enfants afin de créer 200 000 solutions de garde. Les objectifs quantitatifs de ce plan sont tenus et nous les aurons donc atteints à la fin du quinquennat.

Nous devons bien sûr encourager les initiatives, récompenser les entreprises et les organismes qui s’engagent en faveur de l’égalité professionnelle.

Le « Label Égalité » apporte une réponse concrète non seulement aux attentes des salariés en matière d’égalité professionnelle, mais également aux enjeux de performance économique et sociétale. Les entreprises comme les salariés l’ont bien compris. À ce jour, ce sont 47 organismes, regroupant plus d’un demi-million de salariés, qui bénéficient de ce label, né en 2004.

Pour le Gouvernement, il s’agit aussi de diffuser très tôt auprès des enfants, garçons et filles, une culture de l’égalité. Nous le savons bien, les stéréotypes de genre s’enracinent très précocement dans les mentalités et ils ont la vie dure, comme l’ont rappelé les oratrices qui m’ont précédée. Diffuser une culture de l’égalité à l’école, c’est tout l’objet de la convention interministérielle sur l’égalité entre les filles et les garçons.

Il faut aussi associer les médias à la démarche. C’est pourquoi j’ai pérennisé en 2011 la commission sur l’image des femmes dans les médias, présidée par Michèle Reiser. Cette dernière m’a remis en décembre dernier un rapport très intéressant dans lequel elle souligne la nécessité de continuer à dénoncer les stéréotypes pour mieux les combattre.

Dans la même perspective, j’ai confié à Chantal Jouanno une mission sur l’hypersexualisation des filles, notamment dans la publicité. Je lirai avec beaucoup d’attention ses recommandations pour mieux sensibiliser les parents et la communauté éducative de l’enfant à cette question.

Enfin, je vais signer, le 6 mars prochain, la charte sur le respect de l’image de la personne humaine dans la publicité avec l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité.

Il importe de diffuser une culture de l’égalité dans la fonction publique aussi. L’État doit jouer un rôle exemplaire pour briser le « plafond de verre ». Je veux saluer ici l’engagement de François Sauvadet sur le sujet : la mesure qu’il porte a été adoptée, à la quasi-unanimité, par l’Assemblée nationale. Il s’agit d’instaurer progressivement, d’ici à 2018, un quota de 40 % de femmes parmi les hauts fonctionnaires, actuellement très majoritairement des hommes.

Plus largement, l’État a conçu un plan d’action interministériel pour l’égalité entre les femmes et les hommes qui sera officiellement présenté le 8 mars, à l’occasion de la Journée internationale de la femme.

Ce plan vise à garantir l’égalité à tous les niveaux et dans toutes les politiques. En effet, la question de l’égalité est de la responsabilité non seulement des pouvoirs législatif et exécutif, mais aussi, bien entendu, de l’ensemble du corps social !

Pour ma part, comme je l’ai d'ailleurs dit aux organisations syndicales, avec lesquelles j’ai eu des échanges approfondis, je serais tout à fait favorable à l’accession du principe de parité à la qualité de critère de représentativité dans le dialogue social.

À ce sujet, Michelle Meunier a cité des chiffres édifiants sur la faible représentation des femmes dans les organisations syndicales.

Après tout, beaucoup d’organismes représentatifs participant à la gestion de la Nation pourraient s’imposer ce que nous nous sommes imposé, ce que le corps politique s’est lui-même imposé !

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