Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons une nouvelle et ultime fois la proposition de loi imposant un service garanti dans le transport aérien.
Il ne nous aura fallu que quelques heures de débat pour porter une atteinte déterminante à un droit constitutionnel, le droit de grève. Nous continuons pourtant de penser que ce texte n’est qu’un projet gouvernemental, ni plus ni moins, et que la procédure accélérée dont il fait l’objet ne se justifie en rien. À l’inverse, la réforme de la biologie médicale, par exemple, justifiait, elle, d’être examinée en urgence, d’autant qu’elle était demandée par les professionnels concernés.
Rien donc ne justifie l’urgence de la démarche, si ce n’est la volonté du Gouvernement et de sa majorité de passer en force, ce qui traduit au fond votre mépris total des salariés et de leurs organisations syndicales.
Nous déplorons ainsi l’état du dialogue social, de la relation de confiance qui doit exister entre les organisations syndicales, patronales et le Gouvernement. Cela fait de ce dernier non le garant de l’intérêt général, mais plutôt le plus fidèle serviteur du MEDEF en déséquilibrant les rapports de force au sein des entreprises. Le PDG d’Air France, fort de ce soutien, n’a pas hésité, dans cette période, à dénoncer les accords d’entreprise à seule fin d’améliorer la rentabilité pour les actionnaires en demandant aux salariés des sacrifices supplémentaires.
La politique de rigueur et d’austérité se fait donc une nouvelle fois uniquement au détriment des salariés, sans que soit abordée la question, cruciale, d’un rééquilibrage entre revenus du capital et revenus du travail. Vous profitez de la crise pour atomiser les droits des salariés et des organisations syndicales.
Vous nous dites pourtant que le droit de grève n’est pas remis en cause par cette proposition loi. Qu’on en juge : le salarié devra se déclarer quarante-huit heures en amont du mouvement, et surtout ne pas renoncer moins de vingt-quatre heures avant, sous peine de sanction disciplinaire dont le niveau n’est pas précisé, même si l’Assemblée nationale a adouci le principe de la sanction en mentionnant que celle-ci ne peut intervenir qu’en cas de manquement répété.
Le salarié qui souhaite mettre fin à son action de grève, devra également attendre vingt-quatre heures avant de pouvoir reprendre effectivement le travail, ce qui l’oblige ainsi à une journée supplémentaire de perte de salaire, sauf en cas de fin de mouvement. Et je n’entrerai pas dans le détail du cas où une organisation syndicale propose la reprise du travail et que l’assemblée générale décide, elle, la poursuite de la grève, car cela devient alors très compliqué !
Il s’agit d’un procédé bien plus subtil que l’interdiction pure et simple de la grève : en rendant son exercice plus difficile et en l’individualisant, vous permettez que s’exercent sur les salariés des pressions inacceptables.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que le droit de grève s’exerce de façon collective, que c’est un droit utile qui a permis de nombreuses avancées sociales pour l’ensemble de nos concitoyens. Il n’y a donc aucun fondement à votre volonté d’opposer entre eux les vacanciers et les salariés.
Vous arguez également, pour justifier de cette atteinte à ce droit fondamental, que le Conseil constitutionnel a rendu un avis de conformité sur la loi de 2007. Cependant, comment ignorer que cette décision est de nature politique, en contradiction totale avec les jurisprudences des autres cours de justice ?
Ainsi, dans l’arrêt Air France de 2003, la Cour de cassation a reconnu de manière très claire « qu’il ne pouvait être imposé à un salarié d’indiquer à son employeur son intention de participer à la grève avant le déclenchement de celle-ci ».
Dans l’affaire de la société Rhodia Chimie, la cour d’appel de Grenoble a également jugé, le 29 avril 2002, que « la société ne pouvait interroger chaque salarié sur ses motivations sans exercer une pression inacceptable sur chaque salarié pris individuellement. »
Nous continuons donc légitiment d’affirmer que la déclaration préalable de grève quarante-huit heures à l’avance et, pire encore, celle de vingt-quatre heures sont inconstitutionnels.
Par ailleurs, la constitutionnalité s’apprécie de façon fondamentalement différente entre le transport terrestre et le transport aérien. Il s’agit, dans le premier cas, d’un service public et, dans l’autre, d’un service pleinement ouvert à la concurrence et à la déréglementation. Les obligations des compagnies, même si nous pouvons le regretter, ne se posent pas dans les mêmes termes ; il n’existe en l’espèce aucune obligation de continuité du service public.
En outre, la différence majeure entre ce texte et la loi du 21 août 2007 réside dans ce constat : il n’y a pas ici deux entreprises publiques aux procédures connues, au dialogue social sans doute imparfait mais qui préexistait à la loi. Le secteur aérien est très diversifié, avec des personnels aux statuts différents auxquels la loi applique une même logique, sans avoir pris le temps de discussions avec les partenaires sociaux. À ce titre, il est particulièrement choquant qu’il n’y ait eu aucune saisine du Conseil supérieur de l’aviation civile.
D'ailleurs, tout ce que nous dénonçons en termes d’inconstitutionnalité a été confirmé par une étude demandée par les organisations syndicales des pilotes. Nous trouvons là une nouvelle démonstration que le renforcement du dialogue social n’est pas l’objectif de cette proposition de loi, puisque, loin de le renforcer, ce texte risque au contraire de cristalliser la conflictualité existante.
Force est de constater que l’instauration d’une sorte de « préavis du préavis » par le dispositif d’alarme sociale dans le secteur terrestre n’a pas permis d’enrayer la conflictualité puisque, si les demandes de consultation immédiate ont significativement augmenté, les dirigeants des entreprises continuent d’attendre de constater l’état réel des rapports de force avant d’engager toute négociation. En même temps, « on ne négocie pas pendant la grève », disent-ils. Cela peut durer…
Or, si l’article L. 521-3 du code du travail précise d’ores et déjà que « pendant la durée du préavis, les parties intéressées sont tenues de négocier », cette obligation est souvent méconnue par les dirigeants d’entreprise. Allonger la durée du temps de négociation, dans les transports terrestres comme dans les transports aériens, apparaît donc inutile si rien ne contraint ces mêmes chefs d’entreprises à se présenter à la table de négociation avec des propositions.
De manière circonstanciée, il n’est pas anodin que le Gouvernement cherche à limiter les grèves de salariés dans le secteur aérien, qui a connu, depuis plusieurs années, des luttes nombreuses et retentissantes : la sûreté, les navigants, les mécaniciens, le cargo et l’escale d’Air France, mais aussi de nombreuses autres compagnies aériennes et entreprises d’assistance aéroportuaire.
Cette proposition de loi, comme le titrait Le Figaro, vise donc bien non à favoriser le dialogue social mais à mettre fin aux grèves.
Je voudrais pour finir revenir sur un abus de langage de la part du ministère. En effet, vous n’avez eu de cesse d’affirmer que la loi de 2007 était un succès.