Intervention de Ronan Dantec

Réunion du 8 février 2012 à 21h30
Débat sur la biodiversité

Photo de Ronan DantecRonan Dantec :

À côté des mesures législatives, et sachant que les nombreuses propositions collectives des acteurs du Grenelle, qui n’ont pas été reprises par le Gouvernement, nous ont un peu mâché le travail pour les prochains mois, il nous faudra aussi réfléchir à une réforme de la fiscalité pour accompagner la préservation de la biodiversité. Qu’il s’agisse de la TGAP – taxe générale sur les activités polluantes –, qui mérite d’être renforcée et étendue à toutes les activités nuisibles à l’environnement, ou de la fiscalité sur le foncier non bâti qui doit être plus favorable à la biodiversité, c’est à une véritable réforme de la fiscalité environnementale qu’il faut procéder.

Plus globalement, en s’appuyant sur le rapport du Centre d’analyse stratégique portant sur « les aides publiques dommageables à la biodiversité » – l’intitulé est explicite –, c’est toute l’intervention publique qu’il faut aujourd’hui réexaminer, y compris celle des collectivités territoriales, acteurs majeurs de la protection de l’environnement.

Mais la loi n’est pas tout. Sans la mobilisation des acteurs de terrain, nous ne pourrons pas atteindre nos objectifs.

Premier acteur : le monde de la connaissance, qui a un rôle central à jouer. Savons-nous, par exemple, que nous ne connaissons et n’avons classifié que moins de deux millions d’espèces sur la dizaine de millions d’espèces réputées vivre sur cette planète ? Lors des dernières grandes expéditions scientifiques, à Bornéo, en 2010, nous avons encore découvert 123 espèces, dont une grenouille sans poumon et, en Nouvelle-Guinée, un primate inconnu. Et que dire des espaces marins de grande profondeur, encore largement terra incognita ? Il y a là des enjeux considérables de connaissance, qui exigent qu’on y consacre des moyens.

Deuxième acteur clé : le monde associatif, sans lequel nous n’aurions sans nul doute pas réussi à préserver tant de sites remarquables et à sauver de la destruction bien des espèces emblématiques. Depuis la création de la réserve des Sept-Îles, en 1913, pour sauver les derniers macareux et fous de Bassan – ce fut aussi l’acte de naissance de la Ligue pour la protection des oiseaux, la LPO, il y a tout juste un siècle –, l’action inlassable des protecteurs de l’environnement a été remarquable, et je tiens à leur rendre ici hommage.

Leur rôle est aujourd’hui reconnu et le futur Conseil national de la biodiversité leur donnera un espace plus cohérent pour avancer leurs propositions et participer à la préparation de la décision publique.

J’ai représenté ces dernières semaines le Sénat au sein du groupe de travail constitué par Mme la ministre de l’écologie sur la gouvernance de la biodiversité, lequel a formulé des propositions consensuelles qu’il s’agit maintenant de mettre en œuvre. Mais je tenais à souligner que cette gestion partagée entre les acteurs de terrain ne sera fructueuse que si le monde associatif bénéficie d’un statut qui permette à ses militants de mener efficacement leurs actions.

La question de ce statut et de cette reconnaissance est importante pour l’avenir du monde associatif, et pas seulement dans le domaine de l’environnement, le bénévolat ne pouvant suffire face à certains niveaux de sollicitations et de responsabilités. Répondre à cette question est une nécessité si nous voulons vraiment construire des lieux de coproductions des politiques publiques : il y a là un véritable enjeu démocratique.

Dans le cadre d’une meilleure organisation de l’action publique et du travail législatif sur les questions environnementales, nous pouvons d’ailleurs nous féliciter de la création, au Sénat, d’une commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, création qui traduit la montée en puissance des questions environnementales dans le travail législatif. Cette commission devra se doter de lieux de dialogue avec les acteurs associatifs, rôle d’approfondissement dévolu, au Sénat, aux groupes d’études. Il serait donc logique, mes chers collègues, de créer un groupe d’études sur la biodiversité, à côté d’autres groupes d’études déjà installés, tel celui qui est consacré à la chasse.

Vous aviez d’ailleurs peut-être noté, alors que j’achève cette intervention, que je n’avais pas encore prononcé ce mot. §Je ne serai pas très long sur ce point, me limitant à redire avec la plus grande fermeté l’indignation ressentie lors des dernières annonces du chef de l’État.

Je partage l’écœurement – elles ont elles-mêmes employé ce mot – des associations de protection de l’environnement. Mais je voudrais également dire l’indignation d’une part importante des chasseurs eux-mêmes, fatigués d’être pris pour des gogos juste bons à remplir les urnes un dimanche de printemps, en échange de quelques oies sacrifiées.

Je crois profondément au dialogue entre chasseurs et défenseurs de la nature. Je suis absolument convaincu qu’au final leurs intérêts sont en partie communs et je me réjouis de voir chasseurs et militants associatifs défiler ensemble contre l’extraction des gaz de schiste.

Mais je me désespère aussi devant cette agitation préélectorale, qui ne flatte que les tenants de l’ultra-chasse, des présidents d’associations spécialisées de plus en plus faméliques en nombre d’adhérents et de moins en moins représentatives. Les chasseurs, eux aussi, méritent plus de considération ! Les dernières annonces du Président de la République témoignent d’abord de son mépris pour les chasseurs eux-mêmes.

Je voudrais, avant de conclure, élargir mon propos aux enjeux des prochains mois avec le sommet « Rio+20 » de juin prochain. Les semaines préparatoires se succèdent, à Paris mardi dernier – vous voudrez bien, monsieur le ministre, transmettre mes remerciements à Mme Kosciusko-Morizet, qui m’ainvité à parler au nom des collectivités locales –, à Lyon hier et aujourd’hui.

La France porte l’idée de la création d’une organisation mondiale de l’environnement, une OME, proposition qui fait aujourd’hui consensus dans notre pays. Le Président Abdou Diouf, secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie, a d’ailleurs officiellement, ce matin, apporté le soutien de la francophonie à cette proposition. Nous devrons la défendre avec force, car nous savons que les grandes conventions environnementales ne pourront aboutir que si elles bénéficient, au sein de l’organisation onusienne, d’une agence dédiée, capable de s’imposer face à la puissance des agences économiques et commerciales et, en premier lieu, de l’Organisation mondiale du commerce. Nous savons néanmoins que c’est bien loin d’être gagné, et j’attire l’attention du Gouvernement sur le fait que nous devrons, à Rio, prendre garde de conserver l’équilibre entre les enjeux environnementaux et les autres piliers du développement durable – le développement économique, la cohésion sociale et la diversité culturelle – et donc soutenir aussi la proposition brésilienne de renforcement de la commission du développement durable auprès de l’Assemblée générale de l’ONU.

J’ai commencé mon intervention avec la littérature du XIXe siècle, je voudrais la conclure en rappelant justement que l’un des principaux enjeux de la préservation de la nature est pour nous, fragiles humains, un enjeu culturel. De Lascaux aux romantiques, de Virgile au Rousseau des Lumières, en passant par Averroès, penseur arabe qui a éclairé notre sombre Moyen-âge catholique – mais je n’entrerai pas dans le débat sur les civilisations

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