Monsieur le président, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, monsieur le président de la commission des finances, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, le dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes est toujours un moment solennel et hautement significatif pour notre institution. Je suis heureux de vous le présenter. Je l’ai remis au Président de la République hier après-midi et je viens de le déposer sur le bureau de l’Assemblée nationale.
Ce rapport représente l’expression la plus forte de la mission constitutionnelle d’information des citoyens, que vous nous avez confiée, à travers votre pouvoir constituant, à l’occasion de la révision de 2008, que vous avez évoquée à l’instant, monsieur le président. Nos nombreuses autres publications, qui s’échelonnent dans l’année, concourent aussi à cette mission.
Conformément à la loi, et à la tradition, ce rapport vous est remis chaque année depuis 1832. Bien entendu, les relations qui unissent votre assemblée et la Cour sont sans cesse plus étroites et ne se résument plus à cette seule tradition. D’une part, le rapport public annuel est aujourd’hui accompagné, durant l’année, de rapports thématiques : il n’y en eut pas moins de quatorze en 2011. D’autre part, les missions que la Cour remplit pour assister le Parlement dans le contrôle de l’action du Gouvernement et l’évaluation des politiques publiques ont été élargies, notamment par les dispositions de la loi organique relative aux lois de finances de 2001 – la LOLF – et par la révision constitutionnelle que j’ai citée.
En 2011, nous vous avons ainsi remis nos six rapports annuels sur les finances publiques, destinés à nourrir vos débats budgétaires et financiers. Par ailleurs, en réponse aux demandes des commissions des finances et des affaires sociales, nous vous avons transmis sept communications, en application de la LOLF et de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, la LOLFSS. Symétriquement, nous avons également adressé à l’Assemblée nationale neuf communications, ainsi que deux rapports d’évaluation de politiques publiques. Je me réjouis de voir que ces rapports, par les observations et les recommandations qu’ils contiennent, alimentent les travaux de vos commissions.
Vous le savez, si nous nous réjouissons de contribuer toujours davantage aux travaux du Parlement, nous sommes aussi très attachés à exercer pleinement notre liberté de programmation, ce qui impose que la majeure partie des activités de la Cour relève de sa propre initiative, lui permettant d’assumer ses missions propres, notamment l’examen des comptes et de la gestion des administrations et des entreprises publiques. Mais, mesdames, messieurs les sénateurs, ce sont là des travaux qui sont aussi à votre disposition et peuvent vous être utiles.
Le rapport de 2012 est, à l’instar de ses prédécesseurs, très varié ; il couvre, à travers ses quarante-quatre contributions, un très large spectre de politiques publiques et d’organismes. Ces contributions figurent dans deux tomes distincts. L’un présente des observations et recommandations nouvelles, l’autre les résultats des travaux de suivi que mène la Cour de façon systématique, pour vérifier dans quelle mesure ses recommandations sont prises en compte.
Vous constaterez que, dans de nombreux domaines, des évolutions positives sont relevées, que nous nous plaisons à souligner. La Cour prend les exemples du Plan cancer, des contrats de reclassement professionnels, des inspecteurs de l’académie de Paris ou de la gestion des juridictions administratives. Sur d’autres sujets, des évolutions sont constatées, qui doivent toutefois être prolongées pour produire tous leurs effets positifs. La Cour « insiste » ainsi sur la réforme portuaire de 2008, sur les grands chantiers culturels, sur France Télévisions ou encore sur les industries publiques d’armement.
Enfin, la Cour constate que, sur certains sujets, la prise en compte de ses recommandations est insatisfaisante. Elle alerte et alertera régulièrement les citoyens et les décideurs publics, aussi longtemps que nécessaire, pour que les réformes soient engagées. Cette année, la Cour vise particulièrement le régime des intermittents du spectacle, la gestion des pensions des fonctionnaires de l’État, la prime à l’aménagement du territoire et la politique relative à la périnatalité.
Ce travail sur les suites apportées à ses recommandations illustre le fait que la Cour est non seulement un facteur de transparence au service de l’information du citoyen, mais aussi un déclencheur et un accompagnateur de réformes. Elle s’efforce d’associer à ses constats et critiques des recommandations formulées dans les termes les plus opérationnels possible. Son suivi systématique des recommandations illustre aussi son souci d’être pleinement utile et constructive.
Avant d’attirer votre attention sur une sélection de sujets du rapport, comme les dépenses fiscales, la Banque de France, le logement social, la lutte contre la fraude ou les sous-préfectures, je souhaite vous faire part des constats et messages de la Cour concernant la situation de nos finances publiques.
Il y a un mois, à l’occasion de la séance solennelle de début d’année, j’ai rappelé quatre orientations et principes fondamentaux, à l’aune desquels la Cour examine la situation des finances publiques, et qu’elle a clairement dégagés dans ses précédentes publications.
Premièrement, il faut que notre pays s’éloigne aussi rapidement que possible de la zone dangereuse dans laquelle il est entré, en raison de son niveau d’endettement.
Deuxièmement, il importe d’assurer la crédibilité des engagements de la France en matière de finances publiques, ce qui suppose de préciser le plus possible les modalités retenues pour tenir ces engagements.
Troisièmement, les déficits récurrents de nos régimes de protection sociale, sans équivalent dans les autres pays d’Europe, sont des anomalies et doivent être éliminés.
Quatrièmement, enfin, l’effort de redressement doit concerner toutes les entités publiques – État, sécurité sociale, collectivités territoriales – et aussi bien les dépenses que les recettes, mais plus les dépenses que les recettes eu égard au niveau qu’atteignent déjà les prélèvements obligatoires dans notre pays.
La vigilance de la Cour pour alerter sur les déséquilibres des comptes publics ne résulte pas de préoccupations de nature simplement comptable. L’enjeu fondamental pour notre pays est de rester maître de ses décisions et, en définitive, de son destin.
Selon Paul Valéry, « la plus grande liberté naît de la plus grande rigueur ». Il n’est pas tout à fait certain que l’écrivain avait à l’esprit les finances publiques en écrivant ces mots ! Mais la perte considérable de marges de manœuvre que la charge de la dette nous impose aujourd’hui – et pourrait nous imposer davantage demain si nous ne mettons pas en œuvre un redressement rapide de nos comptes – montre qu’en effet, afin de rester maître de sa souveraineté, un pays doit être maître de ses finances publiques.