Intervention de Christophe-André Frassa

Réunion du 8 février 2012 à 14h30
Droit à la protection de la vie privée — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Christophe-André FrassaChristophe-André Frassa :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la question soulevée par notre collègue Anne-Marie Escoffier n’est pas d’une importance moindre.

Si le droit à la vie privée nous paraît être un droit acquis et une évidence à toute épreuve, les évolutions récentes de notre société nécessitent que nous débattions de cette question.

Nos concitoyens ont un véritable droit à la protection de leur vie privée, prévu par l’article 9 du code civil et renforcé par des dispositifs internationaux et européens dont la portée est plus que symbolique.

Clairement, la protection de la vie privée de chacun est inhérente à toute société démocratique, et nous ne saurions, en aucun cas, laisser une brèche se créer dans ce principe. La lutte contre l’insécurité ou le terrorisme ne saurait constituer un prétexte pour porter atteinte aux libertés fondamentales des individus. Ce n’est en rien la volonté du Gouvernement ni celle des Français.

Les juridictions nationales veillent pour défendre les intérêts des justiciables qui estimeraient leurs droits lésés. Elles sont les garde-fous de nos libertés, tout comme le législateur en amont de celles-ci.

Plus encore, la question de la protection de la vie privée ne s’inscrit pas que dans un contexte national. Nous sommes entrés dans l’ère des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Comme il a été précisé, nous vivons dans l’ère de la globalisation numérique, avec ce qu’elle comporte de positif et de négatif.

L’Union européenne comme le Conseil de l’Europe sont impliqués dans ces questions. N’oublions pas que la France est signataire de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dont l’article 8 protège le droit à la vie privée. Elle renforce la liberté de chacun de s’informer, de communiquer et de s’exprimer.

Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs consacré le rôle d’internet dans sa décision du 10 juin 2009, en estimant « qu’en l’état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu’à l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d’accéder à ces services ; ».

La protection constitutionnelle de la liberté de communication et d’expression s’applique donc à internet, compte tenu du rôle croissant que joue ce média dans l’accès du citoyen à l’information. Mais le fonctionnement complexe et global de la société numérique pose des problèmes de gouvernance qui ont notamment fait l’objet de l’e-G8, dont le Président de la République a pris l’initiative l’été dernier. En effet, si internet participe à la croissance et favorise l’essor économique de nombre d’entreprises, certains problèmes persistent.

Les pouvoirs publics doivent donc innover afin d’assurer notre adaptation « à la révolution numérique », comme ce fut le cas avec la création de l’e-signature et du contrat électronique qui protègent les échanges commerciaux.

Mais les enjeux sécuritaires et économiques ne sauraient mettre à mal nos droits les plus fondamentaux.

Plusieurs aspects sont soulevés dans votre question, madame Escoffier : ceux de la collecte des données personnelles ou encore du droit à l’oubli. Il est en effet important que ces problématiques ne soient pas laissées inertes et que les pouvoirs publics s’en saisissent, tout en permettant la libération du potentiel numérique de la France.

La question de la protection de la vie privée à l’ère numérique est complexe, puisqu’elle intègre des acteurs globaux et multinationaux. Elle ne répond pas à une législation unique.

L’année dernière, nous avons adopté la loi portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques, qui transpose le « paquet télécom » en renforçant les dispositions existantes en matière de vie privée et de communication électronique. Il existe donc une réglementation en matière de protection des données personnelles à l’échelle de l’Union européenne.

Au passage, je salue le travail des membres de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale, qui ont adopté hier la proposition de résolution européenne de notre collègue député Philippe Gosselin.

J’en reviens aux normes. Elles prévoient le droit d’accès pour les citoyens aux données à caractère personnel, gratuitement et sans contrainte, dans un délai de trois mois. Il existe aussi un droit de rectification des données à caractère personnel erronées ou incomplètes. Nos concitoyens peuvent donc se prévaloir d’un droit de verrouillage du traitement des données dans certaines circonstances et même d’un droit d’effacement des données traitées illégalement. Enfin, nous pouvons nous opposer à une opération de traitement pour motifs impérieux. Je tiens donc à saluer les actuelles initiatives européennes, qui, à mon sens, sont encourageantes.

Dans son discours du 16 mars 2011, la commissaire Viviane Reding avait fait part de son souhait de renforcer le contrôle des pratiques des services en ligne et des réseaux sociaux concernant le traitement des données personnelles. Elle proposait de fonder la protection des données personnelles des internautes sur quatre points : le premier est le fameux droit à l’oubli, qui se définit pour les internautes comme la possibilité de rétracter leur consentement et, pour les entreprises, comme l’obligation de prouver la nécessité de conserver les données privées ; le deuxième est la transparence et l’information des internautes ; le troisième est la régulation des réglages par défaut ; le quatrième, enfin, est l’application des normes des pays de présence des utilisateurs dans le traitement de leurs données, afin d’imposer aux entreprises le respect des législations en vigueur.

En tant qu’élus, nous sommes conscients de l’impact de ces nouvelles technologies sur la vie quotidienne de nos concitoyens. Dès lors, internet doit être au service des droits de l’individu, et le droit à une protection dans l’univers numérique doit être renforcé.

Bien évidemment, le débat est ouvert sur la forme de gouvernance à adopter en vue de favoriser « l’effectivité » de ces droits. Pouvez-vous, monsieur le garde des sceaux, nous éclairer sur ce point ?

Je conclurai en disant que la protection des données à caractère personnel et, plus largement, de la vie privée fait partie intégrante des libertés et droits fondamentaux reconnus à chaque citoyen. Notre objectif est de pallier les lacunes du droit en émettant un maximum de propositions pragmatiques et efficaces. Le droit à l’oubli et la garantie de protection lors du transfert des données hors Union européenne doivent faire partie de nos priorités. Je vous invite aussi à reconnaître la valeur d’internet dans la promotion des droits de l’homme et la protection des droits des internautes. §

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