Il est désormais prévu que le délai de dédit de vingt-quatre heures, pour les salariés qui changent d’avis et souhaitent poursuivre ou reprendre le travail, ne s’appliquera pas « lorsque la grève n’a pas lieu ou lorsque la prise du service est consécutive à la fin de la grève ». Une telle formulation traduit une méconnaissance du déroulement réel des mouvements sociaux dans les entreprises. La seule « fin de la grève » qui puisse exister relève avant tout de la décision de chaque salarié. Les salariés ne sont pas liés par les éventuelles décisions syndicales.
De même, l’Assemblée nationale a adopté une faible atténuation du dispositif de sanction du manquement à l’obligation d’information en cas de dédit. Désormais, la sanction ne s’appliquerait que si le salarié refuse « de façon répétée » de s’y soumettre. C’est évidemment insuffisant.
Tous les constats faits par le rapporteur en première lecture restent valables, aussi bien sur le fond et la forme que sur la méthode employée pour faire adopter ce texte. Il faut cesser d’opposer systématiquement les salariés aux passagers, qui seraient des victimes collatérales d’un désaccord auquel ils sont étrangers. Est-il encore besoin de le rappeler, la grève n’est pas une décision prise à la légère ou un choix opéré dans la joie ; c’est le dernier recours des salariés lorsque le fil du dialogue social est rompu et que l’employeur refuse de négocier.
D’ailleurs, je note qu’un accord a finalement été trouvé entre Air France et ses pilotes, accord qui ôte tout son sens à cette proposition de loi puisqu’il prévoit, en posant le principe de la stabilité des plannings, que les pilotes non grévistes ne pourront pas être contraints de remplacer les grévistes.
Quant à l’argument qui consiste à dire que les pilotes sont des privilégiés, je tiens à rappeler que ce texte concerne avant tout les dizaines de milliers d’employés de l’assistance en escale, dont je parlais il y a un instant, et dont la situation contractuelle et salariale est des plus précaires.
Monsieur le ministre, la signature de cet accord entre Air France et ses pilotes illustre donc bien le fait que le dialogue social peut aboutir quand on lui en donne les moyens et quand il est mis en œuvre dans le respect des salariés !
Les pilotes, parce qu’ils sont représentés par des organisations syndicales qui peuvent être entendues par la direction, ont obtenu cet accord. Les employés d’autres professions, notamment ceux de l’assistance en escale, ne sont pas respectés, et leurs représentants syndicaux ne le sont pas plus. Ils ne peuvent donc pas aboutir à un accord, car les entreprises refusent de dialoguer avec eux.
Je voudrais dire un dernier mot sur la procédure d’adoption à marche forcée de cette proposition de loi, à une semaine maintenant de la clôture des travaux parlementaires du quinquennat, et sur les raisons intrinsèques qui rendent cette proposition de loi inacceptable.
L’Assemblée nationale n’ayant pas fait jouer son protocole de consultation des partenaires sociaux, aucune concertation formelle avec eux n’a pu se tenir en amont, contrairement à ce que la commission des affaires sociales du Sénat fait traditionnellement, alors que ce texte encadre le droit de grève. Les consultations organisées par le protocole adopté à l’Assemblée nationale et au Sénat sont bien des négociations et non seulement des auditions comme celles que, je vous accorde ce point, monsieur le ministre, le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale a pu mener.
Enfin, je vous rappelle que le transport aérien n’est plus une activité de service public ; il n’est donc pas possible de lui appliquer les restrictions acceptées en 2007 par le Conseil constitutionnel pour le transport terrestre.
Mes chers collègues, comme vous le savez, au contraire d’un projet de loi, une proposition de loi, présentée par définition par les parlementaires, n’est pas soumise à l’avis du Conseil d’État. Il en va ainsi du présent texte, alors qu’il soulève de sérieuses questions de constitutionnalité. Cette situation est donc bien regrettable.
Je pense ainsi à l’atteinte disproportionnée portée au droit de grève, au nom des prétendus risques à l’ordre public que son exercice peut causer. Le législateur échoue ici dans son devoir de concilier l’exercice des libertés constitutionnellement reconnues.
Je crains également que, du fait de la définition générale et vague des activités ou des salariés concernés par cette proposition de loi, le législateur ne laisse trop de pouvoir aux employeurs pour déterminer lesquels de leurs salariés verront leur droit de grève encadré.
Ce texte s’expose donc, selon la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, à un risque de censure pour incompétence négative.
Je tiens également à souligner que nous ne disposons pas non plus d’une étude d’impact. Certaines organisations syndicales m’ont d’ailleurs fait parvenir une étude juridique qui démontre les risques d’inconstitutionnalité encourus par ce texte.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, la commission des affaires sociales a fermement réitéré sa position de première lecture. Le texte transmis par l’Assemblée nationale ne corrige en rien les défauts que nous avions mis en lumière. C’est pourquoi la commission a adopté une motion tendant à opposer la question préalable à cette proposition de loi. Je vous invite, mes chers collègues, à confirmer ce choix.