Intervention de Didier Migaud

Réunion du 8 février 2012 à 14h30
Dépôt du rapport annuel de la cour des comptes

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Symétriquement, la fiscalité locale a augmenté, elle aussi, pour suivre la progression des dépenses : les prélèvements obligatoires locaux sont ainsi passés de 4, 9 % à 6, 2 % du PIB entre 2002 et 2009. Même si ce rythme a connu une inflexion en 2010, son maintien n’apparaît pas compatible avec la poursuite de l’effort structurel de redressement, qui impose de recourir le moins possible à de nouvelles recettes et de ralentir nettement la progression des dépenses publiques.

La masse salariale constitue un facteur important de croissance de la dépense qui devrait être davantage maîtrisé : une meilleure articulation entre les moyens dont disposent les communes et ceux dont disposent les structures intercommunales pourrait être recherchée.

Des contraintes plus fortes doivent aussi peser sur les dépenses de sécurité sociale. Elles représentent 46 % des dépenses publiques et ne peuvent plus être financées à crédit. Elles continuent d’augmenter à un rythme trop rapide, qui exclut le retour à l’équilibre avant un terme très éloigné. Mettre en œuvre des réformes structurelles pour infléchir durablement la progression des dépenses sociales, sans remettre en cause la qualité de la protection sociale, est un impératif premier et essentiel. Cet effort doit porter en priorité sur l’assurance maladie : ce n’est en effet que par des mesures d’une ampleur à la hauteur des enjeux qu’elle représente que sera préservé le haut degré de protection sociale de notre pays.

La résorption de notre déficit structurel doit être conduite aussi vite que possible. Ce redressement est, en tout état de cause, moins lourd de conséquences qu’une poursuite de l’endettement. Les pays qui réussissent le mieux aujourd’hui sont ceux qui ont engagé le plus tôt le redressement de leurs comptes publics. Des réformes structurelles nouvelles sont donc indispensables, accompagnées de mesures destinées à renforcer la compétitivité du pays et à assurer un juste partage des efforts.

La Cour des comptes prescrit la mise en œuvre, pendant qu’il est encore temps, d’un traitement de fond, continu et suivi, afin d’écarter le risque de devoir recourir à une brutale cure d’austérité, à un remède de cheval administré sous la pression de l’extérieur, ce qui reviendrait à une mise sous tutelle.

Dans la perspective de cet impératif de redressement, la Cour recommande depuis plusieurs années la réduction des dépenses fiscales. En 2010, leur coût s’élevait à 73 milliards d’euros environ, soit presqu’un tiers des recettes fiscales nettes de l’État, en hausse de plus de 60 % depuis 2004. S’y ajoutent des dépenses fiscales non recensées, que la Cour a néanmoins identifiées comme telles. La définition de ces dépenses fiscales a été précisée, mais l’inventaire demeure incertain.

La Cour préconise de réduire fortement le coût de ces niches en réduisant celles qui n’ont pas fait la preuve de leur efficacité, au regard de leur coût. En 2013, les mesures votées par le Parlement, qui représenteront 11 milliards d’euros de réduction des niches par rapport à 2010, conduiront à une réduction du coût d’ensemble des niches de 5 milliards d’euros seulement, car le coût des niches fiscales a progressé entre-temps. L’effort doit être amplifié et viser une réduction de 15 milliards d’euros.

Les rapports de la Cour des comptes comme ceux de l’Inspection générale des finances, ainsi que de nombreux rapports parlementaires, ont identifié de nombreuses niches dont l’inefficacité est avérée. Dans le présent rapport, la Cour prend, à ce titre, l’exemple des défiscalisations dites « Girardin » en faveur de l’outre-mer. En effet, dans la mesure où les résultats sont loin d’être à la hauteur des moyens engagés, la Cour propose la suppression de cette niche au profit d’autres modes d’action publique pour soutenir les économies ultramarines.

La Cour rend compte du contrôle de la Banque de France. Elle estime que, dans l’univers financier incertain où la Banque de France se situe désormais, la gestion financière du portefeuille que celle-ci détient pour son compte propre devrait donner plus d’importance au long terme et à la sécurité par rapport à la rentabilité à court terme. L’objectif d’assurer à l’État un dividende élevé a conduit à une gestion patrimoniale qui n’est pas vraiment satisfaisante si l’on regarde le long terme : l’exemple de la vente d’or qui s’est échelonnée de 2004 à 2009 l’illustre.

Sur la gestion de la Banque de France, la Cour constate des progrès intervenus à la suite de son rapport de mars 2005, jugé à l’époque sévère par la Banque, mais note que celle-ci dispose toujours d’importants réservoirs de gains de productivité. Il apparaît essentiel qu’un certain nombre de mesures complémentaires soient prises quant à la gestion même de la Banque de France.

Concernant le logement social, l’indispensable recentrage de l’effort de construction que la situation actuelle des finances publiques rend nécessaire a produit des résultats décevants. En 2009, 75 % des logements sociaux étaient construits là où n’existaient pas de besoins manifestes, et seuls 25 % l’étaient dans les zones les plus tendues. Ces résultats médiocres s’expliquent en partie par les faiblesses dont souffre le zonage sur lequel reposent les incitations à la construction. Les instruments utilisés sont mal adaptés, parfois même contreproductifs. La connaissance nationale du parc social et de son évolution doit s’améliorer, tandis qu’un nouveau zonage adapté aux enjeux du recentrage et révisé tous les trois ans doit être adopté.

La Cour des comptes aborde également dans ce rapport le sujet de la lutte contre la fraude. Dans son ensemble, notre appareil répressif demeure trop peu efficace. La Cour s’est penchée spécifiquement sur un cas de fraude spectaculaire, qui a coûté 1, 6 milliard d’euros de perte fiscale à l’État entre l’automne 2008 et le printemps 2009 : la fraude à la TVA sur les marchés de quotas de carbone. Tant la Caisse des dépôts et consignations que l’entreprise BlueNext, en charge du marché, ont tardé à percevoir l’ampleur systémique de la fraude. De son côté, l’administration fiscale et le ministère de l’économie et des finances ont fait preuve d’une insuffisante réactivité. Une telle fraude révèle les lacunes de la régulation d’un marché dont les potentialités frauduleuses ont été négligées.

Je voudrais terminer mon intervention en abordant brièvement plusieurs sujets en lien avec l’intervention de l’État et des collectivités locales sur les territoires.

S’agissant de l’intervention de l’État, la Cour des comptes a examiné le réseau des sous-préfectures. Leurs missions principales, notamment la délivrance des titres de séjour et le contrôle de légalité, sont en train de disparaître, laissant la plupart d’entre elles sans activités administratives précises. Les sous-préfets conservent un rôle de représentation et de mission, mais cette vocation se détache progressivement du ressort territorial de l’arrondissement, ce qui les conduit plutôt à assister les préfets de département et de région. La gestion courante est défaillante : les ressources humaines restent sans perspectives, la mutualisation des moyens humains et des tâches est insuffisante, les charges immobilières surdimensionnées et pesantes.

Pourtant les marges d’évolution sont très nombreuses pour faire évoluer ce réseau étatique de proximité, auquel le pays est souvent attaché, sans que la présence de l’État disparaisse pour autant. Le réseau doit donc se moderniser et s’adapter : son découpage devrait être amélioré, les perspectives d’évolution des sous-préfectures les plus petites clarifiées, la recherche d’économies amplifiée, notamment sur le plan immobilier : le parc actuel doit être rationalisé en fonction des missions restantes et des modes de vie actuels.

La Cour des comptes évoque également deux sujets sur lesquels des arbitrages pourraient être utilement rendus.

D’une part, la prime à l’aménagement du territoire est un dispositif géré par l’État pour soutenir les emplois et les investissements des entreprises sur les territoires. L’analyse de la Cour montre que son rôle est devenu marginal par rapport à l’action des collectivités locales, notamment. La Cour propose donc de supprimer cette prime.

D’autre part, le rapport montre aussi que le recours aux aides d’urgence à l’agriculture mériterait d’être rationalisé.

S’agissant plus spécifiquement des collectivités territoriales, la Cour se penche cette année sur la décentralisation routière et en conclut que la réforme apparaît plus coûteuse qu’il n’était prévu, pour l’État comme pour les collectivités locales, et qu’il reste à l’approfondir pour en atteindre les objectifs. Elle examine également la gestion prévisionnelle des ressources humaines dans les collectivités territoriales en donnant des exemples de bonnes pratiques. Enfin, elle apporte des éclairages particuliers sur la gestion communale et intercommunale, à travers ses études sur les communes balnéaires du Languedoc-Roussillon ou le parc minier du Val d’Argent, en Alsace.

Le secteur de la santé n’est pas non plus oublié, de même que ceux de l’enseignement et de la recherche, avec les réseaux thématiques de recherche avancée, la formation des enseignants, le passage aux responsabilités et compétences élargies des universités parisiennes, le plan Réussite en licence et les écoles normales supérieures.

Il y aurait encore beaucoup d’autres choses à dire, mais je veux vous laisser aussi découvrir par vous-mêmes les 1 600 pages de ce rapport public annuel.

Je vous remercie, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, de m’avoir écouté aussi longuement sur des sujets de préoccupation qui nous sont communs. Je souhaite sincèrement que la sélection de nos contrôles qui figure dans ce rapport annuel alimente vos débats et nourrisse votre travail parlementaire. Notre expertise demeure à votre entière disposition.

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