Le choix de reporter l’intégralité des difficultés des dix dernières années sur les générations futures est injustifiable. Comment un gouvernement peut-il, en toute responsabilité, renvoyer le règlement de dépenses courantes actuelles, notamment de santé, aux contribuables et assurés de demain qui auront déjà leurs propres dépenses à financer ?
Dans un tel contexte, les mesures proposées par le collectif paraissent fort éloignées de la réalité et sont loin d’être à la mesure des besoins.
En particulier, la mesure dite « TVA sociale » introduite à l’article 1er ne règle rien, cela a été démontré à longueur d’interventions, ni le problème de compétitivité des entreprises, ni le sous-financement de la protection sociale, ni, bien sûr, l’explosion du chômage dans notre pays.
Notre commission des affaires sociales s’y est déclarée résolument opposée. Sans reprendre dans le détail l’ensemble des arguments qui ont été développés, j’évoquerai d’abord la méthode utilisée. Nous débattons aujourd’hui dans l’urgence, ce qui est inacceptable à moins de deux mois d’une échéance politique majeure pour notre pays. Par ailleurs, les dates d’entrée en vigueur de ces réformes laissent franchement perplexes : la mesure dite TVA sociale serait appliquée à compter du 1er octobre prochain, tandis que la disposition concernant l’apprentissage devrait être mise en œuvre à compter des rémunérations versées en 2015, c’est-à-dire pour le calcul de la taxe payée en 2016 !
Au-delà de ces questions de méthode, notre opposition à ce texte porte bien évidemment sur le fond. Nous l’avons dit, démontré, répété, la hausse de la TVA aura bien un effet inflationniste, cela a toujours été le cas, en France comme ailleurs. Une telle mesure aura donc un effet sur la consommation des ménages et, par voie de conséquence, sur la croissance.
Nous l’avons dit également, la TVA est un impôt injuste, qui touche particulièrement les plus modestes, dont la totalité du revenu est consommée. L’effet attendu en termes de compétitivité semble aussi devoir être relativisé, cela a été largement démontré. J’ai expliqué à cette tribune, la semaine dernière, ce qu’une étude de l’INSEE révélait de la comparaison avec l’Allemagne. Enfin, que dire de l’objectif affiché de 100 000 créations d’emploi ?
Concernant la protection sociale, je souhaite évoquer la branche famille, qui a été l’une des victimes de la politique des trous creusés et rebouchés. En effet, certaines prestations auparavant servies par la CNAV – la majoration de pension pour les assurés ayant élevé au moins trois enfants et l’assurance vieillesse des parents au foyer – ont été transférées à sa charge, tandis qu’une partie du produit de la CSG, transférée à la CADES, a été remplacée par un « panier » de taxes sur les contrats d’assurance, panier qualifié rapidement de « percé », car constitué partiellement de recettes non pérennes, comme l’a démontré la semaine dernière notre rapporteur Isabelle Pasquet.
L’article 1er de ce collectif budgétaire, qui tend à organiser, par une augmentation de la TVA, le transfert vers les ménages du financement de la branche famille, s’inscrit dans la même ligne de pensée, qui assimile les finances sociales à une véritable variable d’ajustement de la politique budgétaire. Certes, avec la création d’un nouveau compte de concours financiers, un mécanisme de compensation est prévu. Mais il ne garantit pas contre de nouvelles baisses ou ponctions.
Techniquement, ce transfert n’est donc pas aussi neutre que ce gouvernement le prétend et voudrait le laisser croire. Il l’est d’ailleurs d’autant moins que l’augmentation de 24, 1 % de la part de recettes fiscales de la branche, qui porterait l’ensemble des impôts et taxes affectés à plus de 55 % de son financement, opère nécessairement un changement de nature.
Il n’est par conséquent pas possible de s’en tenir à une analyse mécanique et comptable du processus de transfert, sauf à confirmer par là même l’absence de toute réflexion et projet sur la cohérence d’ensemble du système ainsi transformé.
Les structures, les modes de vie, les besoins des familles ont changé. Le choix d’intégrer les prestations familiales, qui sont effectivement de nature hybride, dans le système de sécurité sociale a été fait il y a un demi-siècle dans un contexte socio-économique qui n’est plus le nôtre. Le mode de financement de la branche famille, comme celui des autres branches, peut donc être sujet à débat.
Mais encore faut-il que ce débat ait lieu, que les arguments s’échangent, que les points de vue se confrontent, et que le nouveau système de protection sociale que nous proposons à nos concitoyens de construire soit clairement et ouvertement présenté !
Il n’est ni acceptable, ni loyal, ni responsable à l’égard de nos concitoyens qu’un tel changement, qui est loin d’être neutre, je le répète, soit opéré « par la bande », en catimini, réduit à l’accessoire d’un texte budgétaire relatif à la compétitivité et à l’emploi, qui plus est examiné dans l’urgence.
Tel est pourtant bien le choix de ce gouvernement, puisque vous proposez de franchir un nouveau palier dans la mutation sournoise de notre système de protection sociale, sous couvert de l’adoption, comme l’atteste l’intitulé de l’article 1er, de « dispositions fiscales améliorant la compétitivité des entreprises » !
L’institution de cette TVA sans nom, puisque vous ne voulez pas la nommer « sociale », mais que l’on pourrait qualifier de « TVA Sarkozy », est malheureusement exemplaire du sacrifice délibéré de notre système de protection sociale, en imposant une pensée unique arcboutée sur la seule maîtrise de court terme des dépenses, au détriment de toute justice sociale.
La question que nous devons nous poser est celle-ci : quelle serait la responsabilité du système social dans les problèmes de compétitivité, de croissance et d’emploi ?
Quelle serait la responsabilité de notre système social en termes d’emplois ? Je ne reviendrai pas, je l’ai dit, sur la comparaison avec l’Allemagne, rappelant simplement la baisse constante des charges sociales patronales en France depuis trente ans et la quasi-suppression des cotisations de sécurité sociale pour les salaires au niveau du SMIC, celles-ci étant passées de 33 % environ en 1980 à moins de 5 % en 2005.
L’efficacité commande donc une analyse plus fine des causes réelles de notre différentiel de compétitivité. Ne nous contentons pas d’une lecture trop simplifiée, qui risque de nous faire passer à côté des vraies évolutions attendues de l’économie française.
Parmi les éléments d’analyse dont nous disposons, rien ne justifie que soit sacrifié, morceau par morceau, notre système de protection sociale, lequel a justement permis d’amortir, mieux qu’ailleurs, les premiers effets de la crise. Rien ne justifie non plus d’engager un changement de nature de la sécurité sociale, au détour d’un texte budgétaire, en dehors de toute réflexion d’ensemble et d’un projet de réforme structurelle de long terme, dont nous avons besoin pour que les principes de justice et de solidarité de notre protection sociale puissent perdurer.
Mes chers collègues, vous l’avez compris, dans le cadre de cette nouvelle lecture, nous voterons donc de nouveau la motion tendant à opposer la question préalable déposée par la commission des finances, pour marquer notre ferme opposition à la politique budgétaire et financière menée au cours des dernières années. §